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par Jacques Duplessy

Ukraine : le soin des blessés de guerre est aussi un combat

Reportage dans la région de Dnipropetrovsk

Combien de soldats ont-ils été gravement blessés au front ? Le secret est bien gardé. Sans doute bien plus que ce qui est annoncé par le commandement ukrainien. Nous avons visité un hôpital à Novomoskovsk qui accueille des centaines de militaires blessés.

Bloc opératoire de l'hôpital de Novomoskovsk dans la région de Dnipro, qui accueille des blessés arrivant directement du front - © Reflets

A l’hôpital de Novomoskovsk, une ville industrielle d’environ 70.000 habitants située à 25 km de la capitale régionale Dnipro, Youri, un des deux chirurgiens, nous reçoit entre deux opérations. Son visage traduit un grand épuisement. « Cela fait un an que j’opère chaque jour, sans congé. Et nous ne savons pas combien de temps cela va durer. Nous faisons ici de la chirurgie générale : osseuse, abdominale, thoracique… Bref, tout ce qui se présente. En un an, nous avons beaucoup appris... » Son service comporte au minimum 80 lits, mais il peut monter jusqu’à 100 si besoin.

Cette région d’Ukraine est en première ligne pour recevoir les blessés civils et militaires des zones proches du front. Et il y en a beaucoup. « C’est un flux quasi continu, raconte un personnel soignant. Les mauvais jours, nous avons une queue de 200 mètres d’ambulances... » Mais le chiffre exact est un secret bien gardé.

Les malades s’entassent jusqu’à six par chambre. « Nous ne pouvons pas mettre partout des lits médicalisés car ils prennent trop de place dans la pièce, soupire une infirmière. Alors nous utilisons des petits lits moins confortables et moins pratiques pour les soins. »

Ici les blessés sont stabilisés, opérés si besoin, puis transférés vers d’autres structures plus à l’ouest du pays pour leur convalescence et la rééducation. « En moyenne, nos patients restent trois à sept jour avant de partir ailleurs. Nous ne gardons que ceux qui doivent être réopéré ou ceux qui sont originaire de la région pour qu’ils restent près de leur famille. »

Va et vient d'ambulances incessant depuis la ligne de front  - © Reflets
Va et vient d'ambulances incessant depuis la ligne de front - © Reflets

Petro est devenu un peu la mascotte du service. Ce soldat est hospitalisé depuis près de cinq mois. Son tibia a été salement amoché par un obus. « Après plus de vingt opérations, nous avons réussi à sauver sa jambe, se réjouie Youri. Ce n’était pas gagné vue son état... » Sur ses béquilles, le soldat sourit au personnel et sort fumer une cigarette.

Blessés soignés à l'hôpital - © Reflets
Blessés soignés à l'hôpital - © Reflets

Soudain, cinq ambulances arrivent. Le personnel s’active pour les accueillir et faire le tri, hiérarchiser les urgences. Tout se fait dans le calme. C’est devenu une routine bien huilée.

Avant de retourner au bloc, Youri a une demande à faire au Comité d’aide médicale : la réhabilitation d’une des deux salles d’opération. « La première a été refaite, mais pas la seconde. Cela nous pose des problèmes majeurs pour l’asepsie. » Il rentre dans la salle faire quelque photos pour montrer son état. Sur la table, un patient déjà endormi l’attend. Julia, la représentante régionale de l’association demande aux services techniques de l’hôpital de lui envoyer au plus vite le plan de la salle et un devis du montant des travaux.

Le responsable des services techniques tient à nous montrer les deux générateurs fournis par l’ONG. Ils sont pour le moment remisés car, depuis quatre semaines, il n’y a plus de coupure de courant. L’amélioration est semblable dans tout le pays, sauf les zones pouvant être ciblée par l’artillerie. L’Ukraine a remporté une autre bataille, celle de l’électricité. Les Russes n’ont pas réussi à détruire le réseau électrique et à plonger le pays dans le noir et le froid. Grâce aux centaines de milliers de générateurs importés (on estime leur nombre à 500.000 !), le pays a pu continué à tourner et le réseau a pu être réparé grâce à la mobilisation des services techniques et l’aide internationale. Nous sommes aussi conduits à la laverie. Dans le bâtiment délabré, des vieilles machines datant de l’ère soviétique hors service, trois machines à laver de type domestique et une petite machine industrielle. « Nous lavons quatre tonne de linge par mois dans ces conditions », explique une des deux lingères. Grâce à un financement de la Fondation de France, le Comité d’aide médicale livrera une seconde machine industrielle dans la semaine.

Cet hôpital de Novomoskovsk n’est pas le seul à faire face à une situation compliquée : dans un autre établissement de la ville de Dnipro, la situation est similaire. Il faut pousser les murs pour accueillir les blessés et compter sur l’aide humanitaire pour avoir suffisamment de consommables.

La formation du personnel soignant, et notamment des chirurgiens, est aussi un grand challenge. Dans le service des grands brûlés et de chirurgie réparatrice, des caméras ont été installé au bloc opératoire. Dans une salle attenante, dix internes suivent l’opération en direct commentée par le chirurgien. La guerre est aussi une course contre la montre pour traiter l’afflux de blessés.

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