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par Jacques Duplessy

Ukraine : la paix, arme de capitulation massive de la Russie ?

Les pressions russes pour une paix rapide sont un moyen d'obtenir ce qu'elle n'a pu gagner militairement

Alors que l'armée russe est en difficulté, Vladimir Poutine cherche à gagner du temps et, éventuellement, à geler la situation par une paix, sans doute temporaire, aux conditions russes. Pour tenter de mettre à genoux ce peuple qui ose lui résister et diviser les soutiens de l'Ukraine, la Russie bombarde les infrastructures électriques tout en fustigeant une position « irréaliste » du président Zelensky. La Russie cherche en fait une capitulation déguisée de l'Ukraine et de l'Occident.

Libération de Kherson - Copie d'écran - Twitter

Pour déclencher une guerre, il suffit d’être seul. Pour faire la paix, il faut être deux. Kyiv a posé ses conditions pour entamer des discussions de paix avec Moscou : la souveraineté retrouvée de l'Ukraine sur l'ensemble des territoires situés dans ses frontières de 1991, donc y compris la Crimée, annexée par les Russes après un référendum illégal en 2014.

En Europe et aux États-Unis, des dirigeants et des politiques appellent à envisager la paix. Selon le quotidien américain, le Washington Post, l'administration de Joe Biden tente discrètement d'encourager le président ukrainien Zelensky à négocier avec son homologue russe, pour garantir le soutien des puissances occidentales dans la durée. Une demande, non pas pour ramener Kyiv à la table des négociations, mais plutôt pour montrer une volonté de négocier et ne pas apparaître comme un facteur de blocage. Quelques jours auparavant, le conseiller du président ukrainien, Mykhailo Podoliak, avait écrit sur Twitter que seule une discussion « avec le prochain dirigeant de la Russie » serait efficace. Ambiance...

Dans les actes, le soutien américain est total. L’administration Biden vient de demander au Congrès de valider une aide d’urgence économique et militaire de plus de 37 milliards de dollars pour 2023. Le total de l’aide américaine accordée à l’Ukraine dépasse les 100 milliards, dont 70% pour l’aide militaire.

En France, des voix s’élèvent aussi pour appeler à la paix. Il y a bien sûr la galaxie de l’extrême-droite dont on connaît les liens avec Moscou, la France Insoumise, mais aussi Ségolène Royal, Hubert Védrine ou encore Jean-Pierre Raffarin qui défendent des relations plus apaisées avec Moscou et semblent faire assez peu de cas des crimes commis. De son côté, le président Macron a une position assez ambiguë. Dans son discours prononcé au G20, il a dit souhaiter que Pékin joue « un rôle de médiation plus important » dans la guerre en Ukraine. « La priorité est de faciliter des négociations de paix », a-t-il insisté, appelant à une « résolution pacifique de la crise ukrainienne » par l'intermédiaire de discussions « justes et pragmatiques ». Compliqué de comprendre ce que le président français veut dire. Qu'est-ce que ce pragmatisme : reconnaître les gains territoriaux russes et figer la situation ? C’est justement ce que recherchent les Russes qui sont en difficulté sur le plan militaire.

« La Russie doit rendre la paix possible »

De son côté l’Union Européenne reste ferme. Le 17 novembre, Josep Borell, le chef de la politique étrangère européenne, a déclaré : « Je crains que la Russie ne soit pas prête à se retirer et tant qu'elle ne le fera pas, la paix ne sera pas possible. » Et d’ajouter : « C'est la Russie qui doit rendre la paix possible, l'agresseur doit se retirer s'il veut une paix durable. »

« Il n’y a rien à négocier avant que l’Ukraine ne soit totalement libérée, estime Nicolas Tenzer, professeur à Sciences Po et animateur du blog Desk Russie. On n’est pas dans une négociation syndicale où l’on peut obtenir quelque chose. Là, on ne peut pas négocier l’intégrité territoriale de l’Ukraine. »

Autre son de cloche côté russe. « Tous les problèmes proviennent de la partie ukrainienne qui refuse catégoriquement des négociations et avance des revendications manifestement irréalistes », a déploré le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, en marge du G20. Alors que la Russie tente dans sa communication de faire blâmer l'Ukraine pour son absence de désir de paix, Andriy Yermak, un conseiller du président Zelensky a déclaré que la Russie n'a fait aucune demande officielle de négociation.

Dans la réalité, Poutine est dans une logique de punition des Ukrainiens qui osent lui tenir tête. Pour les mettre à genoux, l’armée russe bombarde quotidiennement les infrastructures électriques pour priver la population de chauffage et d’eau alors que l’hiver arrive et que les premières neiges ont fait leur apparition. Car pour Vladimir Poutine, la paix ne peut se faire que le couteau sous la gorge, aux conditions russes.

Les Ukrainiens semblent pour le moment, une fois de plus, faire preuve de solidarité et de résilience. Le président Zelensky a refusé une trêve pendant la durée de la coupe du monde de foot au Qatar malgré l'appel lancé par Gianni Infantino, le président de la FIFA. Et on le comprend : cette trêve permettrait simplement à l’armée russe de renforcer ses positions défensives dans l’est et le sud de l’Ukraine.

« La paix ne peut se faire que sur trois piliers : l’intégrité du territoire ukrainien, la punition des crimes commis et la réparation des destructions, estime Nicolas Tenzer. Ensuite, on peut négocier l’échéancier des réparations et le calendrier de levées des sanctions contre la Russie sur cette base-là. Mais au-delà de la situation ukrainienne, la question est plus large : comment empêcher la Russie d'être nuisible et un facteur de déstabilisation ? Elle porte à bout de bras le régime syrien, occupe de fait la Biélorussie et défend la Transnistrie en Moldavie pour prendre ces quelques exemples. Si les démocraties ne pensent pas cela, ça sera une défaite stratégique. »

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