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par Antoine Champagne - kitetoa

Un nouveau gouvernement au son des casseroles

Soupçons de viol, de prise illégale d'intérêts, de corruption, la liste est très longue

Toute la presse s’interroge sur la parité dans le nouveau gouvernement, sur le fait qu’il contient des ouvertures à gauche ou au contraire, qu’il accentue le virage à droite, sur le nombre de reconduits et le nombre d’entrants. Reflets s’est plutôt penché sur les personnalités, sur ce qu’elles disent des choix qui ont été arbitrés par Emmanuel Macron, sur ce que ces choix impliquent comme renoncements et enfin, sur qu’ils disent de l’avenir.

Emmanuel Macron : ce que disent ses choix... - D.R.

Comme Nicolas Sarkozy ou François Hollande, Emmanuel Macron avait promis en 2017 une république exemplaire. « Dans le principe, un ministre doit quitter le gouvernement s'il est mis en examen », expliquait le président à la télévision.

Le temps à passé, le réel s’est imposé. La liste des ministres démissionnaires, car pris dans la tourmente judiciaire, a été particulièrement longue pendant le quinquennat précédent.

Premier touché, Richard Ferrand, ministre de la Cohésion des territoires, démissionne après des soupçons de prise illégale d’intérêts. Pas grave, il se recase à la présidence de l’Assemblée Nationale. La Justice estime qu’il y a prescription mais l’affaire est toujours en cassation.

Suivent François Bayrou, Marielle de Sarnez et Sylvie Goulard soupçonnés d’abus de confiance pour des emplois fictifs présumés au Parlement européen. François Bayrou, ministre de la Justice devait porter une grande loi sur la moralisation de la vie publique. L’homme de la situation. Il démissionne mais Emmanuel Macron le recase au Plan, un outil pourtant tombé en désuétude.

Pas ministre, mais parfait exemple de la République exemplaire, Alexandre Benalla, sorte de garde du corps d’Emmanuel Macron, frappe des manifestants déguisé en policier, avec l’aval des plus hautes autorités. Le scandale est énorme mais le président définit à cet instant sa politique non écrite en matière d’actes répréhensibles de la part de ses proches : « S'ils veulent un responsable, il est devant vous. Qu'ils viennent le chercher. Et ce responsable, il répond au peuple français, au peuple souverain ». Paf : « ranafout’ », si vous n’êtes pas contents, sortez les fourches ou envoyez la justice me chercher ». Il sait très bien que c’est impossible. Le sentiment de toute puissance s’affirme à cet instant.

Laura Flessel, ministre des Sports, s’éclipse quant à elle pour des problèmes fiscaux.

Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée, est le plus proche d’Emmanuel Macron. Il est soupçonné de trafic d’influence et de prise illégale d’intérêt pour ses liens avec l’armateur MSC. Là aussi s’engage un feuilleton judiciaire. Emmanuel Macron a même rédigé une lettre au Parquet national financier pour soutenir son secrétaire général. L’enquête du PNF a été classée mais Anticor a relancé l’affaire avec une nouvelle plainte en 2020.

Alain Grisset, ministre délégué aux PME a, quant à lui, démissionné après avoir été condamné en décembre 2021. Il avait oublié de déclarer des sommes à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Enfin, Éric Dupond-Moretti, ministre de la justice, soupçonné de prise illégale d’intérêts est mis en examen par la Cour de justice de la République.

Sans qu’il n’y ait de suites, Elisabeth Borne, alors ministre de la transition écologique, avait oublié la déclaration d’un poste à la HATVP. Celle-ci lui a demandé de corriger sa déclaration.

En 2020, tu démissionnes ou tu es nommé, quand tu as des soucis avec la Justice ?

Avec ce nouveau gouvernement, ce nouveau quinquennat, Emmanuel Macron avait une occasion inespérée de faire table rase du passé. De choisir des personnes moralement et éthiquement irréprochables auxquelles rien ne pourrait être reproché par la presse haïe et par la Justice, toutes deux étant forcément infiltrées par des islamo-gauchistes et les wokistes, souhaitant la perte de la fantastique équipe de la République en marche, devenue Renaissance, pourtant unique espoir de la France…

Las. Le président a arbitré. Dans la liste du nouveau gouvernement, il y a quelques cas qui posent question, en matière d’éthique personnelle et de morale commune. Mais selon la jurisprudence « ranafout’, qu’ils viennent me chercher », les voilà, qui nommés, qui confortés à leur place. Le tout continuant inexorablement de miner la confiance dans les institutions. Ce n’est pas comme si le président de la République avait été élu avec quelques misérables points de pourcentage de plus que le pourcentage d’abstentionnistes et de votes nuls…

Olivier Dussopt, précédemment aux comptes publics est transféré au ministère du Travail et du plein emploi. Il est sous le coup d’une enquête du Parquet national financier pour corruption et prise illégale d’intérêts. Le plein emploi au PNF pourrait-il faire aboutir l’enquête ?

