Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine Champagne - kitetoa

Taxe carbone, CICE, MacronLeaks et la belle histoire

Tout le monde repeint la réalité

Juan Branco annonce une information exclusive sur Twitter : des mails des MacronLeaks révèlerait que le produit de la taxe carbone serait détournée au profit des allègements de charges des entreprises. Pas si simple... Tout le monde pipeaute, Emmanuel Macron, ses ministres et Juan Branco.

Le fameux joueur de pipeau - D.R.

Méchante presse qui ne reprend pas le scoop énorme de Juan Branco : "Des faits avérés, des sources béton, la révélation d'un mensonge d'État à l'origine d'une révolte majeure qui a fait trembler tout un pays, mourir dix personnes et blesser des centaines, explosé un régime, et 24h après, pas une reprise dans les média. Continuez comme ça les gars.". De quoi s'agit-il ? L'avocat Juan Branco a découvert dans des mails figurant dans les MacronLeaks que la taxe carbone ne finançait pas la transition énergétique, mais le CICE. En d'autres termes, les factotums du futur président (à l'époque des mails cités), expliquent que le produit de la hausse du diesel prévue (et en partie à l'origine de la colère des gilets jaunes), servira à réduire les charges sociales des entreprises.

Tweet de Juan Branco - Copie d'écran
Tweet de Juan Branco - Copie d'écran

Le fait que le produit de la taxe carbonne aille ailleurs qu'à la transition énergétique, et en particulier à la compensation du CICE n'est pas une nouveauté. Ceci est expliqué en détail par Libération ici. La fameuse "exclu" n'en est pas une. Pour autant, l'indignation de Juan Branco n'est pas déplacée. Tout le monde, à part quelques experts en fiscalité, comme les auteurs des mails, comprend qu'il serait logique que le produit de la taxe carbone aille au financement de la transition écologique.

Mais à trop mettre en scène sa trouvaille, Juan Branco se tire une balle dans le pied. S'il y a des choses contestables dans ces échanges de mails, ce n'est pas que les gouvernements successifs auraient caché l'affectation réelle des recettes de cette taxe. Ça, tout le monde le savait. Que ce ne soit pas la meilleure façon d'utiliser ces recettes, sans doute.

La théorie du ruissellement

Il y a quelques points dans les échanges de mails entre les proches du candidat Emmanuel Macron qui méritent discussion.

Alexis Kohler, qui est désormais secrétaire général de l’Élysée et cerné par des affaires (longuement documentées par Mediapart) évoque en creux la théorie du ruissellement :

"le financement d’une baisse de cotisations patronales par une hausse de la fiscalité diesel est potentiellement progressive sous la réserve forte de faire fi des règles d’incidence (et qu’en gros on considère que la baisse des cotisations patronales bénéficiera à l’emploi ou aux salaires)".

En gros... Car l'expérience montre que les cadeaux aux entreprises ont rarement créée des emplois. Le CICE par exemple, puisqu'il est beaucoup question de lui au détour de ces fameux mails, était censé déboucher sur des créations d'emploi en pagaille. Pierre Gattaz, patron du Medef, avait fait miroiter un million d'emplois si le gouvernement s'engageait sur des réformes, des baisses de charges et d'impôts. Le CICE avait été une des réponses du gouvernement sous François Hollande. On attend toujours que ça ruisselle...

Les auteurs des mails s'interrogent par ailleurs sur l'intérêt de parvenir à une convergence totale ou partielle entre le prix de l'essence et du gazole. Pourquoi pas. Mais c'est dans la discussion que l'on entrevoit comment fonctionnent les politiques. Ils "racontent des histoires" à ceux qui les ont élus. Et ces "bobards" ne sont là que pour enrober des décisions, pour faire passer la pilule. On se demande dès lors pourquoi les politiques se plaignent que leur parole soit discréditée, que des centaines de milliers de personnes prennent le chemin de la rue pour protester contre les sornettes qui leur sont contées...

"Je citais à titre d'exemple une convergence qui consisterait seulement à aligner sur la moyenne européenne l'écart de fiscalité entre essence et diesel (11 centimes dans l'UE contre 15 centimes en France), et qui rapporterait alors 1,6 Md€. Mais d'autres histoires peuvent se raconter, bien sûr, pour justifier une convergence partielle gazole/essence qui rapporterait ce que l'on cherche."

Laurent Martel, auteur de ces lignes, ancien conseiller fiscalité au cabinet de Cahuzac, désormais conseiller "fiscalité et prélèvements obligatoires" auprès d'Emmanuel Macron, explique sans sourciller que, en gros, on peut toujours bullshiter...

"[...] _d'importantes mesures d'atténuation existent déjà pour les entreprises. _

- secteurs et activités hors-­champs de la TIC (transport aérien et maritime),

-­ taux réduits et exonérations maintenus pour les agriculteurs (remboursement partiel), le transport routier (remboursement de TIC revenant à une exonération de la composante carbone pour les véhicules de plus de 7,5 T)

- exo des entreprises électro‐intensives soumises à quotas exonérées.

Il y aura certes des entreprises affectées (parmi les principales, mais ce n'est pas une affirmation très étayée : entreprises ciment, acier, aluminium qui ne sont pas qualifiées d'électro-intensives), mais il est difficile d'envisager pour eux des mesures ciblées, fiscales (la TIC est encadrée communautairement) ou budgétaires (aides d'Etat) pour ces gens-là précisément. Je n'ai pas l'impression, mais j'ai suivi ça de moins près que Dominique dans la commission pour la fiscalité écologique, que les organisations patronales soient épouvantées par la trajectoire carbone adoptée en loi sur la transition énergétique. Lors de la mise en place initiale de la composante carbone, en tout cas, elles ne s'étaient guère agitées".

Ici, Laurent Martel convient que ce sont surtout les ménages qui sont affectés par ces hausses de la fiscalité du gazole, étant entendu qu'il existe de nombreuses mesures d'allègements pour les entreprises. En outre, il convient que celles qui sont touchées n'y sont pas particulièrement hostiles.

Théoriquement, la taxe carbone vise a changer le comportement des acteurs économiques et donc aider à changer de modèle pour atteindre une moindre consommation de carbone.

Mais les exceptions à cette taxe (transport routier, maritime, aérien, agriculteurs, ...) font porter la majorité de son poids aux usagers. Le changement, c'est maintenant ? Pas certain. Les particuliers les plus aisés, ceux qui roulent avec des grosses voitures, consommant beaucoup, ne vont probablement rien changer à leurs habitudes de consommation de carburant, leurs moyens financiers le leur permettent. Ceux qui sont obligés d'utiliser leurs voitures pour se rendre à leur travail ne peuvent pas changer leur comportement. Donc, taxer le carbone sans taxer les gros consommateurs (transport maritime et aérien par exemple) est inutile pour changer les comportements. C'est juste une baisse du pouvoir d'achat des plus modestes, mais finalement, il suffira de leur "raconter une histoire" pour éviter qu'ils ne descendent dans la rue en demandant la démission des politiques... Oh wait...

2 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée