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par Jet Lambda

Sauver la foire du foot et éteindre la révolte? Traitons les manifestants comme des hooligans!

Voilà une idée qu'elle est bonne ! Délaissée sur sa (vrai) gauche, l'équipe de choc de Manuel Valls trouve heureusement des adversaires droitistes forts compréhensifs pour faire la synthèse entre l'Euro 2016 et la chienlit qui paralyse la France.

Voilà une idée qu'elle est bonne ! Délaissée sur sa (vrai) gauche, l'équipe de choc de Manuel Valls trouve heureusement des adversaires droitistes forts compréhensifs pour faire la synthèse entre l'Euro 2016 et la chienlit qui paralyse la France.

Une très audacieuse proposition de loi, déposée le 24 mai par une centaine de sénateurs de droite emmenés par Bruno Rétailleau (au passage : le plus farouche partisan de ce foutu aéroport de NDDL), envisage ni plus ni moins de traiter tout manifestant trop excité comme de vulgaires hooligans de foot. Ça c'est de la synthèse! La lecture de l'"exposé des motifs" ne laisse planer aucun doute sur le but du jeu: légaliser l'interdiction de manifester comme l'interdiction de stade, avec pointage obligatoire au comico les jours de mobilisation. Verbatim gluant :

Ces derniers jours, un certain nombre d'individus ont été empêchés de participer aux manifestations grâce à l'état d'urgence. Il faut graver dans le marbre de la loi ordinaire cette possibilité donnée aux préfets de mettre hors d'état de nuire les casseurs et les agresseurs des forces de l'ordre. La présente proposition de loi a donc pour objet de transposer aux "casseurs" le dispositif préventif existant à l'égard des "hooligans" et d'introduire un dispositif de peines de sûreté renforcé pour les auteurs de violences contre les personnes dépositaires de l'autorité publique.

Pour parfaire leur idée géniale, Mmes et MM. les sénateurs osent même présenter ce texte – pourquoi se gêner – comme un moyen de garantir à tous le droit de manifester ! Ils brandissent "l'article 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen [qui] consacre “le droit de s'assembler paisiblement”." Paisiblement, voilà le mot qui tâche. Histoire de faire le distinguo entre ce que certains médias et la classe politique appellent les "casseurs". Oubliant que quiconque est aujourd'hui chopé en tête de cortège avec des lunettes de piscines, une écharpe ou une capuche sur la tête sera interpellé et envoyé en comparution immédiate pour "violence envers agent de la force publique", ou d'autres chefs d'accusation du même tonneau. La dissociation classique entre militants radicaux et spectateurs passifs – et non pacifistes ou pacifiques, nuance – est au cœur de la stratégie policière qui justifie ensuite l'usage d'armes de guerre contre des populations civiles.

Il s'agit donc, argumentent les "représentants du peuple" (brrr), de "conférer au préfet la faculté d'interdire la participation à des manifestations sur la voie publique, laquelle se veut tout à la fois plus pertinente et moins attentatoire aux libertés individuelles [sic!] que l'interdiction de séjour issue de la loi sur l'état d'urgence".

Ensuite, les articles de cette PL déroulent tout l'arsenal classique de la surveillance policière moderne : fichiers des manifestants, vidéosurveillance mobile sur tous les parcours de manifs, interdictions de porter tous "objets susceptibles de constituer une arme" – c'est déjà le cas messieurs-dames, un simple bout de bois chopé dans un sac pouvant être taxé "d'arme par destination"

L'article 5 organiserait la ségrégation sociale des réputés casseurs en élargissant "la faculté de prononcer une interdiction judiciaire de participer à des manifestations sur la voie publique", accompagné d'une "obligation de pointage dans le temps de la manifestation"; quant à l'article 6, le pompon, il créerait un nouveau délit tout nouveau tout moche, à savoir celui de "provocation à la discrimination, à la haine et à la violence en raison de l'appartenance à une profession"; comprendre : tout slogan "anti-flics" serait réprimé comme on crie "à bas les Juifs et les arabes". Mmmm, la bande à Marine doit avoir les boules de ne pas avoir eu l'idée en premier !

Enfin, dernière joyeuseté, une "période de sureté" pour les mêmes présumés casseurs : prison obligatoire pour les "auteurs de violence contre les forces de l'ordre" et donc aucun "aménagement de peine (suspension ou fractionnement de la peine, placement à l'extérieur, permissions de sortir, bracelet électronique, semi-liberté, libération conditionnelle)".

