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par Gaël Dahnal

Terres de Gandhaäl (3) – Livre 1 : « Fondations »

Danda ouvrit les yeux. Il ne vit rien d'autre qu'une nuit d'encre. Il tendit l'oreille. Aucun son ne lui parvint. Il remua la main droite et tâtonna du bout des doigts. Du cuir, lisse et froid. Ses jambes étaient ankylosées mais il parvint à les replier puis à les basculer sur le côté. Son dos le lançait et une pluie de petites piques se projeta du bas de sa nuque et pénétra son cerveau.

Danda ouvrit les yeux. Il ne vit rien d'autre qu'une nuit d'encre. Il tendit l'oreille. Aucun son ne lui parvint. Il remua la main droite et tâtonna du bout des doigts. Du cuir, lisse et froid. Ses jambes étaient ankylosées mais il parvint à les replier puis à les basculer sur le côté. Son dos le lançait et une pluie de petites piques se projeta du bas de sa nuque et pénétra son cerveau. Une douleur aigüe s'ensuivit qui l'obligea à fermer les yeux et serrer la mâchoire pour ne pas hurler de douleur. Une constellation d'étoiles clignotantes remplit son champ de vision puis s'estompa, faisant de nouveau place à la nuit d'encre. Le souvenir du banquet et de la jeune femme revint en une succession d'images colorées qui donnèrent le frisson à l'ambassadeur d'Anglar. Il avait crû contrôler la situation, distribuer des cartes. C'était un leurre. Il avait été manipulé, jouet docile et naïf des Golgiens. Cette pensée lui procura immédiatement un sentiment de révolte et de dégoût qui se manifesta par un regain d'énergie. Il parvint à relever le buste. Ses yeux commençaient à s'habituer aux ténèbres qui enveloppaient la pièce. Un mince filet de lumière grisâtre filtrait d'une persienne sur sa gauche, il se leva pesamment et s'en approcha à pas mesurés. Les volets s'entrouvrirent sous la poussée qu'il effectua des deux mains. La monumentale cité de Khaäl-Nezbeth apparut, telle un monstre tentaculaire aux protubérances grossières et purulentes. La vue des milliers de tours chargées de sculptures obscènes, des esclaves empalés le long des pontons de pierres volcaniques, de la brume épaisse et grise qui serpentait entre les ruelles tortueuses donnèrent la nausée à Danda qui ne put se retenir de vomir violemment toutes ses tripes. Que faisait-il ici? Ce n'était que folie de sa part d'avoir pu penser convaincre les buveurs de sang de s'allier à l'empire marchand. Mais pourquoi était-il encore en vie, que voulaient donc de lui Ziäd et son sorcier?

Le petit homme détourna le regard de la ville, cracha par terre et s'essuya les lèvres rageusement du revers de sa veste. Il n'y avait pour tout mobilier dans la pièce que ce lit recouvert d'une pièce de cuir usé. A l'autre extrémité, une porte de bois bardée de pièces de métal. Il s'en approcha et tourna le loquet. A sa plus grande surprise l'anneau de métal s’actionna sans bruit et la porte joua sur ses gonds. Un couloir où brûlait une torche presque consumée. Désert. Danda n'osait pas avancer, son estomac était noué et il eut de nouveau envie de vomir. A l'instant où il s'apprêtait à rebrousser chemin, une voix inconnue, aigrelette, jaillit du couloir.

— Sieur Danda, c'est un plaisir de vous voir remis ! Venez, venez, vous êtes attendu, n'ayez aucune crainte, approchez.

Le vieux diplomate, chancelant, fouilla du regard le sombre couloir sans parvenir à identifier celui qui s'adressait à lui en langue commerçante, le Gandh, de façon parfaite. Une ombre de très petite taille s'anima à quelques pas. Danda baissa les yeux et vit alors son interlocuteur. C'était une créature à la peau grise, pas plus haute qu'un enfant de quatre ou cinq cercles. Sa tête, chauve, était disproportionnée par rapport au reste du corps, tordu et chétif. Un visage immonde aux yeux globuleux flanqué de deux fentes à la place du nez, à la bouche dépourvue de lèvres. C'était un Chtoïn, l'émissaire en avait déjà croisés plusieurs années auparavant dans une armée Morglangienne. Celui-ci était particulièrement laid et dégénéré. La créature grimaça un sourire et fit une courbette.

— Nos maîtres sont très contents de vous, ils vous attendent. Si vous voulez bien me suivre...

Danda resserra les pans de sa veste de fourrure et s'engagea derrière le Chtoïn qui déjà disparaissait déjà à l'angle du couloir.

*  * *

Un sablier avait suffit pour conclure les premiers termes d'un futur accord entre les deux cités. Danda n'en revenait pas encore. Il passait et repassait en revue cette dernière rencontre alors qu'il approchait des côtes de l'empire marchand d'Anglar, accoudé au bastingage du même navire qui l'avait conduit jusqu'au Ghöl-Amgöth, sans comprendre encore comment cela avait été possible. Le Chtoïn l'avait conduit jusqu'à Ziäd alors en pleine séance de massages. Allongé sur une couche jonchée de fourrures, visiblement détendu et satisfait, celui-ci l'avait félicité pour sa bonne volonté vis à vis du véritable maître de la cité des prêtres noirs, le Kendaï Shubda, grand régent des démons et de la luxure. Danda avait alors compris à cet instant quelle était l'identité de la splendide jeune femme qui l'avait envoûté au cours du banquet. Lui qui croyait rencontrer l'homme-dieu au cœur d'un temple dédié à sa gloire, tremblant et agenouillé, avait en fait copulé avec lui sur une table d'auberge.... Ziäd lui avait ensuite fait part du vif intérêt que ses propositions d'alliance commerciales avaient suscité. Trois rouleaux de parchemin lui furent confiés, cachetés de cire, qu'il ne devrait ouvrir qu'une fois en présence des dirigeants d'Anglar. Déstabilisé mais enchanté par la tournure des évènements, le vieux diplomate avait ensuite longuement conversé avec le seigneur de Khaäl-Nezbeth des possibilités qu'offriraient ces échanges entre l'empire sombre et la jeune nation marchande. C'était un songe, la situation était rocambolesque. Ziäd l'avait remercié de sa visite, assuré de son amitié et le fit même raccompagner jusqu'à son petit deux mats accompagné par une troupe de délégués officiels et d'esclaves porteurs de caisses remplies de cadeaux pour le vaillant Seghuenor, prince d'Anglar. Là on lui souhaita bon voyage. Il levèrent l'ancre sans encombres, l'équipage était au complet. Danda resta debout à l'arrière du bateau à observer la cité des prêtres noirs jusqu'à que les tours effilées ne soient plus qu'une nuée de petits points sombres qui se confondirent avec les écharpes de brumes courants sur les vagues. Le capitaine ne lui posa aucune question. C'était la règle qui avait été établie dès le départ de l'expédition. Ils étaient désormais, après une semaine de mer, à quelques encablures de la cité des mille marchés. Danda voyait étinceler la coupole de verre du palais encore en construction. Il avait réussi. Un sourire victorieux s'épanouit sur ses lèvres. Dans quelques heures il irait au palais apporter l'incroyable nouvelle: l'empire sombre, par le biais de sa deuxième cité, acceptait de s'allier à la première nation humaine des terres de Gandhaäl !

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