Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Jacques Duplessy

Ukraine : la Russie prend une claque

Vladimir Poutine choisit la fuite en avant

Le revers est militaire. Plus de 8.000 km2 ont été libérés et une nouvelle ville stratégique, Lyman, a été reprise aujourd'hui par l'armée ukrainienne. Mais l'affront est aussi politique. Poutine a été obligé de décréter une mobilisation partielle et d'annoncer l'annexion des régions occupées après un simulacre de référendum.

Célébration de l'annexion de territoires ukrainiens sur la place rouge le 30 septembre - Kremlin

C'est en grande pompe ce 30 septembre que Vladimir Poutine a célébré l'annexion de quatre régions d'Ukraine partiellement occupées par l'armée russe : les oblasts de Donetsk, Lukansk, Kherson et Zaporizhzhia, soit près de 100.000 km2. « La victoire sera à nous », a crié le président russe. « Bienvenue à la maison », a-t-il aussi lancé à l'adresse des habitants des territoires ukrainiens annexés, affirmant que la Russie leur ouvrait « son cœur ».

Mais ces festivités n'étaient là que pour masquer l'échec militaire sur le terrain. Un peu comme un joueur de poker sur le point de tout perdre qui augmenterait la mise en espérant que ses adversaires se couchent. Alors que l'armée russe était chassée de la région de Kharkiv et reste en mauvaise posture, des simulacres de référendums dans les région occupées ont été lancés dans l'urgence. En quelques jours, sans même un habillage démocratique, ces votes organisés à la va-vite ont donné des résultats staliniens. La commission électorale centrale de la République populaire de Donetsk (DNR) a affirmé que 99,23 % des électeurs ont soutenu le rattachement de cette région à la Russie, à l'issue du dépouillement des 100 % des bulletins de vote, selon les agences de presse russes. Les résultats des autres régions sont à l'avenant.

8.000 km2 libérés

Revenons sur les événements de ces dernières semaines.

Situation du front en Ukraine au 1er octobre - @War_Mapper
Situation du front en Ukraine au 1er octobre - @War_Mapper

L’armée ukrainienne est passée à l’offensive le 6 septembre après plusieurs semaines de préparation : bombardements de dépôts de munition, de ponts, de centres de commandement. Les armes occidentales (les désormais fameux Himars, les obusiers de 155 mm, les obus à guidage GPS) leur ont permis de frapper dans la profondeur et de désorganiser l’armée russe.

Mais la surprise est que l’armée ukrainienne a mené deux offensives simultanément sur les 1.200 km de front.

La première a pris tout le monde par surprise : elle a été lancée dans le nord-est du pays dans la région de Kharkiv. La seconde, dans le sud, était attendue. Les politiques ukrainiens avaient annoncé depuis plusieurs semaine une opération dans la région de Kherson.

Au point que certains commentateurs ont vu une manœuvre d’intoxication de l’armée russe visant à attirer ses troupes dans la bande de Kherson. Cela n’est pas impossible. Et cela a fonctionné puisque plus de 15.000 soldats sont massés dans cette poche. Mais la réussite de l’armée ukrainienne est double : elle a d’une part attiré des troupes russes dans une zone où elles sont particulièrement vulnérables au niveau logistique, et dans le même temps, Kyiv s’est ouvert des opportunités nouvelles d’offensive sur des espaces du front qui avaient été dégarni.

Mais il y a bien une attaque en cours dans la bande de Kherson. Et elle s’annonce longue. L’armée ukrainienne subit des pertes importantes, selon une source locale. Mais le but de cette offensive n’est pas d’avancer vite : son objectif est que cette zone tombe comme un fruit mûr, comme dans la logique du siège d’une citadelle. Car les troupes russes, dos au Dniepr, souffrent d’un manque de ravitaillement. Tous les ponts ont été détruits et les pontons provisoires installés par le génie sont ciblés dès qu’ils sont repérés. L’armée ukrainienne continue chaque jour son travail de sape en bombardant les centres logistiques et mise sur l’effondrement du front. Même si le front change peu, le temps joue en faveur de l'armée de Kyiv.

Dans la région de Kharkiv, l’offensive s'est déroulée de manière plus classique. Profitant du transport des troupes au sud, l’armée ukrainienne enfonce le front le 8 septembre. En quelques jours, l’armée russe s’effondre et fuit en panique. Quelque 8.000 km² sont libérés. Elle abandonne aux Ukrainiens plus de 100 chars et sans doute plus encore de véhicules blindés.

Cette victoire ukrainienne en dit long sur les faiblesses de la deuxième armée du monde. L’armée ukrainienne a rassemblé près de 20.000 hommes et des centaines de véhicules sans être détectée par le renseignement militaire russe qui dispose pourtant de satellites, de moyens d’interception et de forces spéciales. Comment cela est-il possible ? Comme l’écrivait Michel Goya, un expert militaire qui suit la guerre en Ukraine : « Cette attaque n’aurait pas dû réussir. » Une source militaire française interrogée par Reflets commente : « Ils ont sans doute repéré les troupes mais ils n'ont pas su ou pas voulu interpréter ce qui se passait. Dans les dictatures, on veut toujours faire plaisir aux chefs et on minimise ce qui pourrait être une mauvaise nouvelle. »

War games

Ces offensives révèlent a contrario les capacités ukrainiennes. L’armée a été capable de conduire deux opérations complexes en même temps. Elle n’aurait sans doute pas pu le faire seule. Les militaires américains, britanniques et français fournissent quotidiennement des renseignements pour appréhender le champ de bataille et mieux frapper l’armée russe. Les Américains et les Britanniques auraient aidé à la planification des offensives en organisant des « war games », des simulations pour tenter d’obtenir les effets les plus importants sur le terrain. Avec le succès que l’on connaît.

