Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par drapher

Effondrement de la civilisation : social, environnement et économie dans le même bateau ?

Du rapport Meadows au modèle "Human And Nature Dynamical"

Depuis 1972, avec le rapport du Club de Rome commandé à Dennis Meadows du MIT, la fin de la civilisation industrielle est annoncée pour 2020-2030. 46 ans plus tard, le début de la fin a commencé, confirmé par d'autres modèles informatiques. Bienvenue dans un monde finissant.

Copie d'écran du jeu "The Last of us" - Screenshot de Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=wcNvgK-Y4Gc

La collapsologie a été définie en 2015 et si elle n’est pas une science en tant que telle, elle met à contribution de nombreux domaines d’études permettant de vérifier et prédire l’écroulement de la — désormais unique — civilisation humaine basée sur un système économique commun, le « capitalisme mondialisée » ou ultra-libéralisme, néo-libéralisme, économie financiarisée [cochez la case de votre choix]. La démission de Nicolas Hulot n'est pas étrangère aux travaux de modélisation informatique annonçant la fin du monde industriel en cours, le ministre étant très au fait des rapports scientifiques qui circulent sur le sujet.

Mais ce n’est pas la première fois que des chercheurs tentent d’observer l’aspect systémique des sociétés humaines modernes dans leur dimension d’auto-destruction possible. Le célèbre rapport du Club de Rome de 1972 (The Limit to Growth, Dennis Meadowhall, MIT) annonçait déjà une limite au développement humain sur Terre, menant d’après les modèles de l’époque, à un « écroulement général de la civilisation industrielle » dans la première moitié du XXIème siècle. Ce rapport basé sur un modèle informatique, le World3, a été révisé et confirmé dans ses conclusions en 1993 puis en 2004.

Modèle World3
Modèle World3
(infographie : article "1972, le rapport du club de Rome", par Pablo Servigne, plusconscient.net)

A l’époque, les ressources énergétiques — dont le pétrole au premier chef — étaient un facteur important du futur effondrement. Mais la démographie et la pollution de l’environnement y étaient aussi analysées, tout comme la problématique de l’accès aux ressources : agricoles, hydriques, etc. 40 ans plus tard, les prophètes de « la fin du monde industriel » par modèles informatiques reviennent à la charge avec des outils 1000 fois plus puissants qui ingurgitent des données en quantités colossales, provenant d’un nombre de domaines le plus vaste possible. Et les résultats annoncent toujours la limite du « système humain en place » à quelques années ou décennies, à partir de 2020, eux aussi. [Une critique, tout de même, faite aux « collapsologues » existe : le système économique global n’y est pas analysé en tant que tel.] Les rapports alarmistes sur l’impossibilité de maintenir, améliorer les sociétés humaines, s’empilent, avec comme point commun, la fin de la civilisation humaine, industrielle, telle que nous la connaissons depuis, disons… 70 ans.

Quand les milliardaires cherchent des solutions pour se protéger

Un article de Douglas Rushkoff, intitulé "De la survie des plus riches", traduit et publié récemment sur le blog de Paul Jorion, explique comment ces "modèles prédictifs de l’effondrement" sont pris très au sérieux par ceux qui sont les mieux placés pour les comprendre : les capitaines d’industries milliardaires, au cœur du pillage en règle de la planète et de l’injustice sociale globale en permanente progression.

Rushkoff est un spécialiste de la critique des médias et du numérique qui tente depuis plus de dix ans de comprendre les effets qu’Internet et les technologies de l’information provoquent sur les sociétés. Cet essayiste (de grand talent) a donc été appelé pour une conférence (fort chère payée) qui s’est révélée être en réalité un entretien avec une poignée de milliardaires lui demandant de les conseiller sur les meilleures actions à mener en prévision du "grand effondrement" à venir. Quelles actions personnelles pour se protéger : de leurs employés, de la famine possible, de la violence, des meilleurs investissements technologiques à faire en prévision du « nouveau monde » post-effondrement à venir, etc…?

La réponse de Rushkoff est évidemment décalée face aux attentes des « fossoyeurs en col blanc de la civilisation », puisqu’il leur conseille dès maintenant de prendre soin de leurs employés, d’améliorer le sort du plus grand nombre, de mettre en fait leur puissance financière au service d’un mieux disant social, environnemental et économique. Les capitaines d’industrie ne semblent pas très intéressés par cette solution, pour une raison simple : ils ne croient pas un seul instant que le mouvement en cours vers l’effondrement puisse être stoppé ou ne serait-ce que ralenti…

Machine emballée : où sont les leviers les plus importants ?

