Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Jacques Duplessy

Revenge porn, la chute d'un chef d'entreprise

Il avait piraté la boite mail et envoyé des photos de nu de sa victime : deux ans avec sursis

Ne supportant pas la rupture avec sa maîtresse, il avait envoyé près de 3000 mails à l'entourage et au futur employeur de la jeune femme.

Le moment où Dan Bloch subtilise le téléphone de sa victime - D.R.

C’est une histoire de « revenge porn » hors norme qui vient d’être jugée en première instance devant le tribunal de Paris le 8 mars. Christine (le prénom a été changé), une cadre du groupe Abylsen, un groupe de conseil en ingénierie international, a entretenu une liaison avec le PDG groupe, Dan Bloch. Jusqu’à ce qu’elle décide de mettre fin à cette relation et de prendre de la distance en quittant son emploi. Un enfer s’ouvre alors pour elle. «Ça a été insupportable pour cet homme tout puissant d'avoir une femme qui a lui dit "non". C'est d'ailleurs quand j'ai dit "non, c'est fini" que tout a commencé. », raconte la victime à l’AFP.

Au cours de la soirée de départ de Christine organisée par l’entreprise, le patron subtilise son téléphone portable et change le mot de passe de sa messagerie personnelle. Puis, entre le 1er juin et le 30 septembre 2019, il adresse dans une trentaine d’envois, quelque 3000 courriels à plus de 2000 destinataires. Une entreprise de déconstruction systématique, selon son avocat. Dan Bloch est poursuivi pour usurpation d'identité, pour avoir porté à la connaissance d'un tiers des images à caractère sexuel, pour avoir soustrait le téléphone portable de sa victime et pour avoir accédé frauduleusement à sa boite mail et diffusé des documents privés.

Après avoir pris le téléphone de sa victime, il le glisse dans sa poche. - D.R.
Après avoir pris le téléphone de sa victime, il le glisse dans sa poche. - D.R.

A 2000 collaborateurs de sa nouvelle entreprise, alors que Christine n’a pas encore pris ses fonctions, Dan Bloch envoie des courriels au nom de son ex visant à la détruire.

« Je suis Christine et je souhaite me présenter à vous. (…) 
J’ai poursuivi ma carrière dans des sociétés de conseil en 
stratégie et en organisation et dans la banque, expériences 
durant lesquelles je me suis forgée des compétences et une 
solide réputation en "gestion" c'est à dire "manipulation" des 
relations sociales, des salariés et des Instances Représentatives 
du Personnel. J’ai rejoint Abylsen en 2015 et son PDG, Dan Bloch.

Je me permets de vous faire profiter en pièces jointes de mon 
corps avantageux et des jeux sexuels avec Dan Bloch.

Par ces quelques lignes, je voulais vous montrer comment j’ai 
géré ma carrière grâce à mes dispositions à la manipulation et 
ma capacité à mettre mes relations et mon corps au service de 
ma carrière. »

Photos de nu pour la paroisse

Dans un autre courriel à des collaborateur de l’entreprise, il dévoile son salaire et le contenu de son contrat de travail. L’homme s’attaque aussi à la famille de Christine. Dans un mail signé soit-disant par ses enfants, il écrit :

« Chère famille, On voulait vous dire que maman a trompé papa 
avec son patron Dan Bloch. Pour illustration, des photos de leurs 
jeux amoureux et de leur correspondance Whatsapp. Papa n’a 
pas le courage de partir. Il dit qu’on ne doit pas juger et qu’on doit 
pardonner. Maman montre en apparence son attachement à 
papa et à notre famille, mais nous savons qu’elle reste très 
amoureuse de Dan Bloch. Ça nous fait un peu peur si maman 
décide de partir mais nous croyons que ça sera bien parce que 
maman veut notre bonheur. On vous dira. »

Tout le carnet d’adresse de Christine y passera, les parents d’élève de l’école des enfants, la paroisse, les proches du couple… Pas un seul secteur de leur vie ne sera épargné.

Quand Christine découvre ces courriels, elle décide de se battre. Elle porte plainte le 12 septembre. Dan Bloch, lui aussi, dépose plainte contre X pour intrusion dans son système informatique. Il sera d’ailleurs poursuivi entre autre pour dénonciation calomnieuse dans le procès.

Filmé en train de voler le portable !

Mais la police semble un peu dépassée. « Il y a un vrai problème dans le traitement de tels dossiers, déplore Me de la Morandière. Les policiers ont mis un mois pour commencer à le traiter. C’est nous qui avons fait le travail d’enquête pour eux. Le commissariat local avait peu de moyens. La BEFTI, un service spécialisé, a eu une commission rogatoire du juge du tribunal correctionnel pour exploiter le disque dur de Dan Bloch qui avait été saisi. Ils ont refusé de l’exécuter. Purement et simplement. Finalement c’est le commissariat qui s’en est occupé avec un technicien de la police technique et scientifique. »

Chez Reflets, on a connu la BEFTI plus agressive dans ses actions contre les archanges du mal sur les Internets. Ici ou par exemple.

La police, le revenge porn et Twitter

Le 6 mars, le compte Twitter de la police nationale poste un message sur le revenge porn : « Il a bien reçu ton nude. Tes amis, tes parents, tes camarades de classe, tes cousins, tes professeurs, tes voisins, ton boulanger, ton ex-petit ami, ton facteur, tes grands-parents, ta nièce aussi ».

L'idée est de faire comprendre aux personnes qui échangent ce type de photos que ce qui est numérisé et diffusé via Internet a vocation, à un moment ou un autre, à se retrouver sur la place publique. Acte malveillant (comme pour le revenge porn) ou problème de sécurité informatique, il est quasi certain qu'un fichier, quel qu'il soit, va finir par être public s'il a été diffusé via Internet. Les stars qui pensaient que leurs photos seraient en sécurité dans "le cloud" en ont fait les frais en 2014.

