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par Antoine Champagne - kitetoa

Rétablissement des frontières en France depuis 2015

Un coût non négligeable...

Plusieurs milliards d'euros dépensés pour rétablir les frontières intérieures, une menace fantasmée, la voie choisie par la France est clouée au pilori par le Parlement européen.

Frontière (basse) à Menton - Antoine Champagne - Reflets - Citation Reflets.info requise

La libre circulation des personnes et des biens prévues par la convention de Schengen, qui regroupe 26 pays de l'Union Européenne a pris un coup dans l'aile assez sérieux depuis 2015. L'afflux de migrants à la suite du "printemps arabe" en 2011, puis l'exode massif de Syriens en 2015 on conduit plusieurs Etats membres de l'Union à rétablir des frontières "intérieures". Jusque là, les frontières avaient été repoussées vers "l'extérieur" de l'Union. Cette situation a conduit certains Etats à devoir supporter un coût commun de la surveillance des frontières de l'Union. Sur les 7 700 kilomètres de frontière terrestre et 42 600 kilomètres de côtes formant les frontières extérieures, la Grèce doit surveiller 16 000 km de côtes et comporte 4 000 îles...

De manière tout à fait désordonnée, parfois de manière temporaire, plusieurs pays membres ont rétabli leurs frontières en 2015. C'est le cas de l'Allemagne, de la Hongrie, de l'Autriche, de la Slovénie, la Suède, la Norvège, du Danemark.

Le rétablissement des frontières en France a été décidé à l'occasion de la COP21 qui réunissait de nombreux chefs d'Etats à Paris en novembre 2015. Les attentats qui ont frappé le pays ont fourni une excuse supplémentaire permettant d'invoquer l'article 25 et 27 du code frontières Schengen, c'est à dire le rétablissement temporaire des frontières « en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure ». Ces mesures ont depuis été reconduites régulièrement, y compris au delà des deux ans maximum prévus par la convention de Schengen. Rarement abordé, le coût de ce rétablissement des frontières est pourtant conséquent.

1 à 2 milliards d'euros

"Le coût direct pour la France serait de un à deux milliards d’euros selon l’intensité des contrôles aux frontières (sans compter le coût budgétaire de ces contrôles)", estimaient les analystes du commissariat général à la Stratégie et à la Prospective, une institution rattachée au Premier ministre, dans une note d'analyse de février 2016. A plus long terme, estiment ces experts, le "coût additionnel net annuel pour la France" serait "de plus de 10 milliards d’euros, soit 0,5 point de PIB, en ne tenant compte que de la baisse du commerce entre pays de la zone. D’autres impacts s’y ajouteraient probablement, notamment via le recul des investissements étrangers et des flux financiers", précisent les analystes gouvernementaux.

La commission des affaires européennes de l'Assemblée Nationale a quant à elle planché sur le sujet de l'Espace Schengen et la maîtrise des frontières extérieures de l’Union européenne. Le rapport d'information note que la France dispose de 118 points de passage frontaliers (PPF). Depuis le rétablissement "des contrôles aux frontières intérieures, le 13 novembre 2015, plusieurs points de passage autorisés (PPA), auxquels s’effectue le franchissement des frontières intérieures, par opposition aux PPF qui concernent le franchissement des frontières extérieures, ont été activés. 285 PPA ont ainsi été déclarés, soit : 154 tenus par la direction centrale de la police aux frontières (115 routiers, 16 ferroviaires, 22 aériens et 1 maritime) et 131 tenus par la direction générale des douanes et des droits indirects (71 terrestres et 60 aériens)".

Un policier "surveille" les voies peu avant la gare de Menton - Antoine Champagne - Reflets - Citation Reflets.info requise
Un policier "surveille" les voies peu avant la gare de Menton - Antoine Champagne - Reflets - Citation Reflets.info requise

Sans s'attarder trop longuement sur le coût du rétablissement des frontières, préférant détailler les effets négatifs de la convention de Schengen, les députés notent toutefois que "La remise en cause de l’Espace Schengen conduirait à la ruine du projet européen car il en est un des symboles, c’est-à-dire la construction d’un espace dans lequel la recherche de toujours plus de liberté tient une place centrale, les citoyens européens étant très attachés à cette mobilité intra-européenne et à cette fluidité des déplacements. Économiquement, ensuite, Schengen a été un accélérateur déterminant de l’intégration économique européenne grâce à une meilleure circulation des biens et des personnes. Rétablir les contrôles aux frontières intérieures trop longuement risque d’avoir un effet de ralentissement économique durable".

Côté allemand, la chambre de commerce (DIHK), a estimé à 10 milliards d'euros le coût de la réintroduction des frontières dans le pays.

Des risques fantasmés ?

Le Parlement européen a quant à lui adopté une résolution le 30 mai 2018 sur le rapport annuel sur le fonctionnement de l’espace Schengen qui tire à boulets rouges sur le rétablissement des frontières au sein des Etats membres. Il souligne que "le rétablissement de contrôles aux frontières intérieures semble lié à une perception de menace à l’ordre public et à la sécurité intérieure, associée au déplacement de personnes et au terrorisme, au nombre de personnes recherchant la protection internationale et à l’arrivée de migrants en situation irrégulière plutôt qu’à une preuve solide de l’existence réelle d’une menace grave ou qu’à un nombre réel d’arrivées".

Après avoir mis en doute la réalité de la menace qui sert d'excuse au rétablissement des frontières, le Parlement en souligne le coût : elles "ont de graves répercussions sur la vie des citoyens européens et de tous ceux et toutes celles qui bénéficient du principe de libre circulation à l’intérieur de l’UE, et altèrent considérablement la confiance dans les institutions européennes". Qui plus est, "le maintien ou la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures comporte des coûts opérationnels directs et des coûts d’investissement directs pour les travailleurs frontaliers, les touristes, les transporteurs routiers de marchandises et les administrations publiques, et a des effets catastrophiques sur les économies des États membres". Selon le Parlement, "les estimations des coûts liés à la réintroduction des contrôles aux frontières pourraient se situer entre 0,05 et 20 milliards d’euros pour les coûts uniques et atteindre 2 milliards d’euros pour les coûts annuels de fonctionnement".

La France est particulièrement visée par cette résolution. Paris a renouvelé sans discontinuer ses contrôles aux frontières, dépassant largement les deux ans maximum prévus dans la convention. Le Parlement européen "condamne la réintroduction continuelle de contrôles aux frontières intérieures, qui va à l’encontre des principes fondateurs de l’espace Schengen; est d’avis qu’un grand nombre de prolongations ne sont pas conformes aux règles en vigueur en ce qui concerne leur durée, leur nécessité ou leur proportionnalité, et sont par conséquent illégales; [...] déplore également que les États membres modifient de manière artificielle la base juridique de la réintroduction en vue de la prolonger au-delà de la période maximale autorisée dans les mêmes circonstances factuelles". De fait, la loi de sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme, entrée en vigueur en octobre 2017 avait renforcé les possibilités de contrôles dans certaines zones frontalières.

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