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par Antoine Champagne - kitetoa

Tout va très bien à la FCPE, Madame la marquise…

Pointer les dysfonctionnement, c'est se faire instrumentaliser ?

La fédération de parents d'élèves traverse une crise. Financière mais aussi de gouvernance. Des querelles de clocher pour les postes et le pouvoir minent le travail de terrain des adhérents.

Affiche du film Clochemerle - D.R.

A lire les propos de la direction nationale de la FCPE, tout va très bien au sein de la première fédération de parents d’élèves, la FCPE. Le récent congrès annuel a toutefois été une sorte de désastre. Vote électronique aléatoire, modification après le congrès des résultats d’un des votes, délégués absents, démission annoncée d’un administrateur (trésorier adjoint) mais finalement repoussée par la direction, non adoption du rapport financier 2018, tous les ingrédients étaient réunis pour saper le moral déjà assez bas de la base.

Il faut remonter le temps pour comprendre comment on en est arrivé là. Les querelles de clocher se multiplient au sein des fédérations locales et de la direction nationale. Plusieurs « courants » s’opposent pour conserver les postes, les pouvoirs qui vont avec. Ces courants sont souvent liés à des lignes politiques (Parti Socialiste, Insoumis).

Dans le Pas de Calais, en 2016, la présidente locale, Karine Dupuis, a vécu un conflit ouvert avec la présidente de la fédération nationale, Liliana Moyano.

Dans les Bouches-du-Rhône, les élus des conseils locaux des écoles, collèges et lycées du département ont découvert une situation abracadabrantesque. Impossible d’avoir accès aux comptes bancaires, locaux départementaux de la FCPE 13 fermés, tout comme la page Facebook où s’exprimaient des critiques contre le président départemental, Jean-Philippe Garcia

Plus récemment, c’est Carla Dugault, ancienne dirigeante de la fédération de l’Essonne, devenue n°2 de la fédération nationale et proche de Liliana Moyano (qui vient de quitter son poste), qui a fait face à la défiance d’une dizaine d’administrateurs de l’Essonne.

Une plainte classée sans suite dans l'Essonne

En 2017, ces administrateurs nouvellement élus, alertent la présidente nationale, Liliana Moyano, de l’existence de « manquements graves à l’éthique » ainsi que de « manquements graves dans la comptabilité de l’association ».

Ils ont pu consulter la comptabilité des années 2016 et 2017 et pointent des factures, pour un montant de 7 000 euros, non justifiées avec notamment des déjeuners, petits déjeuners ou achats à la Fnac de jeux vidéo. La direction nationale s’en lave les mains et fait savoir par son secrétariat que « La fédération et sa présidente n’ont pas à intervenir dans les affaires internes d’un CDPE » (conseil départemental). Les administrateurs démissionnent après avoir constaté que Carla Dugault refuse de s’expliquer sur les points qui fâchent. Ils refusent de prendre le risque d’être associés à ce qu’ils pensent être des dysfonctionnements graves.

La justice est saisie. L’enquête est transmise au parquet d’Evry qui classe l’affaire estimant l’« infraction insuffisamment caractérisée ». Ulcérés, les administrateurs démissionnaires envisagent de se constituer partie civile. « Si Mesdames Dugault et Riva ont apporté des réponses aux questions que se posaient mes clients et auxquelles elles ne voulaient pas répondre, nous nous en félicitons. Nous allons demander le dossier pour le vérifier. Si, au contraire, le parquet n’a pas obtenu de réponses satisfaisantes et si cette plainte a été classée sans que, par exemple, les comptes précédant les années 2016 et 2017 aient été vérifiés, nous envisageons de saisir le procureur général ou le doyen des juges d’instruction en nous portant partie civile », indique Me Jean-Baptiste Rozès, l’avocat des onze administrateurs démissionnaires. Il est en effet probable que pour 7000 euros litigieux, le parquet ne se soit pas lancé dans une longue enquête. Pourtant, l’examen minutieux des comptes des années précédentes non consultés par les démissionnaires aurait peut-être pu être utile pour apaiser les esprits.

Le jeudi 17 mai, précédent le congrès annuel de la FCPE qui se tenait le week-end, l’auteur de ces lignes publiait dans les colonnes de Mediapart un article sur les problèmes variés de la FCPE et notamment sur l’enquête transmise au parquet d’Evry. Le lendemain, Carla Dugault et la FCPE nationale publient des communiqués indiquant que l’affaire était classée par le parquet. Et sous-entendait clairement que Mediapart avait été instrumentalisé pour déstabiliser la FCPE à la veille de son congrès annuel. Les deux communiqués font parler le parquet d’Evry :

« Or, au terme de l’enquête menée par le parquet d’Evry, cette plainte a été classée sans suite, les investigations ayant permis au magistrat de récolter suffisamment d’éléments pour juger qu’il n’y avait pas lieu d’engager des poursuites. En particulier, deux rapports rendus par un cabinet de commissaires aux comptes indépendant sur les exercices 2016 et 2017 ont permis de s’assurer qu’aucune dépense d’ordre privé n’avait été remboursée par la FCPE. Quant à la diminution des disponibilités sur le compte bancaire de l’association, elle est directement liée à la suppression de la subvention annuelle versée jusque-là par le Département de l’Essonne ».