Depuis 2016, « le fait, en l'absence d'accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d'un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même » peut être puni de deux ans de prison et de 60.000 euros d'amende (article 226-2-1 du code pénal).

La manière dont la police nationale a amené le sujet était sans doute maladroite, mais pas de quoi déclencher un shitstorm comme celui qui a eu lieu sur Twitter. Ce message était un raccourci d'une réalité que les utilisateurs d'Internet ont du mal à percevoir ou à vouloir intégrer et traduire en actes. Ce réseau est fait de murs en verre. Ne l'utilisez jamais pour partager quelque chose que vous voudriez garder secret.

Débute alors un travail de fourmi pour identifier l’auteur des courriels malveillants. La victime fait appel à une société d’expertise informatique pour connaître les adresses IP à l’origine des envois malveillants. La boite mail Yahoo, un des deux comptes utilisés par l’auteur des courriels, va révéler un indice important car Yahoo oblige la validation par un numéro de téléphone toute création d’adresse mail. Le téléphone renseigné est partiellement affiché lorsque l’on essaye de réinitialiser le mot de passe. Grâce à cette astuce, les deux premiers et les deux derniers chiffres du numéro de téléphone sont découvert. L'avocat de la jeune femme lui conseille de demander à ses amis de lui envoyer toutes les vidéos de la soirée au cours de laquelle le téléphone a été subtilisé le temps de changer le mot de passe de l’adresse mail. « Nous avons visionné toutes les images et là banco, on voit Dan Bloch mettre le téléphone dans sa poche, raconte son conseil. Le doute n’était plus permis. On a apporté toutes les preuves aux policiers en octobre 2019. Il a été mis en garde à vue en novembre et le 2 décembre il passait en audience de jugement. Le Parquet a été très rapide. »

Yahoo refuse de collaborer avec la Justice

Christine et son avocat doivent aussi se battre pour obtenir que Google et Yahoo, les sociétés détentrices des deux boites mails utilisées par Dan Bloch, livre les adresses IP de connexions sur ces boites mails. C’est ensuite Orange qui dévoilera les adresses physiques des IP de connexions : le domicile de Dan Bloch et le le siège de la société Abylsen.

« Yahoo n’a jamais accédé aux requêtes, malgré les ordonnances de la justice, déplore Me de la Morandière. Google a accepté de nous aider. Ils sont très tatillons sur le respect des formes et ça a été long et compliqué. Mais Orange et Google ont compris que quelque chose de grave se passait. Ça a débloqué la situation. »

Huit requêtes aux fins de levée de l’anonymat concernant les éléments informatiques, expertises informatiques, recherche de preuves de l’implication de Dan Bloch et notamment l’exploitation de la vidéo qui montre le vol du téléphone portable, frais d’huissier… Christine dépensera au total près de 40.000 € pour trouver celui qui est à l’origine de son cauchemar et confondre l’homme à l’origine des courriels malveillants.

Dan Bloch a perdu ses mandats de dirigeant pour faute grave (qu’il conteste) au sein de la société Abylsen. Mais il n’est pas parti les mains vides. Selon un document interne que nous avons pu consulter, il a empoché 6,4 millions d’euros, malgré un départ en « bad leaver »… Selon sa fiche Linkedin, il occupe aujourd’hui le poste de directeur général chez Akka Technologies France, un groupe d'ingénierie et de conseil en technologies qui emploie plus de 7000 personnes.

Deux ans avec sursis

Le patron a été condamné à deux ans de prison avec sursis le 8 mars, une décision dont il peut encore faire appel. « C'était plus fort que moi », a-t-il déclaré lors du procès qui s’est tenu au mois de janvier, invoquant une crise de folie dépressive provoquée par sa rupture avec la victime. « Ce qui m'aidait à tenir, c'est qu'elle partage ma douleur. »

« Je ne commenterai pas la peine de M. Bloch, déclare Me Vincent de la Morandière. Mais je ne comprends pas que le Parquet et les juges aient refusé la requalification des faits en harcèlement. Les atteintes sont pourtant multiples et répétées tant dans la sphère privée que professionnelle. Il est aussi incompréhensible que les enfants de Christine n’aient pas pu être reconnus partie civile. Puisque le tribunal s’est dit non valablement saisi pour ces faits, nous allons entamer une nouvelle procédure avec toutes les victimes de ces courriels malveillants, ses parents et ses enfants, amis entre autres. »

Pour Me de la Morandière cette affaire est particulièrement emblématique de problématique de harcèlement. « Comment fait-on pour se défendre efficacement si l'on a pas les moyens de faire soi-même des investigations rapides, interroge-t-il. Ce dossier montre aussi que le regard sur les victimes a changé. La nouvelle société qui emploie Christine a été exemplaire. Elle a été maintenue à son poste et a été soutenue par la direction. Pour la protéger, ils ont mis une équipe informatique pour bloquer la messagerie pour arrêter les mails malveillants. Ils ont aussi mis de d’argent pour identifier l’auteur des messages malveillants. »

Une audience civile est maintenant prévue le 10 mai pour fixer le montant des réparations financières du préjudice.

La victime se reconstruit doucement. « L’affaire l’a détruite, raconte son avocat. Elle a dû prendre des anxiolytiques et faire un travail psychologique. Elle a même pensé au suicide. » « Si je tiens aujourd’hui, c’est grâce à ma société et à mon mari. » a expliqué Christine à l’AFP.

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