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par Marthe Chalard-Malgorn

"Un camping sans tentes, c’est comme une boulangerie sans pain !"

Le collectif « Sauvons le vrai camping » monte au créneau

Depuis février 2023, le collectif « Sauvons le vrai camping » alerte l’opinion publique face à la diminution des emplacements nus destinés aux tentes, camping-cars et caravanes. Selon lui, il est primordial d’instaurer une part raisonnable de ces emplacements pour que les campings ne se transforment pas uniquement en parcs de mobilhomes.

Photographie du camping de l’Iscle De Prelles dans les Hautes Alpes - Olivier Lemercier/Collectif Sauvons le vrai camping

Depuis deux ans et demi, Olivier Lemercier et sa femme gèrent le camping de l’Iscle de Prelles dans les Hautes Alpes. En dialoguant avec des campeurs et en étudiant les chiffres de la FNHPA (fédération nationale de l’hôtellerie de plein air), Olivier a constaté une diminution des emplacements pour tentes, campings-car et caravanes. « En 2011, on était à 29 % des emplacements de camping occupés par des mobilhomes. Dix ans plus tard, on est passé à 46 %. Si on ne fait rien, il n’y aura bientôt plus d’emplacements nus » explique-t-il. En février 2023, lui et quatre autres gérants fondent le collectif « Sauvons le vrai camping ». Aujourd’hui, il rassemble 50 représentants de 150 campings.

Le cœur de leur lutte, c’est l’appellation. Pour eux, un établissement qui ne propose que des séjours en mobilhomes n’est pas un camping mais un village de plein air. Si le collectif ne se positionne pas contre le locatif – ces réservations font vivre les propriétaires – il défend un taux raisonnable de 25 à 35 % d’emplacements nus par établissement. Soutenu par la fédération française de randonnée, de camping-car et de cyclotourisme, Sauvons le vrai camping  ne rencontre pas l’appui de la FNHPA.

Photographie du camping de l’Iscle De Prelles dans les Hautes Alpes.  - Olivier Lemercier / collectif Sauvons le vrai camping
Photographie du camping de l’Iscle De Prelles dans les Hautes Alpes. - Olivier Lemercier / collectif Sauvons le vrai camping

En effet, Nicolas Dayot, le président de la fédération, considère l’établissement d’un quotas comme « une fausse bonne idée ». « On s’est battu pendant 25 ans pour créer une réglementation qui permet de garantir la liberté d’entreprendre, on va pas s’imposer à soi-même un boulet au pied et des menottes aux mains » défend-t-il. « Quand vous êtes gérant de camping, vous avez le droit de faire du business, répond Olivier Lemercier, mais vous avez aussi une responsabilité sociétale ».

Régis Devillers fait également partie de « Sauvons le vrai camping ». Il est le seul membre à ne pas être gérant mais campeur pur et dur. Depuis 2018, il tient le site de voyage Globe Trotters Retraités sur lequel il a mis en avant les revendications du collectif. « La plupart des gens qui me contactent considèrent qu’un camping de mobilhomes est un village de vacances » témoigne-t-il. Régis ajoute : « Je ne dis pas qu’il faut supprimer ce marché-là, les familles sont très contentes d’aller dans ce genre d’endroit. Mais il ne faudrait pas qu’on ait que ça en bordure de côte par exemple ».

La question de l’appellation est également cruciale d’un point de vue fiscal. En effet, les campings classés bénéficient d’une TVA de 10 % là où les villages vacances comme Centerparks paient une TVA de 20 %. Dans un tel contexte, le collectif se questionne : est-ce juste qu’un établissement sans emplacements nus bénéficie des mêmes avantages qu’un camping, sans pour autant accueillir de campeurs ? « En France, pour s’appeler boulangerie, il faut vendre du pain fait maison même si les sandwich-baguettes sont plus rentables. Pour le camping, ça devrait être pareil. » illustre Olivier Lemercier.

Loisir de prolos ou loisir de bobos ?

