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Édito
par Yovan Menkevick

Science et idéologie : une relation à haut risque #climategate

Si de nombreux débats, des questionnements de fond sur des problématiques importantes, touchant à de nombreux domaines, n'ont plus véritablement lieu et sont remplacés par des confrontations de points de vue, d'attaques et d'ostracisme, il est important d'en comprendre les causes et les effets. Ce phénomène de plus en plus présent dans toutes les sphères publiques, professionnelles, semble être causé par un principe de plus en plus répandu : l'idéologie. Et la lutte de pouvoir qu'elle entraîne.

Si de nombreux débats, des questionnements de fond sur des problématiques importantes, touchant à de nombreux domaines, n'ont plus véritablement lieu et sont remplacés par des confrontations de points de vue, d'attaques et d'ostracisme, il est important d'en comprendre les causes et les effets. Ce phénomène de plus en plus présent dans toutes les sphères publiques, professionnelles, semble être causé par un principe de plus en plus répandu : l'idéologie. Et la lutte de pouvoir qu'elle entraîne.

Cette affirmation à caractère général peut être perçue comme une simplification. Et pourtant c'est une réalité, et si l'on s'accorde pour dire que le débat politique est désormais orienté autour des valeurs et de la morale pour finir par faire l'impasse sur les véritables enjeux politiques et économiques qui devraient l'animer, la science n'échappe pas à ce glissement des plus inquiétants.

Et c'est un scientifique, de très haut niveau, spécialiste du climat qui l'affirme, anciennement membre du GIEC : Richard S. Lindzen. S'il est une science qui est devenue idéologique, c'est bien celle du climat, et ce chercheur l'exprime et le démontre.

L'idéologie, la science… et leur interaction

Avant de chercher à comprendre comment et pourquoi cette science climatique est devenue idéologique, donc politique (et économique) grâce au chercheur Richard S. Lindzen, il faut bien définir ce que recouvre le mot "idéologie". Le dictionnaire Larousse nous donne trois définitions :

  • Système d'idées générales constituant un corps de doctrine philosophique et politique à la base d'un comportement individuel ou collectif : L'idéologie marxiste. L'idéologie nationaliste.

  • Ensemble des représentations dans lesquelles les hommes vivent leurs rapports à leurs conditions d'existence (culture, mode de vie, croyance) : L'idéologie des romantiques allemands du XIXe s.

  • Système spéculatif vague et nébuleux.

Les représentations dans lesquelles les hommes vivent leurs rapports à leurs conditions d'existence : il y a donc de nombreuses idéologies à l'heure actuelle qui "poussent", influencent, travaillent à faire que leur représentation, qu'ils estiment la meilleure, soit celle qui s'impose. Quitte à tricher ou s'arranger avec la réalité. Sachant qu'une idéologie peut aussi définir un système spéculatif et nébuleux. Et ceux qui travaillent à découvrir des vérités, c'est-à-dire des réalités prouvées, sont le plus souvent des scientifiques.

Certains peuvent être des idéologues, mais la majorité sont avant tout des "amoureux de la science", et ne cherchent pas à faire coïncider leurs découvertes ou leurs travaux avec leurs croyances, leurs représentations diverses et variées des rapports aux conditions d'existence. Ou participer à un système spéculatif et nébuleux.

Sauf que leur dépendance financière aux États, aux institutions, est très importante, et que si une idéologie émerge, une politique précise, reliée à leur spécialité, il leur devient difficile (surtout pour continuer à être financés) d'aller à l'encontre de cette idéologie, celle des décideurs financiers. Pour comprendre ce phénomène et ses implications, le mieux est d'écouter Lindzen qui explique très bien ce phénomène dans la recherche sur le climat.

L'étude du réchauffement climatique : au début… tout était normal

Richard S. Lindzen est un chercheur du centre de météorologie et de physique océanique du "Massachusetts Institute of Technology" (MIT) à Cambridge, Massachusetts, aux USA. Diplômé en 1964. Spécialiste de l'atmosphère, des influences hydrauliques sur le climat, des moussons, Lindzen a participé à la rédaction du second rapport du GIEC en 1995, pour en démissionner en 2001, lors de la sortie du troisième rapport intitulé « Bilan 2001 des changements climatiques ». Le document qui suit date de 1994. Il est une synthèse du chercheur à une époque où il n'y a ni consensus établi ni débat public ou politique sur le réchauffement climatique. Mais des directions fortes de la part du GIEC en faveur d'un réchauffement climatique causé par les gaz à effet de serre, particulièrement le CO2.

