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par Jacques Duplessy

Ukraine : l’aide humanitaire repose principalement sur la mobilisation locale

Les grandes organisations peinent à apporter un soutien efficace

Un rapport du think-tank Humanitarian Outcomes montre les difficultés de la mise en place de l'aide d'urgence aux populations civiles. Il montre que durant les trois premiers mois de la guerre, l'aide humanitaire a reposé sur la mobilisation des associations ukrainiennes et de citoyens volontaires. Il pointe aussi la bureaucratie des grandes organisations internationales incapables d'appuyer efficacement les ONG locales.

Le think-tank Humanitarian Outcomes dresse un bilan inquiétant - Copie d'écran

L’aide humanitaire peine à arriver en Ukraine et à être efficace. Dans une note datée de juin, Humanitarian outcomes, un think-tank anglais spécialisé dans la recherche et l’analyse sur les questions humanitaires en dresse le constat et tente d'analyser les freins. Pourtant, l'urgence est là : 16 millions d'Ukrainiens sont réfugiés ou déplacés à l'intérieur du pays. Beaucoup de civils dépendent donc de l'aide humanitaire.

« Bien qu'elles aient collecté d'importantes sommes d'argent dans les premiers jours et les premières semaines de la crise, les organisations internationales n'ont pas été en mesure d'injecter rapidement des ressources pour renforcer et étendre les efforts de réponse locaux existants pendant qu'elles intensifiaient leurs propres programmes. Au lieu de cela, trois mois plus tard, la majeure partie de l'argent n'a pas été utilisée et est restée entre les mains d'organisations internationales qui sont limitées dans leur financement par des exigences de conformité trop lourdes et trop longues à respecter pour les petits groupes de volontaires. Même les objectifs ambitieux et les critères de référence en matière de "localisation" (privilégier les ONG du pays, NDLR) ont été absents des plans d'intervention internationaux, tout comme les outils de base convenus précédemment pour les organisations nationales, tels que des formulaires uniques et unifiés pour simplifier les demandes de financement et les rapports entre les multiples partenaires internationaux », déplore le rapport.

« J’ai constaté ce problème, souligne Natalia Kabatsiy, la directrice du Comité d’aide médicale, une dynamique association locale. Pourtant notre ONG a été fondée en 2000, et nous avons travaillé avec de nombreux partenaires internationaux. Depuis le début de la guerre le 24 février, nous avons levé environ deux millions d’euros de fonds privés et seulement 50.000 € de fonds publics, de l’Organisation Internationale pour les Migrations, versés début juillet. Très peu, très tard… »

L’association a même déliné une aide d'une autre organisation internationale : « Après nous avoir dit qu’ils pourraient nous donner des kits de médicaments et avoir dialogué avec des interlocuteurs qui se succédaient sans cesse, ils nous ont proposé environ 10.000 € pour couvrir le transport de médicaments... que je n’avais pas les moyens d’acheter ! Mais l'argent ne pouvait pas servir à cela… Absurde. Et en plus il fallait remplir un dossier complexe et chronophage. » Dans le même temps, le Comité d’aide médicale a reçu 120 camions d’aide humanitaire de toute l’Europe représentant une valeur de plus de 15 millions d'euros et mené à bien plus de 500 distributions dans tout le pays. « Sur ces 120 camions, plus de la moitié est venue de France grâce à la mobilisation de l’association Safe qui a été notre tête de pont dans votre pays, mais aussi des associations Fondemos, France Aide d’Urgence Secours International (Fausi), la Fédération Nationale de la Protection Civile ou encore la mairie du 15e arrondissement de Paris », explique la directrice du Comité d’aide médicale.

Comme le souligne le rapport, pendant les six premières semaines qui ont suivi l'invasion, la quasi-totalité de l'aide humanitaire à l'intérieur de l'Ukraine a été organisée et mise en œuvre par les acteurs locaux, dont environ 150 ONG nationales préexistantes, et environ 1.700 groupes d'aide locaux nouvellement créés. Un secteur d'aide informel s'est développé de manière organique, les groupes suivant en grande partie un modèle opérationnel similaire : des volontaires mettant en commun leurs ressources personnelles, répondant aux demandes d'aide dans leur région, et élargissant progressivement leur portée à mesure que les ressources leur permettent d'étendre leur champ d'action. Ces groupes (ainsi que les autorités locales) restent les principaux fournisseurs d'aide mais ils sont rapidement à court de fonds et de carburant. Les groupes qui se développent activement et s'enregistrent en tant que nouvelles organisations d'aide l'ont fait en trouvant des donateurs, pour la plupart en dehors du secteur humanitaire officiel, souligne le rapport.

Un graphique résume bien la répartition de la mobilisation humanitaire dans le pays.

Les acteurs humanitaires en Ukraine en fonction du nombre d'organisations et de leur nombre de personnels. - Humanitarian Outcomes
Les acteurs humanitaires en Ukraine en fonction du nombre d'organisations et de leur nombre de personnels. - Humanitarian Outcomes

Parmi les organisations d'aide internationale déjà engagées en Ukraine, un manque de préparation et de planification d'urgence en cas d'invasion russe à grande échelle a fait perdre du temps à l'arrivée de l'aide, soulignent les auteurs du rapport. Les combats dans certaines parties du pays constituent un sérieux obstacle pour de nombreuses organisations, y compris celles qui opéraient en Ukraine avant la guerre, la plupart d'entre elles étant passées à des activités non urgentes. Au moment de la rédaction de ce rapport, une vingtaine d'ONG internationales, ainsi que les agences humanitaires des Nations-Unies et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), avaient du personnel et des programmes en cours de démarrage en Ukraine. Mais les données opérationnelles et les documents de communication ont tendance à surestimer la présence de l'aide internationale en Ukraine, qui reste essentiellement concentrée dans l'ouest du pays et de l'autre côté de la frontière, déplore Humanitarian Outcomes.

Une analyse partagée par la directrice du Comité d'aide médicale. « Il y a eu beaucoup de contacts sans suite et de gesticulation, et pas beaucoup d'aide concrète des grandes organisations, même si c'est en train de changer. Heureusement que nous avons pu compter sur la mobilisation des citoyens européens et de la société civile ukrainienne, se réjouit Natalia Kabatsiy. Sinon la catastrophe aurait été encore plus grande. »

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