Une étrange conversation de Pierre Person passée inaperçue dans les MacronLeaks

L’ancien fondateur des « Jeunes avec Macron » évoque la situation fiscale acrobatique d’un ami

Pierre Person a participé activement à une mission parlementaire d’information sur les « monnaies virtuelles ». Comment devient-on un député expert des crypto-monnaies, au point de produire en 2019 un rapport contenant 27 propositions ? Il suffit de demander à un ami de vous expliquer les cryptomonnaies...

Alors qu'il a semble-t-il quitté la scène politique, l'ancien fondateur des « Jeunes avec Macron », l'un des premiers outils de soutien à la candidature de 2012 d'Emmanuel Macron, continue les apparitions publiques sur le thème des cryptomonnaies. Il n'a pas toujours été un expert du sujet.

C'est un enregistrement audio, passé inaperçu au milieu des milliers de mails et de fichiers des MaconLeaks. On y entend Pierre Person, qui recherche des informations sur les cryptomonnaies qu'il connait mal. Un ami va le briefer. Cette conversation s’est tenue en juin 2015 entre Person et l’un de ses amis, Alain*, qui lui explique, pendant près de deux heures, les subtilités de ces actifs financiers. La conversation porte aussi sur leur passion commune pour le poker en ligne et sur la situation fiscale d'Alain. Elle permet d’entrevoir le rapport à l’argent de celui qui aura été l’une des chevilles ouvrières de l’ascension d’Emmanuel Macron. À cette époque, les crypto-monnaies semblent surtout intéresser Pierre Person pour l’usage qui pourrait en être fait par les principaux sites de paris et de poker en ligne. Il tente à cette époque de se rendre indispensable auprès des gros investisseurs dans ce domaine.

« Là je travaille un peu pour les opérateurs, dans leur développement, notamment Winamax, je connais les deux gros actionnaires de Winamax, avec eux, je me suis un peu mis une race jeudi soir, il y avait tous les gros de l’industrie du poker. C’est intéressant, tu peux discuter avec des mecs qui ont monté Meetic, Caramail, des gros entrepreneurs. Moi je leur avais soumis ma candidature pour travailler avec eux sur l’ouverture des marchés italiens, espagnols, etc., ils ont été assez emballés par ma candidature, j’avais fait une note stratégique sur le sujet », explique Pierre Person à son ami, lui aussi gros joueur de poker.

Finalement, la candidature de Pierre Person sera refusée par Winamax. Est-ce cette déconvenue qui le décide à s’investir auprès d’Emmanuel Macron ? Pierre Person, sollicité à plusieurs reprises, a refusé de répondre à nos questions.

Quoi qu’il en soit, en 2015, il fonde avec trois amis, Sacha Houlié, Florian Humez et Jean Gaborit, « Les jeunes avec Macron » qui regroupera 22.000 adhérents deux ans lus tard. Pour Wikipedia, c’est le premier mouvement de soutien au futur président, avant même la création du mouvement officiel « En Marche ». En 2017, Person est propulsé conseiller politique au sein l’équipe de campagne. Proche de Christophe Castaner, ancien du PS (tendance Cambadélis), de l’UNEF, il intègre le bureau exécutif du parti présidentiel en novembre 2017 et en devient délégué général adjoint après l’élection de Stanislas Guerini ... et après l'échec de sa propre candidature. Il fait par ailleurs partie de la vague de nouveaux élus à l’assemblée en 2017 dans le sillage de l’élection presidentielle. En 2020, il démissionne du parti qui, selon lui, ne produirait plus d’idées nouvelles. Depuis, il est en retrait de la politique et ne semble intervenir publiquement que de manière épisodique sur le sujet des cryptomonnaies.

Les cryptos et le poker

Sur l'enregistrement, Alain, l’ami « expert » en crypto-monnaie, égrène ses prédictions en la matière. La plupart se révèleront fausses, mais Pierre Person écoute avec attention. Selon Alain, le Bitcoin va « bouffer le marché de toute l’industrie du commerce online parce qu’il n’y a pratiquement pas de frais. Pour l’instant tout transite par visa et Mastercard ». Il estime par ailleurs possible de créer des tables de poker sur Internet qui n’acceptent que des Bitcoins, avec des moyens très faibles. Pas convaincu, Pierre Person souligne que la mise en place des crypto-monnaies dans les pays européens, pour jouer au poker, sera compliquée par la forte régulation de ce marché du jeu en ligne, notamment en France avec l’ARJEL. Selon Alain, le fait d’avoir des frais très bas et de s'établir dans un pays comme l’Irlande, avec les crypto-monnaies comme outil de paiement, permettrait à ces nouveaux entrants d’avoir un « rake » très bas, aux alentours de 2,5%. Le « rake » est un montant prélevé par les salles de poker en ligne sur les parties. Et le « rake » est un souci pour les gros joueurs. Alain estime qu’il paye entre 100.000 et 150.000 euros par an. « Moi quand je jouais, je sais que sur tout le moment (sic) entre 2011 et 2013, j'ai pu payer 250 à 300.000 euros de rake », explique quant à lui Pierre Person.

Situation fiscale complexe

Dans la conversation, Alain expose sa situation à Pierre Person. Ell est un peu particulière, mais ne semble pas lui poser problème Au contraire, en bon copain, Pierre Person demande si Alain n’a pas eu de difficultés. « Je suis toujours dans une situation délicate ici, je suis en Belgique mais je suis en Espagne, de façon relativement illégale on va dire, donc c'est un peu chiant », explique Alain. « T'as pas eu de problèmes pour le moment ? », s’enquiert l’ancien conseiller politique d’Emmanuel Macron. « Non, non, répond Alain, j'ai été voir un avocat et un fiscaliste et ils m'ont conseillé de me virer des registres communaux ici et de déclarer que j’étais Belge, que je vivais en Belgique, que je passais légèrement moins de six mois en Espagne et que je déclarais donc mes revenus en Belgique. J’ai annulé mon numéro d’identification d’étranger. Ça me fait chier, ce n’est pas confortable comme situation, à tout moment ils peuvent me tomber dessus et je devrais payer des sommes astronomiques à l'État ».

Les deux amis sautent alors du coq à l’âne, comme si ce qui venait d’être dit n’avait aucune importance ou conséquences. Alain étant d’origine belge et vivant en Espagne, il n’est pas en délicatesse avec le fisc français. Il l’était peut-être à ce moment-là avec le fisc espagnol et avec le fisc belge. La seule réflexion que cela provoque chez l’ancien proche d’Emmanuel Macron est : « T'as pas eu de problèmes pour le moment ? » Curieux rapport à la loi et à l’impôt pour celui qui deviendra un député censé favoriser l’intérêt général.