Au-delà de l’appellation, cette préservation des terrains pour l'installation de tentes va aussi de pair avec celle de certains touristes. « S’il n’y a plus d’emplacements nus, les classes populaires et moyennes ne pourront plus partir en vacances » met-il en avant. Il mentionne également le risque pour les randonneurs, les cyclistes ou les motards de ne plus pouvoir voyager en itinérance. Plus stratégiquement, les camping-caristes européens risqueraient de délaisser la France au profit de l’Espagne ou de l’Italie. Habitant des Hauts de France, Régis Devillers le constate déjà avec ses voisins Belges : « Ils préfèrent partir en Allemagne plutôt que chez nous puisqu’ils ont du mal à trouver où se garer. »

Pour Nicolas Dayot, augmenter la TVA des établissements de mobilhomes engendrerait la chute d’une bonne partie des campings « incapables de supporter 10 % de fiscalité supplémentaire de but en blanc. » Par ailleurs, l’emplacement nu serait plutôt un choix de passionnés aux revenus élevés que celui de personnes issues des classes populaires. « J’en tiens pour preuve une étude, finalisée il y a quelques temps avec la délégation interministérielle de la lutte contre la pauvreté, qui constate que les familles aux moyens contraints veulent principalement un mobilhome dont les prestations intérieures ressemblent à ce qu’ils ont chez eux » ajoute-t-il.

La tente serait-elle donc devenue l’atour des « bobos » en quête de vacances authentiques et déconnectées ? Dans ses travaux, le sociologue spécialiste des pratiques de plein air, Olivier Sirost, montre que le camping n’a pas toujours été un loisir populaire. « Au XIXè siècle, le camping permet à la bourgeoisie d’exister face à l’aristocratie en se formant à la pensée pratique » explique-t-il. Lorsque le camping se répand dans les années 60, le gouvernement et certains acteurs culturels – Frédéric Dard, Claire Bretécher, André Hunebelle – n’hésitent pas à décrire les campeurs comme des beaufs.

Vidéo INA « Le camping, c’était mieux avant ? », 1975

La mise en place progressive du classement par étoiles va faire monter en gamme le secteur et gommer cette image péjorative. « Cela a engendré la diminution drastique des campings associatifs et municipaux qui représentaient pourtant un tiers des établissements dans les années 80 » indique le sociologue. Désormais, il n’y a plus que le Groupement des Campeurs Universitaires qui propose aux bénévoles de faire du camping associatif. « Nous ne sommes pas concurrents des campings commerciaux car nous ne sommes pas dans le même état d’esprit » explique la présidente du GCU Claire Bazin, fière de « défendre le vrai camping depuis plus de 20 ans ».

Reste que l’offre privative domine le marché et attire pléthore d’investisseurs tels que des grands groupes ou des fonds de pension. Or, les propriétaires en passe de prendre leur retraite sont parfois sollicités avec insistance. « Au fil des années, j’ai été en contact avec des maires possesseurs de campings qui m’appelaient pour me faire part de la pression de grands groupes, témoigne Olivier Sirost, ils veulent racheter les terrains à prix d’or et c’est très difficile de résister. » Claire Bazin rencontre le même phénomène avec les terrains du GCU : « On a des campings situés dans des endroits de rêve donc on reçoit tout le temps des demandes d’achat. Parfois, c’est un combat. »

Pour Nicolas Dayot, l’arrivée des fonds de pension sur le marché n’est pas une mauvaise chose car elle aurait permis de faire entrer le camping dans une dimension nouvelle en améliorant la qualité de l’offre. De plus, les grands groupes appartiennent aussi à des familles et « sont des champions des départ en vacances des classes populaires. Ils jouent donc un rôle social très vertueux » détaille-t-il.

L’emplacement nu, un modèle écologique dès sa naissance

Le modèle sur lequel l’hôtellerie de plein air repose doit cependant être repensé à l’aune du dérèglement climatique. Selon Olivier Sirost, le chantier est vaste notamment en matière de locatifs. « On a bétonné les sols, mis en place une végétation qui n’est pas adaptée à la météo et utilisé des matériaux de construction qui ne supportent pas les changements de température » met-il en avant. Dans un tel contexte, la préservation des emplacements pour tente prend un autre sens. Le sociologue l’affirme : le terrain nu est un modèle écologique dès sa naissance. « Face aux montées des eaux, les espaces de friches permettent de laisser les fleuves déborder et empêchent que l’eau n’empiètent sur les cœurs de ville » analyse-t-il.

L’avenir du camping français est donc pétri de questionnements plus larges sur lesquels la profession se mobilise. Nicolas Dayot mentionne par exemple le « plan camping durable 2030 » qui traite des principaux enjeux environnementaux propre à l’hôtellerie de plein air. Aujourd’hui, « Sauvons le vrai camping » pousse un cri d’alarme afin que l’accueil des campeurs soit assuré malgré la financiarisation du secteur et le défi climatique.

La décision finale reste entre les mains du ministère du tourisme. Olivier Lemercier conclue : « Le dossier est remonté au cabinet d’Olivia Grégoire. Après la saison, l’idée serait de monter un groupe de travail qui rassemblerait toutes les parties ». Espérons qu'il n'en sortira pas un simple et énième numéro vert...

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