Les différentes théories prédisant un effondrement de civilisation proche ont en commun d’offrir une approche globale du problème de gestion humaine des ressources. De toutes les ressources. Dont les « ressources humaines », si chères aux responsables éponymes des entreprises participant à la compétition de maximisation des profits (il existe des entreprises capitalistes n’entrant pas dans cette catégorie, comme des coopératives, mais c’est un autre sujet).

Ce qu’il en ressort de façon globale et incontestable est que « tous les voyants sont au rouge ». L’énergie va manquer ou sera trop chère à créer, trop polluante et les solutions de transition ne peuvent pas suffire ou causent des dégâts environnementaux tels qu’il vaudrait mieux ne pas les utiliser. Les pollutions sont en constante progression et atteignent une telle ampleur que la limite de rupture pour des écosystèmes est déjà en cours dans de nombreux endroits de la planète. La biodiversité planétaire est en voie de destruction quasi complète. L’alimentation d’une partie importante de la population n’est plus garantie, les problèmes engendrés par la spéculation sur les marchés des matières premières créent des tensions sociales de plus en plus vastes et récurrentes. Chaque secteur de la vie humaine est touché négativement et ne cesse de s’amplifier vers une limite toujours plus inquiétante en terme de qualité de vie des populations.

Ainsi, les ressources en eau potable sont désormais contaminée en très grandes proportions entre autres par des produits chimiques, causes potentielles de pathologies, dont des cancers. La liste est longue et le constat très clair : le stress planétaire est total et ne fait que s’amplifier sans autre issue qu’une rupture déclenchant un « collapse » global : la fin des sociétés humaines telles que nous les connaissons. Une nouvelle ère géologique a même été créée pour nommer cette mutation planétaire : l'Anthropocène.

On continue à dire qu'on peut maîtriser le climat, mais il n'en est rien, il n'y a plus de moyens de l'influencer.

Face à cette machine emballée, les décideurs politiques ne peuvent pas rester muets et parlent "d’activer des leviers" pour freiner, voire éviter la catastrophe. Le plus souvent, ce sont des leviers techniques comme ceux vendus par Emmanuel Macron, lançant son fameux « Make the planet great again », estimant que suivre les accords de Paris de la COP21 était régler une grosse partie du problème écologique mondial.

Selon une étude de l’OMS il n’y aurait chaque année pas moins de 3,6 millions de morts dus à l’eau non potable et à l’absence d’assainissement et d’hygiène, dont 90 % d’enfants et adolescents de moins de 14 ans (…) Ce serait 1,9 milliard de personnes qui boiraient de l’eau dangereuse auxquelles il faut ajouter 1,6 milliard d’autres qui consommeraient de l’eau douteuse. « L’ensemble eau dangereuse et eau douteuse est estimée à 3,5 milliards de personnes soit la moitié de l’humanité » (Article : "L’eau potable ne coule pas de source ! Cairn.info)

Il va sans dire que les spécialistes tel Dennis Meadows, le chercheur du MIT ayant produit le modèle annonçant la fin de la société industrielle en 1972, ne cautionnent en aucune manière cette approche par leviers : ce ne sont pas des leviers qu’il faut actionner selon Meadows, mais un modèle social, politique et économique qu’il faut changer totalement…

Extrait interview Meadows - http://plusconscient.net/
Extrait interview Meadows - http://plusconscient.net/

Extrait d'une interview de Dennis Meadows en 2012, lors de la traduction de son rapport en français.

La croissance et la redistribution des richesses au cœur du problème

L'étude parrainnée par le Goddard Space Flight Center de la Nasa, en 2014 et dirigée par le mathématicien Safa Motesharri (National Science Foundation) a été un nouveau coup de tonnerre dans la prédiction mathématique de l'effondrement civilisationnel. Le modèle informatique nommé "Human And Nature Dynamical" de Motesharri prévoit lui aussi un écroulement de la civilisation industrielle avant la moitié de ce siècle. Par deux causes principales : la mauvaise gestion des ressources et les trop grandes inégalités sociales. Ce que dit Meadows est similaire, mais axé sur un facteur central qui touche tous les autres et agit en cascade : la croissance.