(…)Compte tenu de la variabilité normale du climat, on peut raisonnablement s'attendre qu'il y ait des climats futurs à la fois plus chauds et plus froids que le régime actuel. Ceci, cependant, ne confirme guère la crainte actuelle que l'augmentation de gaz à effet de serre dans l'atmosphère mènera à un réchauffement catastrophique(…)

Lindzen n'est pas convaincu par les théories scientifiques du réchauffement causé par les gaz à effet de serre, et plus particulièrement par le CO2. Il le dit très clairement dès le début de son exposé. Puis il critique un rapport du GIEC (pour lequel il travaille) datant de quatre ans et mis à jour deux ans auparavant :

L'évaluation scientifique du GIEC (voir note 1) ainsi que la mise à jour actuelle (Houghton et al., 1990, 1992) reconnaissent tous deux que les variations de température au cours du siècle passé (un réchauffement net de 0,45 °C + 0,15 °C) sont compatibles avec la variabilité naturelle et moindre que ce qu'elle se serait attendue pour les modèles de prévision sur le réchauffement d'environ 1,3 °C d'équilibre pour un doublement du CO2 - en supposant que tous les changements au cours du siècle passé étaient dus au CO2 (voir note 2). 

L'évaluation scientifique du GIEC admet à l'époque que les réchauffements par la variation de température au cours des siècles sont compatibles avec la variabilité naturelleIl faut rappeler que le GIEC a été créé en 1988 par deux organisations de l'ONU à la demande du G7 (aujourd’hui G20) : l’organisation météorologique mondiale (OMM) et le programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE). Ce groupe intergouvernemental, malgré ce qui est souvent répété, n'est pas une organisation scientifique d'étude du climat puisqu'elle "n’a pas pour mandat d’entreprendre des travaux de recherche ni de suivre l’évolution des variables climatologiques ou d’autres paramètres pertinents". Elle se fonde donc sur "des évaluations principalement fondées sur les publications scientifiques et techniques dont la valeur scientifique est largement reconnue" (wikipedia). Des publications scientifiques et techniques dont la valeur scientifique est largement reconnue, comme celles de Lindzen.

Richard S. Lindzen exprime dans ce document de 1994 pourquoi il conteste la variation de température établie dans le rapport du GIEC :

En supposant que tous les changements au cours du siècle passé étaient dus au CO2… Bien sûr, cela semble peu probable pour l'essentiel du réchauffement survenu avant 1940. Ainsi, les données fournies ne suggèrent ou démontrent les scénarios de réchauffement en cours. Pas plus que les simples considérations sur l'effet de serre. Tous les autres facteurs demeurant constants, le réchauffement par effet de serre à l'équilibre, résultant d'un doublement du CO2, est estimé entre environ 0,5 °C et 1,2 °C (Ramanathan, 1981, Lindzen et al, 1982, Houghton et al, 1990, Sun et Lindzen, 1993a). Ces valeurs peuvent paraître faibles, mais le CO2 n'est qu'un gaz à effet de mineur. Si tout le CO2 était retiré de l'atmosphère, la vapeur d'eau et les nuages pourraient encore fournir la majeure partie de l'effet de serre présent (la température moyenne globale est réduite d'environ 1,5 °C).

La suite de l'exposé de Lindzen donne des clés de compréhension sur les effets d'interaction entre les radiations solaires, les océans. Le chercheur reste dans sa spécialité : l'effet de serre, les réponses climatiques, etc. Sa spécialité, l'atmosphère, lui fait simplement dire que ce n'est pas du côté du CO2 qu'il faut chercher, mais que de nombreuses autres interférences complexes sont à étudier. Ce qui ne va pas dans le sens que le GIEC a déjà fortement imprimé.

Que s'est-il passé en 18 ans ?

À l'époque, en 1994, il n'y a pas de "climato-sceptiques", mais des chercheurs, spécialistes du climat, spécialistes des champs complexes qui influencent ce climat. L'idéologie n'est pas présente en tant que telle dans le débat scientifique puisque ce ne sont pas des débats mais des confrontations de recherches scientifiques. Lindzen va donc continuer ses travaux sur le climat, puis en 2001, refusera de signer le troisième rapport du GIEC et claquera la porte du groupe intergouvernemental avec fracas.

Mais que reproche donc Lindzen au GIEC et, de façon plus générale, à la tournure qu'a prise la recherche scientifique sur le climat ?

Une conférence écrite en 2008, traduite en français, répond à de nombreuses questions à ce propos : sur le GIEC, l'indépendance des chercheurs, les changements de paradigme de la recherche scientifique. Ce document est véritablement passionnant. Il indique avec précision la prégnance de l'idéologie et de l'économie sur la science du climat.

Quelques passages tirés de cette conférence permettent de résumer les constats du chercheur :

(…)Ce changement de point de vue s’est produit pour l’essentiel sans  commentaires. Néanmoins, la fin de la guerre froide, en supprimant une grosse part de cette peur motrice, a imposé une réévaluation de la situation. Le gros de la réflexion a été consacrée à mettre l’accent sur d’autres sources de peur : la compétitivité, la santé, l’épuisement des ressources et l’environnement.(…)

Lindzen exprime que la peur peut être un facteur au cours de l'histoire pour pousser la science à aller dans un certain sens. Le sens actuel est celui de la compétitivité, la santé, l’épuisement des ressources et l’environnement, ce qui s'entend très bien. Il précise un peu plus loin sa pensée :

(…)Mais ces considérations dépassent de loin mon sujet, qui consiste à examiner les conséquences d’employer la peur perçue comme fondement du soutien apporté à la science. La conjonction du changement d’échelle et de l’affaiblissement de l’importance accordée à l’excellence est, d’un certain point de vue, un phénomène dévastateur, qui facilite grandement la possibilité d’une direction politique de la science, et de la création de structures tributaires. Avec de telles structures, les garde-fous les plus évidents comme le contrôle par les pairs ou la pleine responsabilisation s’effondrent, et se mettent même à contribuer à la perpétuation des défauts du système. Miller (2007) traite spécifiquement de la manière dont le système favorise tout spécialement le dogmatisme et le conformisme(…)

Cette analyse a des conséquences, Lindzen les exprime très bien :

(…)Une conséquence de ce développement semble avoir été une diminution d’intérêt pour la théorie, en raison de sa difficulté intrinsèque et de sa petite échelle, au profit de la simulation (qui demande de gros investissements financiers pour mener à bien les calculs), et de l’encouragement porté à de vastes programmes affranchis de tout objectif précis. En un mot, nous sommes entrés dans un nouveau paradigme dans lequel la simulation et les programmes ont remplacé la théorie et l’observation, où le pouvoir politique détermine largement la nature de l’activité scientifique, et où le rôle principal des sociétés savantes consiste en des actions de lobbying auprès de la puissance publique pour obtenir des avantages particuliers.(…)

Et sur la climatologie, le chercheur du MIT explicite très bien la situation qu'a engendré ce changement de paradigme :

(…)La situation est particulièrement sévère dans un domaine aussi peu développé que la climatologie. Ce domaine fait traditionnellement partie de diverses disciplines comme la météorologie, l’océanographie, la géographie, la géochimie, etc. Ces disciplines sont elles-mêmes peu développées et immatures. En même temps, ces disciplines peuvent facilement être associées à des désastres naturels. Enfin, les sciences du climat ont été prises pour cible par un important mouvement politique représentant l’écologie dont l’effort principal a été d’associer les désastres naturels du système terrestre aux activités humaines, créant la peur et favorisant des projets politiques de réformes sociétales et de contrôle. La suite du présent article décrit brièvement comment tout cela s’est articulé au travers de la question climatique.(…)

À chacun, à la lecture des analyses de Lindzen, d'observer ce qu'il s'est passé sur la liaison dangereuse entre idéologie et recherche scientifique, dans le domaine de la climatologie en particulier, et d'en tirer les conclusions qu'il souhaite. Pour information, il faut savoir que si les scientifiques qui ont quitté le GIEC et contestent ses conclusions, dénoncent les méthodes et les orientations idéologiques du GIEC, sont souvent accusés de travailler pour le lobby pétrolier (ce qu'il faudrait prouver pour une grande partie d'entre eux), de nombreux décideurs d'organismes scientifiques soutenant le GIEC ne sont pas exempts de collusions idéologiques, politiques ou économiques. Loin de là. Robert Napier, ancien directeur du WWF UK de 1999 à 2007 a été président du conseil d'administration de l'Office météorologique britannique de 2006 jusqu'à… septembre dernier. L'institut Postdam, plus grand institut de recherche sur le réchauffement climatique en Allemagne a comme représentant scientifique pour le rapport 2013 du GIEC, Bill Hare(William Hare, une recherche de "Hare" dans le document permet de le trouver en tant que Lead Author), qui est aussi directeur de campagne de… Greenpeace(archive). La liste est très longue des promoteurs du réchauffement climatique reliés à des organisations "écologistes" ou, si l'on est plus précis, des organisations de défense d'une certaine vision écologiste que l'on pourrait intituler "écologisme". Mais cet aspect des choses est trop vaste pour être développé dans cet article.

