Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Eric Bouliere

Un tour du monde dans le port de la Rochelle

Amusons-nous un peu avec un marin qui ne manque pas de sérieux

C'est pas l'homme qui prend la mer, c'est la mer qui prend l'homme, ta-ta-tin… Mais pas toujours. Car la haute mer, Yannick Bestaven l'a prise pendant 80 jours, 3 heures, 44 minutes et 46 secondes. Petit retour d'un grand Vendée Globe.

L'arrivée au port de La Rochelle - © Reflets

Derrière un sourire de gamin ébloui, Yannick Bestaven dissimule une sagesse de vieux briscard. Cela fait plus de 25 ans qu'il pratique la voile à haut niveau. A la barre du bien nommé Maître CoQ, Yannick était de retour ce week-end dans son port d'attache. Une arrivée qui s'est quelque peu effectuée en catimini pour cause de rassemblement interdit sur les pontons Rochelais. Mais qu'importe le covid, l'enthousiasme était bel et bien là pour accueillir comme il se doit le vainqueur de la plus prestigieuse course autour du monde en solitaire.

Une petite foule pour raison sanitaire mais l'ambiance y était. - © Reflets
Une petite foule pour raison sanitaire mais l'ambiance y était. - © Reflets

On ne rencontre pas tous les jours un voileux Cap-hornier, un vrai, un dur, un tatoué des mers du Sud. Et si ce besoin qu'ont les marins de faire des phrases s'avère toujours aussi curieux au cinéma, Bestaven, lui, n'est pas du genre à parler pour ne rien dire dans la vraie vie. Raison de plus pour l'écouter. Encore faut-il l'approcher. Pas facile de lui voler quelques instants au milieu d'une palanquée de journalistes et d'une foultitude de notables locaux. Sa journée de retour au bercail fut en effet ponctuée de conférences de presse, de séances photo, et d'interviews en cascade. Pire, la chargée de com du Skipper vedette veillait au respect d'une feuille de route hyper-minutée. Patient, j'ai profité d'une pétole médiatique pour réussir à l'accoster avant qu'il ne mette les voiles par la petite porte de derrière...

A peine à terre, et apparemment déjà envie de repartir... - © Reflets
A peine à terre, et apparemment déjà envie de repartir... - © Reflets

Se prêtant au jeu avec le sourire, Yannick Bestaven s'est amusé à répondre le plus sérieusement possible à notre session de questions-réponses. Un entretien parmi les plus loufoques qui soient. Quoi que…

L'interview mâle de mer de Reflets

Le don d'organes: tout est recyclable chez le marin!
Le don d'organes: tout est recyclable chez le marin!

A propos de la pollution en mer...

Pour soutenir une campagne de don d'organes vous avez posé entièrement nu, mais assis. Vos plus fidèles admiratrices se demandent si vous allez vous mettre debout pour promouvoir le recyclage du plastique en mer?

Y.Bestaven : "Je suis très fier de cette campagne! Je n'ai pas vu trop de matière plastique sur ma course mais je sais que certains concurrents en ont aperçu. Il y a beaucoup d'associations qui bossent sur ce sujet là, je les laisse œuvrer, moi il y a plein d'autres choses qui me tiennent à cœur. En revanche, j'en vois beaucoup trop sur les plages".

150 kilos de foil, cela pèse autant dans les bras que dans le budget - © Reflets
150 kilos de foil, cela pèse autant dans les bras que dans le budget - © Reflets

A propos des techniques et des budgets…

Vous avez déclaré: "Tout a évolué ces quatre dernières années". Aujourd'hui pour être dans le coup, est-il préférable d'avoir des foils sur la coque ou des coqs sur les voiles?

Y.Bestaven : "Aujourd'hui il est essentiel d'avoir des foils, il suffit de regarder les podiums des deux dernières éditions. A mon avis il est impossible de gagner un Vendée Globe sans foils. La jauge peut mettre des garde-fous pour restreindre les budgets, de façon à ce que l'on ne parte pas dans des délires de folie, car actuellement la taille des foils n'est pas limitée. Je pense qu'il va falloir revoir ça. Mais il y a encore des bateaux, comme celui d'Alexia Barrier, de Pipe Hare ou de Clément Giraud qui ont des petits budgets. Ils font leur course, ils ont des bateaux plus anciens qui vont moins vite, mais ils sont quand même dans la course. Il y a de tout sur le Vendée Globe et ça c'est bien. Il faut que cela reste abordable pour tous, des petits budgets aux budgets plus sportifs et plus professionnels".

Le roi Jean, 61 ans et 4e à l'arrivée. Du marin comme on en fait plus!
Le roi Jean, 61 ans et 4e à l'arrivée. Du marin comme on en fait plus!

A propos de l'âge du capitaine…

Vous qui connaissez bien le milieu, est-ce que Jean le Cam en prend, pour être toujours aussi vaillant sur le pont?

Y.Bestaven : "Je me demande si jean Le Cam ne veut pas repartir sur le prochain Vendée Globe. Comme quoi, c'est comme pour le Monopoly de 7 à 77 ans! Et même plus, il y a cet Australien de 81 ans qui vient de boucler son 11ème tour du monde (Jon Sanders). Et puis Jean, il a montré qu'en finissant 4ème à 61 ans il n'était pas encore à mettre au placard…".

