Septembre : fin des vacances, départ en grève
A société nouvelle, grévistes nouveaux ? Le mécontentement dans le travail devient mobile et revendique ses multi compétences…
Rémunération et moral en berne, ils sont facteurs, professeurs, agents techniques, psychologues, retraités de la fonction publique... Nous leur avons posé une seule et même question : pourquoi cette journée de grève ? Les réponses tenaient invariablement d’un malaise commun. Écoutons "ILS", écoutons nous…

Bien avant la fin du mois ils comptent déjà. ILS, se sont bien sûr ces salariés qui se sont mobilisés ce 29 septembre partout en France. Nous avons suivi l’une des manifestations. Au-delà du problème des salaires, certains ont souhaité nous exposer les contraintes qui rendent leur quotidien professionnel insupportable.
Alain, facteur

« Je fais grève pour les salaires, les pensions de retraites et pour défendre le service public ! Aujourd’hui les plus gros sites de tri fonctionnent avec 30 à 40% de personnels intérimaires. Notre direction appelle çà de la force de travail variable : on en a besoin on prend, on en a plus besoin on jette. En 2006 il existait 153 bureaux de poste sur le département, il en reste 58. La Poste se félicite de ce qu’on appelle les -points de contact-, là où vous pouvez acheter des timbres et réceptionner un colis, mais les vrais bureaux, là où les clients reçoivent des mandats, font des versements d’argent, ouvrent des comptes, eux, ils disparaissent continuellement. Les services que je rendais autrefois, gratuitement, comme prendre soin des personnes âgées durant la tournée, sont devenus des prestations payantes pour d’autres sociétés. La direction ne souhaite plus que les facteurs fassent du lien social, tout est minuté, mais vraiment minuté : trois secondes par boîte aux lettres, une minute trente par recommandé, qu’il soit livré au rez-de-chaussée ou au 15ème étage, avec un ascenseur ou pas ! Dans ces conditions personne n’a le temps de rien, et surtout pas, de bien faire son boulot. J’ai quinze ans d’ancienneté, en tant que salarié de droit privé je touche 1.400 euros. La Poste ne veut plus de fonctionnaires dans ses troupes. Un cadre fonctionnaire touche environ 2.100 € net après trente années d’ancienneté. Vous enlevez les impôts cela vous fait du 1.700 € par mois. Les gars sont prêts à marquer le coup, mais La Poste a mis en place une règle qui consiste à décompter deux jours de travail si vous faites grève avant un jour de repos ou un dimanche. Donc si vous faites grève le jeudi et que vous êtes de repos le vendredi vous perdez deux jours de salaire. Ça calme les envies de manifester… »
Pascale, professeure en Lycée

« Je suis prof dans un lycée général et professionnel LPO. Pour ma part j’estime nécessaire, important, fondamental d’être ici aujourd’hui ! Il y a environ 800 grévistes ici, c’est peut-être trop peu mais les gens travaillent et il y a quatre manifestations en simultanée dans le département. Que dire du salaire des enseignants, le sénat a lui-même déclaré que nous avions perdu 25% de salaire en vingt ans ! Quant aux conditions de travail, comme dans bien d‘autres professions, il faut le vivre au quotidien pour le croire. On a perdu le sens du métier. C’est pour cela qu’il y a une telle défection chez les profs, on assiste à une augmentation des ruptures conventionnelles et du nombre de démissions, y compris chez les stagiaires ; ils font un an, et puis… ils se cassent ! Les classes à trente-deux en sixième c’est juste impossible et inacceptable, mais en lycée on monte aisément à 35, 36, 38, on peut même aller jusqu’à 40 élèves ! Dans la nouvelle loi de finances on nous annonce 4.000 créations de poste mais on va en perdre 1.000 dans le premier degré et 500 dans le second degré. Faites le compte, les profs vont encore manquer au lycée. Toutes les réformes en cours au niveau de l’éducation nationale sont d’un mépris… La réforme des lycées professionnels tend à vouloir refuser l’accès à l’enseignement général à une catégorie d’enfants. On multiplie le nombre des stages de formation par deux, on place les jeunes en entreprise, et on les éloigne du savoir pour faire d’eux de bons travailleurs. Les chefs d’entreprises sont appelés à participer au processus d’orientation, ils ont la main sur la carte des formations, à savoir quelle formation devront être dispensées dans quel établissement. En fait, l’entreprise entre dans les lycées pour faire un enseignement utilitariste. Les chefs d’entreprises pourront ainsi former une main d’œuvre conforme aux besoins de leur secteur d’activité. Que devient le métier de prof là-dedans ? »
Hervé, salarié sur un chantier naval

« Je travaille dans un secteur où l’on retrouve tous les corps de métier. La filière nautique emploie des électriciens, des menuisiers, des plombiers, des monteurs, il n’est pas étonnant de retrouver les mêmes problèmes que dans la plupart des grandes entreprises, comme dans le bâtiment par exemple. Mais compte tenu des richesses qui existent dans le milieu de la plaisance on se sent quand même les laissés pour compte de l’histoire… Dans ce secteur, tous les chantiers recrutent, mais bizarrement ça peine à embaucher. Le niveau des salaires offerts freine l’élan des plus motivés… »
Laurence, retraitée de la fonction publique