Sébastien Lecornu devient ministre des Armées. Depuis le 13 janvier 2021, le PNF a ouvert une enquête préliminaire pour prise illégale d’intérêts et omission de déclaration à la HATVP. Maintenant qu’il dirige les armées, il doit prier pour que le PNF ne lui déclare pas la guerre en le renvoyant devant un tribunal…

Eric Dupond-Moretti est sans doute l’exemple le plus emblématique du « ranafout’, qu’ils viennent me chercher ». Ministre de la justice, mis en examen par la Cour de justice de la République, c’est la première fois qu’un garde des Sceaux en exercice se retrouve dans cette situation, raison de plus pour le reconduire dans ses fonctions. Détesté par les magistrats, il continue à clamer partout qu’il a réparé la Justice, celle-ci étant régulièrement en manque de tout : de papier (plus de budgets), de magistrats, de greffiers. Par ailleurs, Emmanuel Macron lui passe bien volontiers ses tirades qui fleurent bon le sexisme et la violence verbale habituelle de certains hommes à l’encontre des femmes : il qualifie par exemple les militantes du mouvement MeToo de « follasses qui se racontent des conneries ».

A côté de son collègue de la justice, Gérald Darmanin, reconduit à l’Intérieur, tient la corde… Il est accusé d’homophobie par des associations (il tweetait qu’il refuserait de marier des couples homosexuels à la mairie de Tourcoing et affichait son soutien à la Manif pour tous), de plus on lui reproche d’avoir plusieurs fois cumulé des mandats alors qu’il n’en avait pas le droit. Il est également accusé de viol et de harcèlement en 2017. Un non-lieu est requis par le parquet en janvier 2022. Le ministre de l’Intérieur, conforté à son poste par Emmanuel Macron est également accusé d’abus de faiblesse par une femme qui l’accuse de lui avoir imposé des relations sexuelles en échange d’un logement et d’un emploi. L’affaire est classée sans suite par le parquet à deux reprises.

Bruno Le Maire, ministre de l'Economie et de plein de choses, comme le numérique, n’a jamais été inquiété pour cela, mais Mediapart avait révélé que sa femme avait bénéficié d’un emploi de complaisance à l’Assemblée nationale comme assistante parlementaire. Il faut dire que les fins de mois sont difficiles pour le couple Le Maire. Selon ses déclaration à la HATVP, Bruno Le Maire ne touchait que 113.717 euros nets en 2020 et 130.708 euros nets en 2019. Ce qui lui permet d’affirmer sans rire que la classe politique est mal rémunérée. Un problème grave qui la rendrait perméable à l’idée de la corruption… Imaginons un instant la perméabilité du français moyen qui gagne 38.000 euros bruts par an, soit à peu près 29.000 euros nets...

Agnès Pannier-Runacher, nouvelle ministre de la Transition énergétique, a une conception particulière de la séparation des pouvoirs. Bien entendu, aucune poursuite n’a été engagée contre elle mais de nombreux parlementaires de gauche avaient dénoncé des pressions de sa part pour qu’ils ne signent pas un recours devant le Conseil constitutionnel. C’est la magie...

Yaël Braun-Pivet hérite du ministère des outre-mer en remplacement de Sébastien Lecornu (voir ci-dessus). Avocate de formation, elle s’est fait connaître du grand public par sa gestion de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Benalla. En tant que présidente de la commission, elle a été la cible de nombreuses critiques et son impartialité a été particulièrement questionnée lorsqu’elle a refusé l’audition d’Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée.

Des politiciens aux petits soins pour les gens « qui ne sont rien »

Inaugurant le complexe « Station F », Emmanuel Macron lâche le 29 juin 2017 : « Une gare, c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien. Parce que c’est un lieu où on passe. Parce que c’est un lieu qu’on partage ». Les gens qui ne sont rien… Est-ce qu’il s’agit des gens qui n’ont pas réussi, par opposition à ceux qui ont réussi ? Et qu’est-ce que réussir ? Réussir sa vie, ce peut aussi bien être faire ce qui nous plaît, nous transporte, qu’engranger beaucoup d’argent. Mais l’argent allant à l’argent, ceux qui commencent sans en avoir ont peu de chances de réussir sur ce plan. Mystère de la « pensée complexe » de notre président surdoué ?