Le chaos de la zone euro a le potentiel de mettre au pouvoir des régimes autoritaires.

Dennis Meadow explique depuis 46 ans qu’il n’est pas possible de maintenir les sociétés humaines sur Terre en les développant sur le modèle de la croissance économique, donc industrielle. Ce modèle du « tout croissance » fabrique les inégalités, démolit l’environnement et amène à une fin annoncée des sociétés modernes, selon le chercheur. Plusieurs éléments politiques pour l’Europe sont à noter dans les analyses de Meadows, dès 2012 dans une autre interview, et se réalisent aujourd’hui : la demande des populations… de politiques autoritaires.

"Je pense que nous allons voir plus de changement dans les vingt ans à venir que dans les cent dernières années. Il y aura des changements sociaux, économiques et politiques. Soyons clairs, la démocratie en Europe est menacée. Le chaos de la zone euro a le potentiel de mettre au pouvoir des régimes autoritaires." (Dennis Meadows, Le Télégramme de Brest, le 30 mai 2012)

Quand l’effondrement commence, dans un système basé sur la croissance, les personnels politiques en place, calés sur la « démocratie libérale » n’ont rien à proposer pour l’empêcher. Leur unique offre étant justement… plus de croissance et plus de "libéralisme". Les populations, inquiètes, stressées, déclassées, sous pression, de plus en plus mal soignées, de plus en plus mal éduquées, mal payées, mal protégées socialement, se tournent alors vers les propositions politiques de type « populistes autoritaires ». Ces dernières, opposées par essence à la démocratie libérale, à la mondialisation, deviennent une sorte de rempart contre l’écroulement en cours, et ce, de façon logique : le populisme place au cœur de sa politique la protection des intérêts… populaires et de la nation, dans toutes ses dimensions. Mais avec une constante en adéquation avec la demande électorale : le retour de « l’ordre » face au « chaos en cours provoqué par les politiques libérales ».

L’élection de Donald Trump n’est rien d’autre que la traduction de ce mouvement de crainte et de repli, de demande de protection face à l’effondrement de la société américaine en cours. En Europe, le Brexit participe aussi de cet élan protectionniste, tout comme l’arrivée au pouvoir des partis d’extrême droite, souverainistes, populistes, nationalistes (cochez les case de votre choix) en Italie, Hongrie, Pologne, Autriche, etc…

Le début de la fin… puis quoi ?

L’arrivée ou le maintien au pouvoir des politiques autoritaires semble inéluctable dans le moment d’effondrement en cours. Au Japon, aux Philippines, en Chine, au Vietnam, dans une majorité de pays africains, en Amérique latine, en Russie, au Proche et Moyen-Orient, en Turquie, des régimes autoritaires, nationalistes, sont en place ou débutent. Le début de la fin des système démocratiques tels que nous les avons connus depuis la fin de la seconde guerre mondiale est en cours. Les peuples crient vengeance et s’en remettent à des autocrates censés empêcher la chute qui se déroule sous leurs yeux : celle où travailler et gagner suffisamment pour vivre correctement n’est plus possible. Où la maladie rôde au détour de chaque aliment, activité, où se soigner correctement est réservé aux minorités les plus aisées, où les services publics ne jouent plus correctement leur rôle, où l’isolement et l’exclusion se massifient.

Prévoir précisément comment va se conclure cet écroulement reste difficile. Le système financier est un facteur influent du collapse final, les mouvements sociaux de contestation aussi, surtout quand les morts commencent à s’accumuler sous les effets conjugués de la détérioration sociale, environnementale et économique. Les politiques autoritaires devraient aussi accélérer le processus de désagrégation en cours, puisqu’elles ne sont pas plus prêtes à changer le modèle basé sur la croissance que les autres. Mais leur capacité à réprimer et déclencher des conflits pourrait par contre jouer en faveur d'une accélération du collapse.

"A la fin, on va tous mourir » comme disait l’autre… Mais avec l’effondrement annoncé de la société industrielle, nous ne savons pas à quoi correspondra ce « tous ». Les plus optimistes estiment qu’un arrêt du système mondialisé et financiarisé, industriel, obligerait à recréer un nouveau modèle, non plus basé sur la croissance, mais sur le bien-être humain.

Pourquoi pas. Mais pour y arriver, il risque d’y avoir de sacrées secousses… avec pas mal de pertes.

Graph rapport Meadows évolutions
Graph rapport Meadows évolutions

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