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par Jacques Duplessy

Ukraine : le système D au service de l’armée

Dans tout le pays, des citoyens aident l’armée en fournissant de l’équipement, des drones et des véhicules.

Création de véhicules tout-terrain, drones kamikaze, réparation de blindés, les Ukrainiens se sont mis au service de leur armée. Reportage au coeur du système D.

Un buggy fabriqué de toutes pièces pour l'armée - © Reflets

Dans un bâtiment industriel anonyme de la ville de Zaporizhia, dans l’est de l’Ukraine, Volodymyr et trois autres volontaires soudent des tubes métalliques qui esquissent la carcasse d’un véhicule étrange. Bientôt sortira un nouveau buggy, un véhicule tout-terrain léger qui sera offert à un groupe d’assaut ou aux forces spéciales. Ici, le front n’est qu’à une soixantaine de kilomètres. Derrière le bâtiment, un autre doit être livré dans quelques jours. « Il a 3 places, celle à l’arrière est surélevée et il est prévu une accroche pour fixer une mitrailleuse, explique Volodymyr, un mécanicien qui a perdu son emploi à cause de la guerre. C’est vraiment adapté pour les raids éclairs. » Lui et son équipe en ont déjà livré trois et trois autres sont en cours de fabrication. Avec de nouveaux outils plus performants qu’ils veulent acheter, ils espèrent bientôt en sortir un par semaine. Chaque buggy coûte environ 6.500 €. « Ce ne sont quasiment que des dons privés collectés en Ukraine, par des amis et sur les réseaux sociaux. Nous n’avons obtenu que 5.000 € en Lituanie. Nous sommes tous conscients qu’aider notre armée, c’est vraiment important. »

En pleine création... - © Reflets
En pleine création... - © Reflets

Si les annonces et les images de livraisons d’armement occidental se succèdent, les soldats ukrainiens comptent encore sur le soutien des volontaires pour améliorer l’ordinaire ou se procurer ce qui leur manque. Car avec une ligne de front de 1.200 km de long, les besoins en véhicules et en armement sont énormes.

Partout des garages informels tenus par des volontaires sont nés pour aider l’armée à se fournir en véhicules civiles et les réparer. Parois, ils réparent même des blindés. « Chaque garage a son réseau, ses contacts sur la ligne de front. C’est informel mais très efficace. C’est beaucoup plus souple et rapide que les chaînes logistique de l’armée », explique l’un de ces garagistes.

Dans ce garage privé, on répare aussi des blindés - © Reflets
Dans ce garage privé, on répare aussi des blindés - © Reflets

Temps de pause. - © Reflets
Temps de pause. - © Reflets

Autre secteur où les volontaires apportent une aide essentielle, celui des drones. La guerre en Ukraine a montré l’importance de ces engins volants dans les opérations et surtout la possibilité de militariser à bas coûts des drones civils facilement accessibles et peu chers.

C’est le chantier auquel se sont attelés Petro et ses volontaires. Avec l’argent collectée depuis le début de la guerre, il ont acheté plus de 1.000 drones civils qu’ils ont transformé en engin kamikaze. « Ce sont des drones destinés au sport qui se pilotent avec des lunettes immersives. Ils ont une portée de 8 km. Avec ses accessoires, cela nous revient à 460 €. Et avec ça on détruit du matériel qui vaut des centaines de milliers de dollars. » L’équipe bricole ensuite une attache qui permet de fixer une roquette d’un kilo. « Les militaires choisissent le type de roquette en fonction de la cible, antichar ou antipersonnel. Un premier drone localise la cible et le drone kamikaze est alors envoyé pour la frapper. » Fièrement, il montre les vidéos envoyés par des soldats pour prouver l’efficacité de ces engins. Petro a aussi monté un centre d’entraînement pour former les soldats ukrainiens au maniement de ces engins.

Non loin de là, sur la ligne de front près de Zaporizhia, « Swiat » (son nom de code) est opérateur de drone. Dans la cave d’un immeuble utilisé comme PC par l’armée, il montre fièrement son travail sur son ordinateur. « J’utilise trois types de drone : des quadricoptères pour faire de l’observation et aider à ajuster les tirs d’artillerie, d’autres qui transportent des charges explosives et enfin de drones kamikazes pour cibler des personnels ou des blindés. » Les drones sont intégrés à tous les échelons de l’armée ukrainienne et apportent une aide non négligeable.

Sur l'écran, défilent les vidéos des faits d'armes des drones - © Reflets
Sur l'écran, défilent les vidéos des faits d'armes des drones - © Reflets

A chaque cible son type d'explosif - © Reflets
A chaque cible son type d'explosif - © Reflets

Cette aide informelle concerne aussi l’alimentation. Des volontaires amènent de quoi améliorer l’ordinaire des soldats jusque sur la ligne de front. Une association, Front line kitchen, cuisine pour les soldats des repas chaud livrés quotidiennement. L’accès au matériel de premier secours est aussi amélioré grâce aux dons apportés par les volontaires et les ONG. « Même si l’approvisionnement de l’armée ukrainienne s’est globalement amélioré, certaines unités, notamment de défense territoriale, sont sous équipées. Et partir au combat sans avoir de quoi faire les premiers soins est moralement difficile », explique un volontaire.

L’aide prend parfois une ampleur quasi industrielle. A Dnipro, capitale de la région voisine, à une heure et demie de route de Zaporizhia, Julia Dmytrova a fondé la branche ukrainienne de l’ONG Taps, Tragedy Assistance Program for Survivors. « J’ai croisé cette association lors d’un séjour professionnel aux Etats-Unis et j’ai eu envie de l’implanter en Ukraine après le conflit de 2014, raconte la jeune femme d’une trentaine d’année et mère deux enfants. Elle nous montre fièrement ses photos de viso-conférences avec Hillary Clinton et Michelle Obama. L’association revendique 1.500 volontaires dans cinq bureaux disséminés dans la ville. Nous soutenons de moins en moins les déplacés car il y a beaucoup d’aide par ailleurs, explique la directrice. Nous nous focalisons de plus en plus sur l’aide aux soldats et aux familles de soldats blessés et décédés. »

Dans l’immeuble d’une dizaine d’étages, le quartier général de l’association, l’activité est foisonnante. Ce qui frappe dans l’open space où travaillent les responsables, c’est la jeunesse de ces activistes. Téléphone dans une main, tablette ou ordinateur sur la tables, ils gèrent les commandes, les livraisons et la com sur les réseaux sociaux.

Mais dans les autres étages, la moyenne d’âge est plus élevée. Des retraitées assemblent des filets de camouflage et cousent des tenus pour les snipers. Un peu plus loin, plusieurs chimistes remplissent des sachets de produits chimiques et d’activateur pour réaliser des chaufferettes pour les mains. D’autres préparent des pastilles de carburant solide et soudent des réchauds. A un autre étages, des professionnels de santé préparent des commandes dans les réserves de médicaments et de matériel médical. Dans la cours, un garage et un espace pour peindre des voitures pour l’armée ont été aménagés. Un véhicule tout juste terminé attend de prendre la direction du front.

Tous ont une certitude : la victoire est au bout de leurs sacrifices et de leur ingéniosité.

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