Journal d'investigation en ligne
par Nadia Daki

Soupçons de favoritisme au centre Hélène Borel

Le centre de rééducation de Raimbeaucourt (Nord) visé par deux plaintes

Seize dossiers sont regroupés dans ces deux plaintes. Dénoncés par l'association anti-corruption AC !!, les faits concernent d’éventuelles irrégularités dans les marchés publics, des soupçons d’escroquerie, de favoritisme ou de recel.

La tour du château de Lez à Raimbeaucourt - Copie d'écran du site du centre Hélène Borel
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De mémoire d’habitants, jamais le centre Hélène Borel, qui est un centre d’hébergement, de soins et d’accompagnement pour adultes en situation de handicap, à Raimbeaucourt (Nord) n’avait fait autant parler de lui que ces derniers jours. Fin février, la petite commune de 4.000 âmes voit débarquer la brigade financière venue perquisitionner, entre autres, les services informatique et comptabilité du centre.

Malgré la présence des policiers pendant presque huit heures et leur recherche de documents, certains salariés ne se disent pas du tout « étonnés ». « Je n’ai pas du tout été surpris par cette descente », confie Sébastien*, exerçant depuis quelques années à Raimbeaucourt. « Il y a des tensions dans les équipes, le management est très dur et il n’y a pratiquement aucune transparence dans les décisions ».

Pour Nicolas*, arrivé plus récemment, l’ambiance est « pesante ». « Quand on a le malheur de demander des comptes, on ne les obtient jamais. Pire, on est pris à parti. C’est la loi du silence qui règne ici ».

Une perquisition de la brigade financière

Des « allégations sans fondement », balaie la dirigeante Caroline Nio. Dans un entretien accordé à Reflets, celle qui est, depuis 2004, à la tête des trois établissements nordistes que compte le centre Hélène Borel (Arleux, Lomme et Raimbeaucourt), voit dans le passage de la brigade financière « un règlement de comptes de deux ex-salariés que nous avons licenciés et que nous poursuivons pour vols de données. Des faits ont été rapportés au Parquet, cela me semble être le juste déroulé des choses qu’ils fassent une perquisition. Les policiers ont demandé aux représentants légaux de l’association, c’est-à-dire moi et la présidente (Annette Glowacki) de les accompagner et de leur fournir un certain nombre de pièces. Ils ont également pris des photos, notamment de travaux qui soi-disant n’auraient pas été réalisés. »

Dans un communiqué publié le 27 février, elle rappelle que de « nombreux contrôles des comptes de l’association ont été effectués ces dernières années par les autorités compétentes (contrôle fiscal, contrôle de l’URSSAF, contrôle de la Région...), et ont démontré sa bonne gestion ». Sur le fond des dossiers, AC !! a pourtant saisi la justice et s’interroge justement sur cette « gestion ».

Deux plaintes contre X, déposées en mars puis novembre 2024 auprès du tribunal de Grande Instance de Lille et que nous avons pu consulter, pointent 16 dossiers. Plusieurs concernent de potentiels délits d’escroquerie, des atteintes présumées à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats - dans les marchés publics et les délégations de service public- et du potentiel recel de ces délits, d’exercice illégal de la profession de pharmacien, d’escroquerie présumée, de fausses déclarations, etc.

Soupçons d’irrégularité de marchés publics

« Un dossier lourd, » pour Eric Darques, administrateur local de AC !! dans les Hauts-de-France, désigné comme responsable pour gérer ce dossier validé par le président du conseil d’administration de l'association, Marcel Claude. Il voit là des « faits qui parlent d’eux-mêmes ». A titre d’exemple, le dossier « isocinétisme » porte sur le renouvellement d’un appareil médical de rééducation : « Dans un mail de la directrice (mail que nous avons pu consulter), l’appel d’offres est lancé alors même que le choix du fournisseur est déjà acté ». « On ne peut que s’interroger sur la légalité et la régularité de ce marché pour lequel l’antériorité du choix est matérialisée par des pièces », pointe-t-il.

D’autant plus que cet appareil se révèle plus cher que son concurrent et offre un panel de caractéristiques techniques moins étendu. A titre d’exemple, il peut prendre en charge des patients pesant jusqu'à 135 kg quand son concurrent peut aller jusqu’à 195 kg. Interrogée sur ce dossier, Caroline Nio affirme qu’« un appel d’offres conforme a été effectué. Il y a eu une réunion au cours de laquelle les médecins ont choisi à l’unanimité l’appareil en question. Les notifications ont été faites après le choix formel. Ce serait du gâchis d’argent public que d’acheter un matériel qui ne répond pas aux demandes des équipes médicales ». Quant au calendrier des faits ? J« e n’ai plus les dates en tête mais il n’y a pas eu d’antériorité, les enquêteurs sont partis avec l’ensemble des pièces ».

Pour AC!!, les faits sont caractérisés

D’autres faits interpellent l’association anti-corruption qui, dans sa plainte initiale, évoque un autre marché public dont la régularité l’interroge aussi. Un contrat avec un cabinet d’architectes est signé le 13 décembre 2018 pour la création d’un centre de vacances.