Nos ministres ne manquent pas d’étaler leur volonté d’œuvrer pour la France et les Français, de se mettre au service d’une « mission » (comme le disait sans rire Marlène Schiappa il y a quelques jours). Mais il faut bien compenser un peu toute cette abnégation. Financièrement, ils ne sont pas trop à plaindre. Les déclarations à la HATVP des ministres de l’ancien gouvernement ou de ceux qui ont été députés permettent de se faire une idée de leurs ressources et de mieux mesurer pourquoi ils semblent parfois un peu déconnectés des préoccupations des Français. Le salaire brut moyen d’un Français était d’environ 38.000 euros en 2019 selon l’INSEE. Les revenus déclarés à la HATVP par les ministres du nouveau gouvernement sont nettement plus attirants. Il convient de noter que les déclarations sont hétéroclites. Certains déclarent du brut, d’autre du net, parfois les deux selon les employeurs, ce qui peut rendre nos somme globales approchantes et non pas précises. Les chiffres donnés d’une déclaration à l’autre ne sont pas toujours les mêmes. Il existe des incohérences (le même chiffre qui revient à plusieurs endroits laissant supposer une erreur involontaire). Mais dans l’ensemble cela permet de se faire une idée du niveau de vie de nos nouveaux ministres. Quelques exemples de rémunérations expliquent peut-être pourquoi il est parfois reproché aux politiques de ne pas avoir conscience des réalités. Par exemple, le taux d’inflation qui va frapper les Français cette année inquiète sans doute beaucoup plus Paulo du Bar des Amis qui gagne 38.000 euros bruts par an, que Bruno Le Maire qui est plus près des 120.000 euros. Ceci explique peut-être pourquoi il minimise en permanence ce problème…

En 2016, les trois revenus les plus importants sont ceux d’Élisabeth Borne (323.457 euros, de Franck Riester (209.228 euros) et d’Olivia Grégoire (138.142 euros).

En 2017, Franck Riester est en haut du podium avec 197.728 euros, suivi de Amélie de Montchalin, avec 187.993 euros et d’Élisabeth Borne, avec 156.518 euros.

En 2018, Franck Riester engrange 179.216 euros, Bruno Le Maire 143.883 euros et Christophe Béchu, 125.447 euros.

En 2019, Christophe Béchu prend la tête du peloton avec 136.841 euros, suivi de Bruno Le Maire avec 130.678 euros et de Clément Beaune, avec 119.346 euros.

Enfin, en 2020, Christophe Béchu reste sur la plus haute marche avec 136.841 euros, suivi de Bruno Le Maire avec 113.717 euros et de Amélie de Montchalin avec 103.605 euros.

En termes d’épargne personnelle, Bruno Le Maire atteint 231.324, suivi d’Élisabeth Borne avec 227.104 euros. La Première ministre a pour sa part 210.000 euros d’emprunts à rembourser. En termes de biens immobiliers, à part Franck Riester, les sommes communiquées à la HATVP ne sont pas frappantes. Personne n’annonçant dépasser un million d’euros.

Qui sont ces gens ?

Qui connaît vraiment les ministres qui nous gouvernent ? Les portraits du Canard Enchaîné et les bruits de couloir distillés en page 2 du volatile permettent de se faire une idée.

Pour ce qui est de la première ministre, sous la plume d’Anne-Sophie Mercier, on apprenait dans le Canard qu’elle « a le plus grand mal à pratiquer le compromis. Sa loi Mobilités, qualifiée par un sénateur d’énorme machin techno, a été retoquée en commission mixte paritaire par des parlementaires qu’elle n’avait pas su convaincre, et elle perd régulièrement ses arbitrages à Bercy, où l’on apprécie modérément sa raideur, jugée « stalinienne ». Ce qui ne l’empêche pas de remonter à l’assaut. Une femme qui a réussi à diriger le cabinet de Ségolène Royal à l’Ecologie pendant plus d’un an (2014-2015) a forcément des nerfs. Elisabeth Borne traîne depuis vingt ans une réputation de tyran qui n’a rien d’usurpé. Les cadres les plus importants du ministère des Transports, qu’elle avait pressuré d’une façon inimaginable lors de la préparation de la loi Mobilités, sont tous partis, avant même le vote de la loi. Du jamais vu ! Il faut dire qu’elle n’a pas eu un mot de remerciement pour eux et qu’elle a passé son temps à hurler, raconte un bon connaisseur du secteur. » On a hâte de se prendre un gros sac de raideur stalinienne sur la tête.

Ce qui est certain, c’est que les réformes vont être expliquées et comprises par les citoyens. Emmanuel Macron a choisi Olivia Grégoire comme porte-parole du gouvernement en remplacement de Gabriel Attal. Ça va être limpide. Le Canard avait relevé en novembre 2019 une tirade hors du commun de la nouvelle porte-parole, à l’époque vice-présidente de la commission des finances de l’Assemblée : « Oui il est possible de faire du #purposewashing avec la #raison dʼêtre, cʼest pour cela que nous avons conçu une fusée à plusieurs étages, avec les sociétés à mission, avec les fondations actionnaire... La contrainte varie, il sera impossible de faire du “societeamission-washing”. » Olivia Grégoire a par ailleurs milité dans sa jeunesse au sein des Jeunes avec Madelin. On peut difficilement faire plus ultra-libéral.

Mais parfois, les prises de positions les plus abracadabrantes sont publiques et il n’est pas nécessaire de lire les indiscrétions publiées dans Le Canard pour se faire une idée des personnages qui nous gouvernent…

Stanislas Guérini s’est fait connaître pendant le dernier quinquennat par ses déclarations énamourées envers le Président et son parti. Mais surtout, juste avant d’être nommé ministre, il prenait la défense à la radio, de Jérôme Peyrat, investi par LREM pour être candidat aux législatives. Celui-ci avait pourtant été condamné pour des violences volontaires sur sa conjointe, qui avaient occasionné 14 jours d’ITT. Pour Stanislas Guérini, « C'est un honnête homme, je ne le crois pas capable de violences sur les femmes, et donc il se soumettra au jugement des électeurs ». On retrouve ici la doctrine « ranafout’, qu’ils viennent me chercher ». La vérité judiciaire, une condamnation ferme et définitive n’a aucune valeur pour le nouveau ministre de la Transformation et de la fonction publique. Mais qui sont ces juges qui pensent pouvoir prendre des décisions plus importantes que celles des électeurs ?

Damien Abad, ministre des Solidarités de l’autonomie et des personnes handicapées est quant à lui accusé de viol par deux femmes. Un article de Mediapart raconte en détail les violences subies par ces deux victimes, dont l’une aurait été droguée. Damien Abad conteste les faits et la plainte de l’une d’entre elles a été classée en dépit de nombreux SMS explicites et du fait que la victime avait partagé au fil des ans le récit de son calvaire avec de nombreux proches. Les responsables de LREM avaient reçu par mail une alerte sur ces deux récits mais cela n’a pas empêché la nomination du transfuge des Républicains. Damien Abad démontrait par ailleurs dans un post Facebook en août 2020 que l’on peut être homme politique en vue et simple à la fois : « Contrairement à beaucoup de politiques, je ne vous raconte pas que mes vacances sont studieuses (…). Non, comme beaucoup de Français, elles sont vraies, authentiques, avec des rires, (…) des apéros ou encore des barbecues. Simplicité et authenticité, telle est ma devise. » On pouvait mesurer toute la simplicité aux photos qui accompagnaient le post : conduisant un bateau de plaisance, au bord de sa piscine… Une chose est sûre, en le nommant ministre, Emmanuel Macron prouve qu’il n’est pas rancunier. En août 2018, celui qui était alors vice-président des Républicains, expliquait doctement ce qu’est la Macronie : « La réalité de la Macronie, cʼest lʼenfermement dans un parti unique, avec des parlementaires de la majorité asservis au pouvoir exécutif, qui nʼont dʼautre choix que de soutenir aveuglément les projets de loi du gouvernement. » Damien Abad risque-t-il l’enfermement ?

Destinataire du mail d'alerte sur Damien Abad, Stanislas Guérini qui défendait quelques jours plus tôt Jérôme Peyrat, a simplement expliqué qu'il n'avait pas relevé sa boite mail...

Enfin, Marc Fesneau a été nommé à l’agriculture et à la souveraineté alimentaire. L’homme, éternel discret second couteau qui a prospéré dans le sillage de François Bayrou, est un pratiquant de chasse à l’arc. Il avait ainsi confié : « on ne fait pas de bruit, mais l’approche discrète permet de ne pas rater sa cible ». Tout un programme… d’ascension politique.

Précisions

Toutes les personnes citées dans cet article qu’elles soient mises en examen ou non, sont présumées innocentes s’il n’existe pas de condamnation définitive.

Les ministres d’un gouvernement sont nommés par le Président de la République sur proposition du Premier ministre. Cela dit, le président outrepasse généralement ses droits et impose des noms. Il choisit même souvent les directeurs de cabinet des ministres pour mieux les surveiller…

Les rémunérations des personnes citées sont tirées de leurs déclarations à la HATVP.

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