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par Jacques Duplessy

Ukraine : militairement en difficulté, l'armée russe choisit la stratégie de la terreur

Les centrales électriques sont systématiquement visées par des missiles et des drones iraniens

Vladimir Poutine a nommé début octobre un nouveau commandant des forces russes en Ukraine, Sergei Surovikin. Ce général reprend la stratégie qu'il avait mise en oeuvre en Syrie : détruire les infrastructures civiles pour briser la résistance de la population. Après une première campagne de bombardements quotidiens, plus d'un million d'Ukrainiens sont privés d'électricité, alors que l'hiver approche.

Les pompiers luttent pour éteindre l'incendie après le bombardement d'une infrastructure électrique à Rivne - @SICKOBOY_UA

Sur le terrain militaire, l’échec est patent : après la libération de la région de Kharkiv, l’armée ukrainienne progresse désormais à nouveau dans la région de Kherson sur la rive droite du Dniepr. Selon les premières informations qui commencent à émerger, le front aurait été enfoncé sur 15 à 20 kilomètres de profondeur. La perspective de la libération de la ville de Kherson, la seule capitale régionale conquise par les Russes depuis le 24 février, se rapproche, même si la bataille est loin d’être gagnée. La population civile a été contrainte de quitter la ville et aurait été déportée dans d’autres régions occupée et en Russie. Dans le même temps, les soldats russes fortifieraient la ville pour mener un combat urbain meurtrier. Mais certaines troupes seraient évacuées sur la rive gauche du Dniepr dans les conditions très difficiles puisque les ponts ont été détruits et que l’artillerie ukrainienne cible aussi les ponts provisoires installés par le génie russe. La situation de l’armée russe est très difficile et l’état-major tente d’éviter une catastrophe militaire majeure dans le réduit de Kherson où plus de 15.000 militaires seraient positionnés.

L'armée ukrainienne aurait aussi repris des positions aux abord de Bakhmut, dans l'oblast de Donetsk, une ville que l'armée russe et ses supplétifs de Wagner cherchent à conquérir en vain depuis plusieurs mois.

Le front de Kherson au 24 octobre - Twitter @war_mapper
Le front de Kherson au 24 octobre - Twitter @war_mapper

Une stratégie qui s'inspire de la Syrie

Dans sa première interview, le nouveau commandant des forces russes en Ukraine, le général Sergei Surovikin a reconnu que « la situation concernant l’opération spéciale est tendue » et que « l'ennemi n'abandonne pas ses tentatives d'attaquer les positions des troupes russes. » Son discours a préparé l’opinion russe à l’annonce de mauvaises nouvelles, comme le retrait de la zone de Kherson. Il a aussi énoncé le but de la guerre russe : « que l’Ukraine soit indépendante de l’Ouest et de l’Otan, et soit un état ami de la Russie ». Autant dire que ce dernier point est loin d’être atteint…

La nomination, début octobre, de Serguei Surovokin s’est traduite par un changement de stratégie sur le terrain. Lui qui s’était illustré, comme commandant des forces russes en Syrie, par les bombardements aveugles des infrastructures civiles essentielles a repris la même politique. Depuis une dizaine de jours, les centrales électriques ukrainiennes sont systématiquement bombardées. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, dans un échange vidéo avec les dirigeants de l’Union Européenne le 20 octobre, a affirmé que les missiles russes et les drones iraniens avaient endommagé un tiers des infrastructures énergétiques de l’Ukraine à l’approche de l’hiver.

Les russes aurait détruit un tiers des infrastructures électriques ukrainiennes. - Twitter @Rybar
Les russes aurait détruit un tiers des infrastructures électriques ukrainiennes. - Twitter @Rybar

Plus d’un million d’Ukrainiens sont privés d’électricité après ces destructions. Serguei Surovokin semble penser que la volonté de résistance du peuple ukrainien pourrait être brisée par ces campagnes de bombardements massifs, alors que l’hiver approche. Pour le moment, cette stratégie semble vouée à l'échec : un sondage réalisé par le journal Kyiv Independant dévoile que 86% des Ukrainiens veulent continuer à résister contre la Russie malgré la dernière vague de bombardements massifs.

Les drones iraniens à la rescousse

Un drone Shahed-131 abattu par l'armée ukrainienne - Defense express, open source photo
Un drone Shahed-131 abattu par l'armée ukrainienne - Defense express, open source photo

La politique de la terreur ciblant principalement les civils s’est aussi traduite par l’utilisation de drones iraniens. La Russie ne disposait pas de drones kamikazes à longue portée. Elle a donc fait appel son allié qui lui a livré près environ 1.700 drones Shahed-131 et 136, selon le renseignement militaire ukrainien. Rustiques, d’une portée de 900 à 2000 km selon le modèle, ils transportent entre 15 et 22 kg d’explosif militaire. Leur coût unitaire est estimé à moins de 20.000 dollars. Ils sont donc très bon marché. Selon le renseignement américain, l’Iran pourrait aussi livrer des missiles sol-sol de 700 à 2000 km de portée. Si ces armes iraniennes ne changent pas le rapport de force sur le terrain, elles contribuent parfaitement à cette stratégie de terreur pour faire plier la population civile, dans la même logique que le Blitz contre Londres mené par l’Allemagne nazie. Des instructeurs iraniens auraient été aussi envoyés en Crimée et en Biélorussie pour former des militaires russes à l'usage des drones.

Selon Kyrylo Budanov, le directeur du renseignement militaire du ministère de la Défense ukrainien, les russes auraient lancé 222 drones iraniens Shahed en octobre. 30% des drones auraient atteint leur cible et 70% auraient été abattus. Même si un tiers seulement des drones détruisent leur objectif, leur grand nombre et leur faible coût posent un problème à l'armée ukrainienne. La défense sol-air ukrainienne manque de moyens et de nombreux systèmes ne sont pas en mesure de détecter ces petits drones à faible signature radar. La défense aérienne ukrainienne pourrait rapidement épuiser ses missiles sol-air. De plus, la longueur de la ligne de front et des frontières avec la Russie et la Biélorussie rendent difficile la surveillance et la lutte antiaérienne.

Dans le même temps, pour maintenir la pression sur le monde, la Russie retarde délibérément le transit de bateaux de céréales ukrainiennes dans le cadre de l’accord signé sous l’égide des Nations Unies. « Plus de 150 navires sont dans une file d’attente pour remplir les obligations contractuelles d’approvisionnement de nos produits agricoles. Il s’agit d’une file d’attente artificielle, apparue uniquement parce que la Russie retarde délibérément le passage des céréaliers », a fustigé le président ukrainien Volodymyr Zelensky dans une vidéo.

Tous les indicateurs, tout comme le but de guerre réaffirmé par le commandement militaire russe, montrent que la Russie est entrée dans la perspective d’une guerre longue. Après une première mobilisation partielle, Vladimir Poutine a déclaré la loi martiale dans les régions russes bordant l’Ukraine et a aussi signé un décret pour la mobilisation de l’économie en vue de l’effort de guerre. Reste à savoir si les soutiens de l’Ukraine auront cette même volonté de tenir dans la durée…

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