Reste à l’armée russe l’arme de la vengeance sur les civils. La centrale électrique de Kharkiv a été gravement endommagée à plusieurs reprises provoquant d’importantes coupures de courant et d’eau. Les bombardements contre les populations sont quotidien. Dans le sud, un barrage a été frappé par des missiles provoquant des inondations. Et comme à chaque fois, des fosses communes et des chambres de tortures sont mises au jour dans les territoires libérés. Dans la ville d’Izioum, 450 corps ont été découverts, certains avaient les mains liés dans le dos. D'autres charniers auraient été trouvés dans la région.

Mais cette offensive ukrainienne n'est pas terminée. Sur le plan militaire, l'Ukraine garde l'initiative. L'armée russe n'a pas réussi à reconstituer une ligne de défense cohérente le long du fleuve Oskil qui a été traversé par des unités ukrainienne en plusieurs points.

Les ukrainiens à la manœuvre dans les secteurs de Karpivka et de  Lyman - Tom Cooper
Les ukrainiens à la manœuvre dans les secteurs de Karpivka et de Lyman - Tom Cooper

L'armée ukrainienne a ainsi pu poursuivre son avancée au nord et à l'est. La ville de Lyman (plus de 20.000 habitants avant la guerre) a été libérée ce samedi. Environ 5000 soldats russes tenaient cette zone, beaucoup pourraient avoir été capturés.

L'attention se tourne désormais vers Kreminna, une ville clef pour l'armée russe pour rétablir une ligne de défense le long de la rivière Krasna. Un effondrement de l'armée russe dans toute la zone n'est pas à exclure.

Situation dans la région de Lyman au matin du 1er octobre - @War_Mapper
Situation dans la région de Lyman au matin du 1er octobre - @War_Mapper

Chantage nucléaire

Face à ces revers, Vladimir Poutine a choisi la stratégie de la fuite en avant et de la tension. Il a décrété la mobilisation de 1,3 million de soldats. La guerre entre cette fois dans les foyers russes. Le président russe avait pourtant promis qu'il ne mobiliserait pas.

L'affront est aussi politique. Depuis cette annonce, de nombreux Russes quittent le pays, de peur d’être appelés sous les drapeaux. Les images sur les réseaux sociaux montrant des conscrits mal équipés et des chars datant des années 60 témoignent aussi de l'état de la seconde armée du monde.

Vladimir Poutine a aussi relancé le chantage nucléaire. Le 21 septembre, après avoir assuré que « certains représentants haut placés des États de l’OTAN évoquent la possibilité d’utiliser des armes de destruction massive, des armes nucléaires, contre la Russie », il a menacé : « Lorsque l’intégrité territoriale de notre pays est menacée, nous utilisons certainement tous les moyens à notre disposition pour protéger la Russie et notre peuple. Ce n’est pas du bluff. Ceux qui essaient de nous faire chanter avec des armes nucléaires doivent savoir que le vent peut tourner dans leur direction. » Selon le renseignement ukrainien, il probable que l'armée russe utilise une arme nucléaire tactique sur le front.

Autre possible signe de cette fuite en avant, la Russie est aussi suspectée d'être à l'origine du sabotage le 29 septembre des gazoducs sous-marins Nord Stream 1 et 2, comme nous le racontons dans notre article Russie - Europe : il y a du gaz dans l'eau. Un moyen de provoquer un peu plus le chaos sur le marché du gaz.

Discours violent et proposition de cessez-le-feu

Après avoir décrété l'annexion de quatre régions ukrainiennes, Vladimir Poutine s'est lancé dans une violente tirade contre l'occident. « Ils ne peuvent accepter l’idée qu’il existe un si grand pays, avec de telles richesses naturelles et de telles ressources, un peuple qui ne sait pas se soumettre », a-t-il cinglé, poursuivant : « Notre développement et notre prospérité les menacent. (…) Ils refusent que nous soyons une société libre, et veulent nous voir comme une foule d’esclaves sans âme. »

Puis il a proposé des négociations à l'Ukraine (on ne sait pas très bien sur quoi puisque la Russie a formellement annexé les territoires occupés...) et un cessez-le-feu. Habile, alors que son armée en difficulté a besoin de temps pour reconstituer une ligne de défense et faire venir des troupes fraîches.

En réponse, le président ukrainien Zelensky a ironisé : « L'Ukraine est prête au dialogue avec la Russie, mais ça sera avec le prochain président russe. » Dans la foulée, l'Ukraine a demandé vendredi officiellement son adhésion à l'Otan. Une démarche qui n'a quasiment aucune chance d'aboutir puisqu'un Etat en conflit avec l'un de ses voisins n'est pas censé pouvoir y adhérer. Mais cette demande formelle va obliger les membre de l'alliance à se positionner.

Ce même jour, le président Américain Biden a signé un nouveau package d'aide d'urgence de 12,4 milliards de dollars comprenant 4,5 milliards d'aide économique et 7,5 milliards d'équipements militaires, de formations et de fourniture de renseignements. Il ne semble pas y avoir, pour le moment, d'autre solution que celle des armes. La Russie semble tout faire pour ne pas avoir d'autres issues que la victoire militaire et l'annexion de territoires ukrainiens.

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