Reste la question centrale : la recherche en climatologie, en toute indépendance, est-elle encore possible ?

Post scriptum  : Petite précision sur le film qui a emballé les esprits et fait basculer l'opinion : Une vérité qui dérange. Al Gore a eu le prix Nobel de la paix avec le GIEC grâce à ce film (aujourd'hui, c'est l'Union européenne…). Mais les pays anglo-saxons sont plus aptes à remettre en cause certaines affirmations, qui, en France, ne se discutent pas. C'est le cas pour le film d'Al Gore, film politique et pétri d'erreurs, ou d'inexactitudes dont plusieurs ont été reconnues par le GIEC. En 2007, un directeur d'école, Stewart Dimmock, a porté plainte contre le gouvernement britannique, qui avait annoncé son intention de diffuser le film dans les écoles, en l'accusant de faire du lavage de cerveau. En octobre 2007, la Haute Cour de Londres a décidé que pour pouvoir diffuser ce film, le gouvernement britannique devait modifier le guide de diffusion aux enseignants (Guidance Notes to Teachers) pour mettre en évidence que :

  1. Le film est une œuvre politique qui ne montre qu'un seul point de vue ;

  2. Si les enseignants présentent le film sans le signaler clairement, ils peuvent se trouver en violation de la section 406 de l'Education Act 1996 et coupables d’endoctrinement politique ;

  3. Onze inexactitudes (inaccuracies) doivent être en particulier portées à l'attention des enfants des écoles.

En juillet 2007, un article publié dans le Chicago Sun-Times, intitulé Les Prévisions alarmistes sur le réchauffement planétaire fondent devant la rigueur scientifique, a accusé Al Gore de mentir tout au long de son film (source wikipedia).

Le jugement de la Cour anglaise est toujours consultable en ligne.

Et pour finir, un peu de littérature, avec cet ouvrage fort intéressant : LE GIEC EST MORT, vive la science !, une critique implacable mais rigoureuse du Groupe d'experts intergouvernemental sur le climat, de Drieu Godefridi, juriste et docteur en philosophie (Paris IV Sorbonne) et l’auteur, récemment, de Le Droit public (2009) et Arbitraire et droit dans l’Athènes antique (Folia Electronica Classica, 2010).

"La critique de Drieu Godefridi se situe sur un tout autre plan : celui de la critique philosophique et épistémologique. L'apport de son travail est de nous montrer comment tout ce que l'on peut reprocher aujourd'hui au GIEC – notamment sa dérive quasi totalitaire vers l'intolérance de tout point de vue un tant soit peu dissident – plonge ses racines au plus profond des concepts qui ont servi de matrice à sa mise en place et à son développement. Si l'on était dans le domaine du vivant, nous dirions que tout était déjà ses « gènes ». Principalement, l'essai de Godefridi nous ramène à ce théorème fondamental de la philosophie des sciences selon lequel si l'objet de la Science est de nous dire « ce qui est », elle ne peut en tout état de cause pas nous dire « ce qui doit être », car dans toute action, dans toute décision, dans tout choix économique, politique et social intervient nécessairement un élément irréductible de subjectivité individuelle qui fait qu'on ne pourra jamais déduire des « normes » faussement qualifiées de scientifiques, de ce qui n'est qu'une simple explication scientifique de faits."

Question à l'auteur : Qu'entendez-vous par "les gribouillages de Claude Allègre" ? N'est-il pas surprenant, vous qui êtes critique à l'égard du GIEC, de vous en prendre à Claude Allègre ?

Réponse de Drieu Godefridi : Je crois que si l'on veut éviter au débat climatique, public en général, de sombrer dans l'esprit de meute, qui répond au lynchage médiatique (lobby du pétrole !) par un autre lynchage médiatique (lobby du nucléaire !), il faut être capable de conserver son esprit critique même à l'égard de ses alliés objectifs. Le problème avec Claude Allègre, dont je m'empresse de saluer le courage personnel, est double : d'une part son livre, en fait une longue interview en forme de coup médiatique, est criblé d'erreurs ; d'autre part, l'attitude méprisante, voire carrément grossière, de son auteur à l'égard de ses contradicteurs a largement contribué à ruiner le débat climatique en France. Le débat public mérite mieux que des invectives !

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