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Dossier
par Jacques Duplessy

Un Ehpad à l’heure du Covid-19

Confinement, mobilisation générale et solidarité

Comment allons-nous prendre en charge les plus fragiles, les personnes âgées dépendantes ? C'est un marqueur fort de société. Nous avons décidé de suivre la vie d'un Ehpad, l'établissement public de Saint-Paulien en Haute-Loire, à travers les yeux de sa directrice, Nathalie Cottier. Épisode 1.

Comment vivez vous la situation ?

Je suis un peu fatiguée, stressée, comme l’ensemble du personnel. Mais ça va. On n'a jamais autant donné. Avec l’isolement imposé, on a tous pris conscience de l’importance du lien social. On se rend tous compte que la personne âgée, elle a vraiment besoin de sa famille. Spontanément, chaque personne est sortie un peu de sa fonction. Il y a une solidarité qui s’est mise en place. L’ASH aide l’aide soignant, l’infirmière aide l’ASH. C’est incroyable mais ça se passe bien. On est 50 salariés pour 62 résidents. On est bien doté en personnel. Je sais qu’il y a eu de la panique dans certains établissements. Certains directeurs ont interdit l’entrée aux médecins traitants, aux kinés ou ils ont refusé de reprendre des résidents qui revenaient d’hospitalisation. C’est de la folie ! Le directeur a toute sa place dans des situations comme ça pour garder la tête froide et organiser. Il faut que ça soit organisé sans panique. Si je me mets à paniquer, tout mon personnel va paniquer. Je fais des réunions régulières avec l’ensemble du personnel pour écouter, organiser et adapter. Ce que je fais aujourd’hui, ce n’est peut-être pas ce que je ferai demain.

L'Ehpad de Saint-Paulien en Haute-Loire - Ehpad
L'Ehpad de Saint-Paulien en Haute-Loire - Ehpad

Comment s’organise le lien avec les familles ?

On a mis en place tout un système de communication avec elles. On lit les mails aux résidents, on leur passe le téléphone, on fait du WhatsApp, du Skype… enfin, tout ce qui est possible. On en a fait tout ce matin. Ça donne une énergie folle à l’équipe, même si ça prend du temps. Les agents ont pu voir des personnes très dépendantes qui ne communiquaient pas se mettre à pleurer devant l’écran. C’est fou et c’est super ce qui nous arrive. C’est un mal pour un bien. Ça nous ramène aux liens et à l’humanité qu’il faut avoir avec des personnes très dépendantes. L’animatrice en a pleuré hier. Quand elle a lu le mail à une résidente qui ne communique plus, la résidente s’est mise à avoir des sanglots à la fin de la lecture de la lettre. L’animatrice a craqué. Ca nous touche beaucoup. Par contre c’est épuisant moralement. Quand je rentre le soir, psychologiquement je suis épuisée.

L'établissement organise des rencontres virtuelles avec les familles - Ehpad
L'établissement organise des rencontres virtuelles avec les familles - Ehpad

Il y a des tensions avec les proches des résidents ?

C’est le contraire ! On a commencé à fermer progressivement l’établissement fin février avec des restrictions de visites : une seule personne et dans la chambre du résident pour éviter les regroupements. Et très vite, on a arrêté les visites. On a beaucoup communiqué, sur notre site internet, en écrivant aux familles : vous ne pouvez plus venir mais voilà tout ce qu’on met en place. Les familles sont sont reconnaissantes et on reçoit plein d’encouragements. Je n’ai pas de problèmes pour le moment. Si ça dure des mois, on verra… J’espère juste ne pas avoir quelqu’un en fin de vie durant la période de confinement ou qui va mourir subitement. Ce serait compliqué pour la famille. Ça va créer une cassure. Bien sûr, qu’ils pourront venir pour les fins de vie. On met tout en place pour que la personne puisse être accompagnée par sa famille. L’ARS nous a donné des consignes très claires là-dessus.

L'établissement s'est barricadé. - Ehpad
L'établissement s'est barricadé. - Ehpad

Mais pour vous et vos équipe, il y a beaucoup de stress…

C’est le stress de ce confinement général, que le virus rentre chez nous. On en devient parano, on désinfecte tout, même le courrier. Les fournisseurs ne rentrent plus. Il n’y a que les agents, et ils ont un protocole de désinfection particulier, on leur prend la température, on se frotte les mains toute la journée. On a bien conscience qu’on peut véhiculer ce virus à une personne qui peut en mourir. C’est ça qui nous fait peur. Pour le moment en Haute-Loire, on est un peu protégé dans le département. On avait sept cas mardi. J’ai des agents qui tombent malade, mais a priori ce n’est pas ça. Il y a des rhumes, des angines, la grippe classique… Mais dès que quelqu’un est un peu fébrile, il reste chez lui. J’espère juste qu’on va en rester là. Car si nos agents tombent les uns après les autres, ça va être très compliqué, car on n’aura pas de solutions. Pour tout vous dire, j’ai préparé ma blouse blanche dans mon bureau. Et s’il y a besoin de renfort, j’arrête mon métier de directrice et je prends la blouse blanche et on va sur le terrain. Je suivrais les directives de l’aide-soignante. J’ai 25 ans de métier, alors je connais pas mal l’approche de la personne âgée dépendante. Tout le monde en est conscient, de l’animatrice à la psychologue en passant par la diététicienne et les secrétaires, tout le monde tombera son costume d’employé pour aller au service du résident. On l’a envisagé.