Avant le départ: c'est beau une équipe qui ne sait pas encore qu'elle va gagner - © Reflets
Avant le départ: c'est beau une équipe qui ne sait pas encore qu'elle va gagner - © Reflets

A propos du nombre de concurrents

Vous étiez nombreux à dire 33 au départ de ce Vendée Globe sous Covid, contre 13 équipages seulement en 1989. Le nombre croissant de skippers touché par le virus de la course au large vous surprend t-il ?

*Y.Bestaven : *"Non c'est normal, il y a de plus en plus de jeunes qui font la mini-transat, le Figaro, qui courent en Class40, c'est pour cela qu'il y aura de plus en plus de prétendants au départ du Vendée Globe; et c'est aussi pour ça qu'on est obligé de mettre des qualifications. En termes de sécurité les organisateurs ne pourront pas accueillir tout le monde, donc il faudra souscrire aux qualifs, et cela risque de faire monter le niveau sportif de la course. Mais pour s'engager Il faut aimer la compétition, la course au large, les voyages, les bateaux, aimer passer du temps en mer, et avoir le sens de l'exploit et l'envie de se dépasser soi-même".

Boris Herrmann heureux malgré son accident à une encablure de l'arrivée
Boris Herrmann heureux malgré son accident à une encablure de l'arrivée

A propos de la fatigue…

Les complotistes de QAnon croient dur comme fer que Boris Herrmann s'est fait "chaluter" par l'équipage du Potemkine. Comment les convaincre du contraire?

*Y.Bestaven : *"Nous étions tous au bout du bout, on a tiré à bloc les 40 dernières heures. Boris s'est endormi et il ne s'est pas réveillé. Les pêcheurs Basques espagnols ça leur a sûrement fait bizarre lorsqu'ils se sont pris un imoca à 20 nœuds dans le flanc; ça a dû secouer un petit peu… Il faut faire hyper gaffe on le sait, on joue avec la limite lorsqu'on est en course en solitaire, on ne peut pas tenir une veille permanente, c'est très compliqué de gérer la fatigue. Il y en a d'autres qui s'endorment au volant de leur voiture…"

Dalin. premier sur la ligne, Bestaven premier sur le podium.
Dalin. premier sur la ligne, Bestaven premier sur le podium.

A propos du temps de compensation…

La théorie de Charles Darwin sur l'évolution de l'espèce en haute mer, est-elle contradictoire à celle de Charlie Dalin vis-à-vis de l'évolution du classement à l'arrivée.

*Y.Bestaven : *"Il ne faut pas prendre la question à l'envers. Si tu te mets à la place de celui qui est dans le radeau de survie, je ne pense pas que tu refuserais de rendre le temps que celui qui t'a sauvé aura perdu à le faire. Pendant la nuit le temps où nous nous sommes arrêtés pour chercher Kevin Escoffier, Charlie (Dalin), Thomas (Ruyant) et tous les autres ont continué à faire leur course. Il faut un premier. Celui qui gagne c'est celui qui fait le meilleur temps; et le meilleur temps c'est le temps, plus le temps compensé, d'ailleurs le vrai terme c'est du temps de réparation, et ça veut bien dire ce que ça veut dire. Après, moi, j'ai trouvé normal de partager le trophée avec Charlie parce que c'est lui le premier à franchir la ligne, mais ce n'est pas lui qui a gagné. D'ailleurs Charlie l'a très bien expliqué".

D'Isabelle Autissier à Clarisse Crémer, la com' a bien changé.
D'Isabelle Autissier à Clarisse Crémer, la com' a bien changé.

A propos des réseaux sociaux…

En matière de qualité de service des repas chauds, et en fonction des moyens de communication modernes, seriez-vous plutôt Isabelle Patissier ou Clarisse Cramée?

**Y.Bestaven : "Il faut vivre avec son temps et moi je trouve ça top, ça permet de mieux parler de notre sport dans les médias. Toute l'année on cherche des budgets, on cherche des sponsors, on cherche des investisseurs et à un moment donné on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Ça fait maintenant partie du sport et de la communication, c'est très important, si Maître CoQ me suit c'est qu'il souhaite dynamiser l'image de l'entreprise, et cela me parait tout à fait normal".

Le  test de retournement du bateau: un exercice obligatoire avant de partir vers les grands caps - © Reflets
Le test de retournement du bateau: un exercice obligatoire avant de partir vers les grands caps - © Reflets

A propos de… oup's ça passait pas!

Une question joker pour finir: connaissez-vous l'histoire de ce navigateur talentueux qui aurait parcouru toutes les mers du monde, mais qui ne serait pas fichu de sortir du port de la Rochelle sans arracher le bout-dehors de son imoca tout neuf…?

Y.Bestaven : [NDLR: enfin l'inoxydable Jedi de la voile éclate de rire]. "Ouais, je la connais bien... mais je n'étais pas tout seul on était six à bord!"

Encore bravo et bon vent M. Bestaven.

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