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par Jacques Duplessy

Ukraine : une logique de guerre longue

Le conflit pourrait durer encore de longs mois.

L'armée russe a obtenu une victoire tactique dans le Donbass en occupant les villes de Sievierodonetsk et de Lysychansk, et elle poursuit son offensive dans cette région de l'Est. Mais d'autres fronts sont aussi actifs. L'armée ukrainienne a réussi à obtenir le départ des troupes russes de l'île du Serpent. Et surtout, elle se renforce dans des secteurs clefs : artillerie et défense antiaérienne. Les soutiens de l'Ukraine, États-Unis en tête, s'organisent pour aider le pays dans la durée.

Le drapeau ukrainien flotte à nouveau sur l'Ile du Serpent - D.R.

Sivierodonetsk, une des villes clefs du Donbass, est tombée aux mains de l’armée russe et des séparatiste après plusieurs semaine de combat ainsi que des villages alentour. Mais les russes n’occupent qu’un champ de ruines. Samedi 2 juillet, c’est la ville de Lysychansk qui a été à son tour occupée. Si le revers pour Kyiv est certain, en un mois de guerre totale dans le Donbass, les séparatistes n’ont, dans les faits, occupé en juin que 1500 km², soit 0,3 % du territoire ukrainien. Ce qui montre que la résistance ukrainienne tient bon, alors que le rapport de force est largement en faveur de l’armée russe pour ce qui est de l’artillerie et de l’aviation.

Mais beaucoup d’autres fronts sont actifs. Du côté de Kharkiv, Russes et Ukrainiens alternent attaques et contre-attaques. Il semble que Moscou n’a pas renoncé à tenter de prendre, à terme, la deuxième ville du pays. Dans le sud de l’Ukraine, les informations sont difficiles à obtenir, mais il semble que l’armée ukrainienne a progressé en direction de Kherson. Dans cette zone, les partisans ukrainiens harcèlent aussi les convois russes et plusieurs collaborateurs de l'occupant ont été assassinés ou victimes de tentative de meurtre.

L’armée russe semble incapable de disposer de suffisamment de troupes le long de cette ligne de front qui mesure environ 2.500 km, dont 1.000 km où le front est effectivement actif. Selon des documents qui ont fuité, l’armée russe peine à recruter des conscrits : le nombre de recrues serait entre 50 et 60 % de l’objectif fixé par l’état-major. Une nouvelle loi vient d’être promulguée pour permettre l’envoi de conscrits pour participer à « l’opération militaire spéciale ».

Une guerre d'attrition

Mais l’armée ukrainienne se renforce aussi. Les livraisons d’artillerie moderne - des canons de 155 mm avec des obus portant à une quarantaine de kilomètres et des lance-missiles HIMARS (High Mobility Artillery Rocket System) d’une portée d’environ 80 km – commencent à porter leurs fruits, même si leur nombre reste largement insuffisant. Des vidéos sur les réseaux sociaux laissent penser que l’armée ukrainienne est désormais en mesure de lancer des attaques assez systématiques contre les dépôts de munitions et les nœuds logistiques de l’armée russe. Elle est ainsi capable de mener une guerre d'attrition.

L’île du Serpent, rendue célèbre par le « Fuck you ! » de la garnison ukrainienne à l’adresse du commandant du navire Moskva qui leur demandait de se rendre, a été abandonnée par l’armée russe en fin de semaine. Selon le ministère de la Défense, il s’agit d’un « geste de bonne volonté » en vue de préparer une levée du blocus d’Odessa pour permettre l’export du blé ukrainien. Mais dans les faits, il n’en est rien. Le blocus d’Odessa continue, plusieurs sous-marins ont été envoyés dans la zone. Et surtout, l’évacuation de l’île est la conséquence de bombardements ukrainiens réguliers par l'artillerie et d'attaques par drone. Depuis plusieurs semaines, les russes perdaient régulièrement des hommes et du matériel (dont un navire). La position devenait intenable du fait des nouveaux moyens de frappe ukrainien, notamment des missiles anti-navire récemment reçus.

La menace des missiles de croisière

L'armée ukrainienne se renforce aussi dans le domaine de la défense aérienne. Une nécessité alors que la campagne de bombardements russes par des missiles de croisière continue. Elle vise souvent des civils : au moins 21 d'entre eux ont été tués dans la nuit au 30 juin au 1er juillet après qu'un missile a touché un immeuble d'habitations de la petite ville de Serhiivka, à environ 50 kilomètres d'Odessa. Selon les autorités ukrainiennes, c'est un missile de croisière tueur de navire Kh-22 qui aurait été utilisé pour cette attaque, comme pour plusieurs autres récentes. Un signe que l'armée russe pourrait commencer à manquer de missiles adaptés.

Depuis quelques jours, l'armée ukrainienne déclare intercepter de nombreux missiles de croisière. Ces annonces interviennent alors que le secrétaire à la Défense américain a rendu public la fourniture d'une plateforme ultra-moderne de défense antiaérienne, le système NASAMS (Norwegian Advanced Surface to Air Missile System). Il s'agit d'un lanceur de missiles sol-air à moyenne et longue portée capable de détruire une une cible à une distance d’environ 150 kilomètres et volant jusqu'à Mach 2,9, selon son concepteur. Le NASAMS est donc capable de détruire n'importe quel aéronef et la plupart des missiles de croisière.

Alors qu'aucun pourparler de paix sérieux n'est engagé, la guerre s'installe dans la durée. Plusieurs informations convergent pour penser que tous les protagonistes sont entrés dans une logique de guerre longue. Vladimir Poutine a annoncé que les entreprises devaient se mobiliser pour participer à l’effort de guerre. Mais surtout, les Etats-Unis annoncent des mesures exceptionnelles pour soutenir l’Ukraine dans la durée. Plusieurs paquets d’aides militaires et économiques très importants ont été décidés. Depuis le début de la guerre, le 24 février, 6,9 milliards de matériel militaire ont été transférés par les Américains. Mais surtout le département de la Défense vient d’annoncer qu’il étudiait 1.300 propositions provenant de 800 entreprises pour produire des armes innovantes spécifiques pour l’Ukraine. Alors que les stocks de l'armée ne sont pas inépuisables, les Américains semblent avoir le désir de produire des armes bon marché spécifiquement adaptées à ce conflit.

Enfin, la Biélorussie, dont le dictateur Loukachenko soutient Vladimir Poutine, continue de jouer un rôle trouble, est particulièrement à surveiller. Des salves de missiles sont tirées régulièrement depuis son territoire. Le 2 juillet, son président a annoncé des manœuvres militaires sans précédent qui pourraient durer presque tout l’été. Loukachenko a aussi déclaré que l’armée ukrainienne aurait tenté de viser des bases militaires biélorusses. Il n’a pas exclu d’entrer en guerre contre l’Ukraine au côté de la Russie si les attaques contre son pays continuaient. Autre signe inquiétant, les médecins n’ont désormais plus le droit de quitter le pays. Difficile de savoir s’il s’agit ou pas d’une énième gesticulation. Depuis le début de la guerre, la Biélorussie contribue à l’attaque russe en obligeant l’Ukraine à maintenir des troupes à sa frontière, et donc à diviser ses forces. Les prochaines semaines diront si le dictateur biélorusse est prêt à aller plus loin dans son implication dans le conflit.

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