« En 2018 je travaillais encore aux finances publiques. Plusieurs vagues de suppressions d’emplois ont fait que beaucoup de prestations ont été abandonnées ou privatisées. Lorsque j’ai quitté mon emploi, la suppression de certaines missions de service public était déjà bien amorcée, et aujourd’hui, concrètement, les opérations de contrôle fiscal sont de moins en moins réalisées faute de personnel. Les dossiers complexes sont abandonnés et la surveillance des grosses entreprises se réduit. Mes anciens collègues me disent que c’est une boucle sans fin car moins il y a d’agents en poste, plus des erreurs sont commises, et plus les dossiers de contentieux s’accumulent. A la longue cela rajoute du travail au travail. En ce qui me concerne ma retraite n’a pas bougé depuis quatre ans, mais il y avait eu auparavant un blocage de salaire dans la fonction publique d’une dizaine d’années, cela a impacté le niveau de ma pension. Je ne touche pas un centime de plus depuis que je suis à la retraite alors que l’inflation est galopante et que les dépenses quotidiennes deviennent de plus en plus lourdes. »
Hugo, Professeur des écoles

« Je suis prof des écoles et j’ai une mission qui me rend très fier, j’ai choisi ce métier pour éduquer et instruire les enfants. Mais je me sens un peu humilié de devoir l’exercer dans les conditions actuelles, humilié de voir le statut qu’ont aujourd’hui les enseignants. Il est prouvé que nous avons perdu jusqu’à 30% de salaire depuis le début des années 80. Et cela s’est accéléré dans les années 2000 avec le gel du point d’indice. C’est un déclassement très net de notre profession, il ne nous reste que la fierté de vouloir y arriver quand même, en se persuadant que l’on sert encore à quelque chose, pour les enfants. Or, objectivement, on voit bien qu’on n’arrive pas toujours à bien s’occuper des élèves, comme il faudrait le faire au quotidien et dans la durée. On se retrouve parfois en grande difficulté pour remplir cette mission. Les profs se retrouvent dans une situation de morosité, de tristesse, de colère ou d’apathie. De plus les parents ont désormais une attitude consommatrice vis-à-vis de l’école et des enseignants, ils sont très inquiets pour l’avenir de leurs enfants et nous demandent ardemment de faire le maximum pour eux. Des choses qu’on je ne peux tout simplement pas faire parce que je ne peux pas me couper en 23, comme j’essaie de le faire d’ailleurs mais sans toujours y arriver… C’est pour toutes ces raisons que j’ai tenu à faire cette première grève. »
Paul, agent SNCF

« Je suis évidemment là pour le salaire car nous ne sommes vraiment pas payés à la hauteur de la tâche et des compétences. Il faut savoir que les agents doivent courir après les primes, juste pour arriver à hauteur de ceux qui sont au SMIC dans le secteur privé. En tant que cheminots le désengagement de l’État pour le service public nous touche évidemment de plein fouet. La SNCF est maintenant divisée en plusieurs Sociétés Anonymes, et l’on voit bien le résultat de ce manque d’investissement : des lignes supprimées, des trains en retard… Tout cela est lié. Nous sommes en première ligne avec les transports, et c’est d’autant plus fou que les politiques nous disent vouloir arrêter avec les énergies fossiles. Mais où sont les idées et les moyens pour se diriger vers des transports plus économiques et moins polluants ? Aujourd’hui c’est une journée de grève de plus, mais ce n’est pas la dernière… »
Patrick, agent technique

« Je fais partie des services techniques d’une association qui accompagne et défend les droits des personnes en situation de handicap. Je travaille pour des centres qui œuvrent dans le médico-social et j’accompagne ces services en réalisant différents travaux. Nous suivons une population de très jeunes enfants, et jusqu’à leur adolescence. Pourtant nous ne sommes pas reconnus pour toucher le SEGUR comme nos collègues moniteurs ou éducateurs technique. Notre boulot est tout aussi essentiel. C’est pour cela que nous faisons grève… pour la toute première fois. Regardez, autour de moi mes collègues ont plus de 20 ans d’ancienneté, ils sont toujours au SMIC. Je constate que les gens sont plus nombreux à vouloir quitter le navire que ceux désirant venir travailler dans ce secteur »
Brigitte, psychologue

« Dans ma profession on revendique des choix organisationnels depuis environ dix ans sans jamais avoir été entendus par les autorités dirigeantes. Des lois et des circulaires se sont accumulées pour restreindre l’accès aux soins psychiques aux usagers et notamment chez les enfants. Les nouvelles institutions ne désirent s’occuper que des enfants présentant des troubles dits neuro-développementaux, les autres sont réorientés en libéral. Il y a un tri qui s’opère, on observe un nombre croissant de personnes qui vont très, très mal, qui n’ont plus accès à l’hôpital psychiatrique, et que l’on retrouve dans la rue.
Les psychologues sont censés être autonomes vis-à-vis des médecins, mais à coups de lois insidieuses on est en train de porter atteinte à notre autonomie, de sorte que pour avoir accès à nous, il faut passer par un généraliste. Il est impossible avec une consultation d’une vingtaine de minutes de pouvoir analyser le mal être profond et réel de certains patients. Il faut parfois une écoute de plus d’une heure pour que certaines personnes se lâchent et qu’apparaissent leurs réelles souffrances. Notre profession est répertoriée dans les sciences humaines pas dans la médecine, pour travailler en hôpital il faut un niveau d’étude bac +5 ou bac +8, mais notre niveau de rémunération est, dans le meilleur des cas, équivalent à celui d’un soignant bac +3. Dans les faits les psychologues gagnent encore moins car ils sont employés à temps partiel, ce sont des contractuels rarement titularisés, et leur statut ne leur permet pas de faire des heures supplémentaires. Ce qui a été mis en place pour les enfants dans les centres médicaux psychopédagogiques est vraiment grave. Là on l’on pouvait accueillir l’ensemble d’une famille pour mieux comprendre ce qui se passait, on dirige maintenant les gens vers des plateformes Internet pour obtenir un contact. Tout cela ne va pas du tout dans le bon sens des choses … »