et :

« Ce classement de la plainte par la justice signifie que l’enquête a permis au magistrat de récolter des éléments probants, justifiant l’arrêt des poursuites. Les deux élues de la FCPE mises en cause ont donc apporté des preuves qu’aucune illégalité n’avait été commise et en particulier qu’aucune dépense d’ordre privé n’avait été remboursée par la FCPE. Par ailleurs, il est apparu que la diminution des disponibilités sur le compte bancaire de l’association était directement liée à la suppression de la subvention annuelle versée jusque-là par le Département de l’Essonne. »

Jusqu’à preuve du contraire, le parquet ne s’est pas exprimé sur la véracité ou pas des allégations des plaignants, mais a simplement classé l’affaire.

Surtout, ce que Carla Dugault et Liliana Moyano se gardent de préciser, c’est qu’elles ne savaient pas elles-mêmes, la veille de leur communiqué, que l’affaire avait été classée. Leur avocat Me Philippe Bluteau précise en effet à Mediapart : « Je me suis rapproché du procureur après la publication de l’article de Mediapart. Il m’a confirmé ce vendredi que la plainte était classée sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée ».

Divine surprise…

Tu vas voir à la récré...

Le communiqué de Carla Dugault posté un temps sur le compte Facebook de la FCPE 91 va plus loin : « _Dès l’annonce du dépôt de la plainte par la presse quotidienne régionale, en janvier dernier, nous avons introduit une plainte pour dénonciation calomnieuse contre les initiateurs de cette démarche. Notre plainte, elle, n’a pas été classée sans suite... _».

Des journalistes locaux ont fait le tour de leurs contacts auprès des commissariats de la région. Pas de trace de cette plainte. Pour notre part, nous avons pu confirmer qu’aucune plainte de ce type n’était arrivée sur le bureau du procureur d’Evry. Dans la guerre des communiqués, Carla Dugault n’est pas une débutante inexpérimentée.

En revanche, Carla Dugault et Liliana Moyano ont soigneusement évité de communiquer sur les problèmes financiers de la FCPE ou de gouvernance exposés dans les deux articles de Mediapart.

Les articles de Mediapart, qui ne sont pas les premiers à évoquer le malaise croissant au sein de la fédération de parents d’élèves soulignaient la déconnexion entre les parents d’élèves sur le terrain qui se battent pour les enfants scolarisés et les instances dirigeantes, empêtrées dans des querelles de clocher dignes de celles d’un syndicat de copropriétaires.

Démission du vice-président

Le congrès de Brest n’a pas permis de retrouver une unité.

A tel point que le vice-président, Hervé Jean Le Niger, a immédiatement -et à la surprise générale- démissionné. Hervé Jean Le Niger a refusé de répondre à nos questions mais s'est fendu d'une lettre publiée sur les réseaux sociaux qui trahit des querelles internes soutenues :

Lettre de démission de Hervé le Niger - Réseaux Sociaux - CC
Lettre de démission de Hervé le Niger - Réseaux Sociaux - CC

A peine achevé, les CDPE 02, CDPE 06, CDPE 22, CDPE 23, CDPE 29, CDPE 35, CDPE 39, CDPE 62, CDPE 64, CDPE 67, CDPE 90, CDPE 94, CDPE 974 publiaient quant à eux un communiqué peu amène :

« Le congrès de Brest qui s’est tenu les 19,20, 21 mai 2018 a montré qu’une crise profonde, durable, traverse notre fédération. Crise que l’on peut qualifier d’historique et unique depuis la création de la FCPE en 1947. Jamais dans l’histoire de la fédération, nous n’avons connu une telle situation : rapport financier et résolutions financières ont été rejetés par les congressistes. Ces résultats doivent tous nous interpeller, ils montrent en effet qu’une crise structurelle sur les finances existe. (…) A cette problématique, s’ajoute la question de la démocratie dans la vie fédérale. (…)Aucune procédure électorale écrite n’a été produite, aucun bureau des litiges n’a été constitué malgré les demandes répétées de plusieurs assesseurs. Le vote électronique a été un véritable parcours du combattant où les connexions, faute de débit suffisant, ont entrainé en cours de scrutin une ou plusieurs coupures avec la probable perte de certains votes, ne permettant pas la confidentialité du vote pour beaucoup de délégations. Plus grave encore, lors de la proclamation des résultats, le nombre de mandats affichés par certains CDPE ne correspondait pas à ceux qu’ils avaient en leur possession. (…) une modification de résultat après proclamation des résultats, comme cela a été le cas pour le rapport d’activité qui passe de 49.33 % en séance plénière à 50.07 % une fois le congrès clos, adoptant ainsi le rapport d’activité hors congrès ».

Par ailleurs, l’élection de Raymond Artis, le trésorier de la FCPE à la présidence de l’association ne devrait pas calmer les esprits chagrins qui avaient rejeté au congrès de Brest et précédemment au congrès de Biarritz les rapports financiers qu’il avait contribué à élaborer…

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