Alors oui, certains diront que c'est tout de même pas "très démocratique" de casser des abribus, de balancer des pierres sur des policiers ou de les insulter (ce sont même déjà des délits). Mais souvenez-vous que depuis le début du conflit social au moins de mars, les arrestations sont organisées de manière aléatoire, les interdictions de manifs sur la base de "notes blanches" de la sûreté territoriale (les RG nouvelle vague), et que la moindre résistance à une arrestation ou lorsque l'on est littéralement agressé par la police est aussitôt accompagné d'une plainte pour "outrage, rébellion, violence sur agent". Ce qui sous-entend que les "casseurs", ou plutpot "manifestants non paisibles", peuvent concerner n'importe qui, et que dans un État de droit – non, j'ai pas dit "de droite" –, cela s'appelle du totalitarisme.

Rares sont les personnes qui osent aujourd'hui riposter en justice contre l'ordre qui leur a été donné de ne pas sortir de chez eux, assignés à résidence (cela a commencé, souvenez-vous, pendant la COP21 après le 13 novembre à l'encontre de militants politiques, pas djiadistes), ou interdits de séjour dans une commune aussi grande que Paris – c'est le cas dans les principales villes de France –, et cela le temps de toute l'instruction les concernant (c'est à dire au moins un an ou plus ! ). Un beau jour, il faudra les décorer – mais pas de la rosette ni de l'ordre national du mérite.

Et les députés, entend-t-on déjà ? Que proposent-ils pour que la France s'apaise et que les supporteurs "paisibles" puissent assister à cette grande fête fraternelle qu'est l'Euro de foot? Le 8 juin, deux jours avant le premier match de la compétition, une autreproposition de loi déposée par une quarantaine de députés – emmenés par… Eric Woerth, un fan de courses hippiques – a trouvé une autre idée géniale. Il s'agit tout simplement de réprimer encore plus fort la "dissimulation volontaire du visage dans les manifestations publiques (…) afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public"… Aujourd'hui, on encourt une simple contravention, et avec ce texte cela deviendrait un délit puni d'«un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende». Ceci allant grandement faciliter l'interpellation aveugle de personnes qui, plus tard, se retrouveront sur le "fichier du manifestant" proposé par leurs collègues sénateurs. CQFD : ça c'est du travail d'équipe dans la merveilleuse famille du sport politique.

Surtout que les députés de la Woerth-team ont encore des flèches à leur arc de compétition. Toute personne embastillée pour ce fait se verrait donc frappée, primo, "d'interdiction des droits civiques, civils et de famille", secundo d'interdiction "d’exercer une fonction publique ou (...)  professionnelle ou sociale (...)", et enfin se verrait interdire "de détenir ou de porter, pour une durée de cinq ans au plus, une arme soumise à autorisation".

Petit rappel historique : c'est le gouvernement de Berlusconi, fin 2010, qui envisageait de créer une "carte du manifestant" calqué sur la carte du tifosi, avec fichier tentaculaire, interdiction de manifs et assignation à résidence ou pointage au commissariat le jour d'une manifestation.

Nous ne sommes pas dans les petits papiers du Parlement, difficile de savoir si ces deux textes auront l'occasion d'être examinés, ni quand. Mais le gouvernement a encore le pouvoir de les mettre à l'ordre du jour à peu près quand bon lui semble. Avant la fin de l'Euro, on peut en douter, mais après tout "Ensemble, tout devient possible", non?

P.S.– En attendant, la loi sur l'état d'urgence permet toujours d'assurer l'essentiel : des interdictions de manifs (pardon, "de paraître" dans tel ou tel périmètre), viennent d'être à nouveau notifiées avant la prochaine grande journée de mobilisation nationale de mardi prochain à Paris (cf le dernier communiqué du groupe Defcol). Dernière trouvaille scélérate des gradés de la Pref : refuser de remettre à l'intéressé.e la moindre copie de l'arrêté d'interdiction, pour empêcher tout recours devant la justice administrative. Jusqu'où iront-ils ? Et pourquoi pas réquisitionner des gymnases, ou des vélodromes, pour en faire des camps de rétention administrative ?

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Photos : Appel à perturber l’Euro 2016+ opération "Joue-la comme Pogba"

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