L'établissement ne reçoit plus aucune visite - Ehpad
L'établissement ne reçoit plus aucune visite - Ehpad

Mais pour le moment, vous continuez les activités de loisir ?

Le moral des résidents est quelque chose de fondamental. Le risque c’est la démotivation. On arrive à des syndromes de glissement et à des dépressions. On doit lutter contre ça. On est monté en charge en animations. On n’a plus nos bénévoles qui venaient tous les jours, on n’a plus la pastorale de la santé. Tout ça s’est arrêté, c’est à nous de compenser. C’est une énergie physique importante... Mais si on a des personnes âgées en dépression, qui refuse de s’alimenter, l’ARS nous a dit clairement qu’on pouvait faire venir la famille. On fera le protocole d’hygiène comme pour le personnel.

Comment se passent les relations avec les autorités de tutelle ?

On a de la chance d’avoir en France un système de santé très bien construit. On est très soutenus par notre Agence régionale de santé (ARS) Auvergne-Rhône-Alpes. On a des conseils, des procédures. Samedi, dimanche l’ARS m’appelle prendre des nouvelles, savoir mes besoins. Eux non plus ne doivent pas compter leurs heures en ce moment. Notre hôpital de secteur au Puy-en-Velay nous appuie beaucoup. Ils ont une équipe mobile d’hygiène qui vient en support des maisons de retraite. Elle a émis un guide de gestion du Covid-19 et des bonnes pratiques. Ça peut être aussi un appui logistique par exemple en cas de besoin de masques. Pour le moment j’ai un stock de 1000 masques. On en a pas besoin tout le temps actuellement, c’est pour les malades. Sinon, ça ne sert à rien.

Interdit aux visites - Ehpad
Interdit aux visites - Ehpad

Comment ça se passera si vous avez un cas ?

La première chose est d’informer l’ARS. On gardera la personne âgée si elle n’est pas en complications médicales, on va la confiner. On fera d’abord appel aux médecins de ville qui sont en première ligne dans notre cas. On a des masques, du gel hydroalcoolique, des blouses, des lunettes puisque le virus passe par les yeux, on mettra en place un protocole adapté. Mais je ferais tout pour que virus ne rentre pas chez moi ! On est habitué à gérer des épidémies en Ehpad. Une structure qui fait bien son boulot, elle a écrit son plan bleu en cas d’épidémie de grippe ou de gastro. J’ai un système qui permet de faire face à l’urgence. Par exemple, on a 15 jours de stock de produits alimentaires, des réserves de produits d’entretien. Et on a aucun soucis de livraison. Pour le moment… C’est si on a un cas qu’on verra vraiment si on a un appui formidable des autorités de santé pour la personne âgée dépendante. J’ai peur du choix dans les soins. Si les hôpitaux sont engorgés et qu’il y a des personnes jeunes à soigner… Je me dis : « Comment ça va se passer pour nos anciens ? » J’espère que ça ne va pas être comme dans l’Est. On est confiné alors qu’il y a peu de cas. Alors on a toutes les chances de pouvoir maîtriser si on respecte bien les mesures barrières.

Vous vous sentez prête à tenir dans la durée ?

On sait qu’un confinement en règle général, c’est 45 jours pour arriver à inverser la courbe des contaminations. Je sens qu’au bout de cette période, je vais être fatiguée. C’est bien d’avoir du monde. Là je me sens seule… Très seule. Seule parce qu’on ne voit plus personne. Seule, mais avec mes agents, ça va. On se soutient. J’espère que cette crise va changer notre vision des choses, nos pratiques pour la prise en charge des personnes dépendantes. Moi, je ne sais pas travailler dans le commercial privé. j’ai d’abord géré un Ehpad associatif, après je suis parti dans le secteur mutualiste puis dans le public. Ca fait cinq ans que je suis en poste ici. C’est merveilleux, car on n’a pas le souci de faire des bénéfices. Tous l’argent que j’ai va dans le budget de fonctionnement. Je sais qu’il y a dans le privé des choses terribles : restrictions de soins, restrictions alimentaires. Dans les Ehpad privés, souvent c’est beau, bien décoré. Dans le public, c'est moins le cas. Ici j’ai la chance d’avoir une maison neuve. Surtout on fait des choix de mettre de l’humain : 70 % du budget va pour le personnel. Plus largement, j'espère que cette crise va nous faire repenser notre modèle de société : avoir plus conscience de notre impact sur les autres, avoir plus conscience de l’importance du lien humain et de la solidarité, et être plus citoyens. Là, on va nous demander sans doute 45 jours d’efforts, 45 jours ça passe vite dans une vie.

Nous retrouverons chaque semaine, autant que possible, un témoignage de Nathalie Cottier. En cette période de restriction des libertés individuelles, l'information doit continuer de circuler librement. Vous voulez partager une info, des documents d'intérêt général ? Contactez-nous sur redaction@reflets.info ou par notre plate-forme sécurisée. Dans tous les cas, suivez nos conseils pour entrer en contact avec nous de manière prudente.

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