Or, dans un mail envoyé aux quatre candidats encore en lice - sur onze au départ - il est précisé que les maquettes ne sont à remettre que le 21 décembre, soit après la décision déjà arrêtée du finaliste. « Il s’agit d’un concours public pour lequel nous avons été accompagnés tout au long de la procédure par le CAUE (Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement, ndlr.). Je ne pense pas qu’il aurait accepté un dévoiement de la procédure. Là aussi, les enquêteurs sont repartis avec l’ensemble des pièces, y compris les votes à bulletin secret, » précise Caroline Nio. C’est bien parce qu’il s’agit d’argent public que AC !! s’est saisi des dossiers. « Nous avons justement interpellé la justice pour qu’elle se prononce quant aux faits que nous rapportons, » poursuit Éric Darques. « Ils sont suffisamment éloquents et caractérisés ».

« Si c'est illégal, nous n’en savons rien »

Parmi les 14 autres dossiers, l’association anti-corruption relève une pratique qui, selon elle, pourrait s’apparenter à de l’escroquerie. Certains résidents se voient facturer une assurance responsabilité civile par le centre, dans le cadre de son activité d’hébergement. « Le centre Hélène Borel sert d’intermédiaire en assurance, ce qui est interdit au regard de la législation, » peut-on lire dans la plainte. « Ce sont des résidents qui sont sous curatelle. Ils ne remplissent aucun document concernant cette assurance, n’ont donc aucune information concernant des conditions, des clauses ou des garanties. Cette assurance est englobée dans les charges, ils doivent payer sans savoir s’ils sont réellement couverts », explique une source proche du dossier.

Des griefs que Caroline Nio ne comprend pas. « Notre résidence service est un établissement médico-social qui accueille des personnes en situation de handicap avec un minimum d’autonomie. Elles sont locataires de leur studio. Depuis l’origine de l’établissement, en 1999, le montage qui a été fait et validé par le département est d’inclure une assurance responsabilité civile dans les charges, ce qui leur évite d’acquérir une assurance de leur côté. Si cela est illégal, nous n’en savons rien. Dans ce cas, nous modifierons notre approche.  »

La dirigeante avoue « être tombée de haut avec ce dossier. Si un objet est cassé ou un vol constaté, nous remboursons puis nous saisissons notre assureur sans que jamais cela ne pose le moindre problème jusqu’à maintenant », explique-t-elle. « Nous leur proposons des prix plus intéressants car nous avions négocié cette couverture avec notre propre assureur. Je veux bien travailler sur ce dossier si cela est un problème mais à mon avis, les résidents paieront plus cher s’ils doivent chercher leur propre assurance. »

Caroline Nio s’interroge également sur le calendrier de ces « reproches ». « Si tous ces points soulevés sont problématiques, pourquoi n’y a-t-il jamais eu d’alertes ou de signalements en interne ? ». Pourtant, dans des mails versés aux plaintes et dont elle est destinataire, des salariés s’inquiètent du bien-fondé de cette « assurance », entre autres. « Je n’ai jamais reçu d’alertes ou de notes de ce genre, tranche-t-elle. Encore une fois, il y a peut-être un problème juridique. Je ne suis pas en train de dire qu'on fait tout bien, loin de là. Nous allons nous pencher sur la question pour regarder si juridiquement il y a un problème.  »

Plaintes contre plaintes

Face à ces faits, que la dirigeante qualifie de « dénonciations calomnieuses », le centre Hélène Borel annonce « déposer une plainte contre d’anciens salariés (1) et déplorer vivement cette situation. » Une situation qui pèse aussi sur le moral des autres employés.

« On aimerait bien un renouvellement total du conseil d’administration et de la direction », espère Sébastien, qui ne croit pas à une vengeance personnelle. « Il y a eu des licenciements et des départs ces dernières années, pour lesquels des prud’hommes et des plaintes sont en cours. Des signalements ont été faits auprès de la médecine du travail, du conseil d’administration ou encore auprès du département. Peut-être qu’avec cette perquisition les choses vont bouger un peu. »

Parmi les autres éléments marquants mis en lumière par AC !!, un appel d’offres pour la mutuelle des salariés, passé uniquement sur le site internet du centre, ou encore l’ouverture de la pharmacie sans présence de pharmacien. « Ce sont des faits suffisamment graves pour que nous les portions au regard de la justice », insiste Éric Darques. « Je ne porte jamais de dossier sans élément matériel. »

Dans la seconde plainte, en novembre 2024, d’autres faits sont évoqués comme de possibles fausses déclarations de chômage ; des fissures structurelles dont l’ensemble des rapports d’expertise n’aurait pas été envoyé à la préfecture et d’autres marchés publics dont la régularité est questionnée.

AC !! Anti-Corruption annonce, en parallèle, saisir l’OLAF (Office européen de lutte anti-fraude) pour ce qu’elle estime être un « simulacre d’appel d’offre. ». « Le centre Hélène Borel est chargé d’une mission de service public. D’ailleurs ses principaux bailleurs de fonds que sont, entre autres, la Région, le Département, l’Agence régionale de santé, sont des acteurs publics qui couvrent plus de 80% de ses ressources financières. Cette association est donc une association dite “transparente”, qui obéit aux règles de la commande publique », écrit AC!! dans sa plainte. C’est bien la notion de transparence qui anime son représentant local : « L’argent public est celui du contribuable, il faut sans cesse le rappeler », répète, inlassable, Eric Darques.


*prénom modifié

1 - deux ex-salariés licenciés pour faute grave et que la direction estime être à l’origine des signalements aux autorités.

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