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Édito
par drapher

Réponse à Kamel Daoud : l’islam rigoriste n’a rien à envier à notre culture pornographique

Pointer du doigt les travers d’une société, et plus largement ceux d’une culture, voire d’une civilisation n’est pas sans risques. Ni sans conséquences. Même lorsque celui qui procède à cet exercice en est issu, et pense posséder une légitimité naturelle à l’analyser, ce sur quoi il a raison. Qui connaît le mieux une culture que celui qui y a grandi ?

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Pointer du doigt les travers d’une société, et plus largement ceux d’une culture, voire d’une civilisation n’est pas sans risques. Ni sans conséquences. Même lorsque celui qui procède à cet exercice en est issu, et pense posséder une légitimité naturelle à l’analyser, ce sur quoi il a raison. Qui connaît le mieux une culture que celui qui y a grandi ? Pour autant, cet exercice d’introspection culturelle et religieuse pose quelques problèmes d’ordres éthiques, historiques et philosophiques lorsqu’il devient une démonstration générale. Non pas que cette démonstration soit parfaitement  fausse ou totalement absurde dans le cas de Kamel Daoud, ni de mauvaise foi, mais parce qu’elle écarte un nombre incalculable de causes et d’effets, pour se concentrer sur un instant dans l’histoire, relié à un modèle partagé par le plus grand nombre en cet instant. Celui, par exemple, de « l’islam actuel », qui prévaut dans une partie du monde musulman. L’islam rigoriste « wahhabisé », en réalité.

Démonstration réductrice et globalisante

La frustration sexuelle menant des hommes à des comportements odieux envers les femmes, le culte de la supériorité masculine, et de nombreuses formes de violence trouvent très certainement une partie de leurs origines dans la « culture musulmane » des pays arabes actuels. Dans cet « islam là ». Mais pas uniquement, et loin de là. Cette démonstration — particulièrement binaire — des causes et effets sur les mentalités au sein des sociétés, par un facteur central — le religieux seul dans le cas d’espèce — est l’un des maux de notre époque, et que Kamel Daoud y participe est à la fois étrange et dommageable (lire Kamel Daoud : « Cologne, lieu de fantasmes »). La réponse de ses détracteurs est intéressante (un collectif d'historiens et de sociologues), bien que laissant traîner une accusation d’islamophobie, qui endommage le propos en fin de texte (lire : Nuit de Cologne : « Kamel Daoud recycle les clichés orientalistes les plus éculés ».) Amusons-nous, à notre tour à décrire la réalité de la culture européenne, voire occidentale, comme Kamel Daoud peut le faire pour le "monde arabe". Et regardons ce qu’engendre le modèle dominant, qui oriente les esprits, les rapports humains en Occident, comme le nouvel islam rigoriste peut le faire dans les pays musulmans.

L’Occident : un modèle d’hypocrise

Nos sociétés occidentales sont parfaitement hypocrites. Elles prétendent être forgée par des valeurs humanistes issues du siècle des lumières, de la religion chrétienne ou des droits universels créés par la révolution française, alors qu’elles charrient en permanence des idées et des principes parfaitement opposés à celles-ci. La chrétienté, religion basée sur l’amour du prochain et de Dieu, revendiquée par bon nombre de pays occidentaux (à l’exception notable d’un pays comme la France, qui la remplace par les Droits de l’homme, mais qui par essence véhicule des valeurs similaires) est un dogme religieux qui demande à ceux qui prétendent le suivre, des préceptes très particuliers. Pauvreté, humilité, charité, pardon, non-violence, compassion.

Les sociétés dites « chrétiennes » font exactement l’inverse. Les fondamentaux véhiculés par ces sociétés sont : richesse, fierté, compétition, exclusion, revanche, agression, égoïsme, individualisme et domination. Les valeurs humanistes, ou celles de la déclaration des droits de l’homme n’ont rien à envier à celles de la chrétienté, puisqu’elles établissent la nécessité de protéger les plus faibles, d’empêcher la violence, d’instaurer une justice égalitaire. Cette parfaite hypocrisie occidentale se matérialise par le fonctionnement opposé des sociétés qui en découlent et s’en revendiquent, mais aussi par une nouvelle forme de religion qui s’y est instaurée. Le terme de religion est peut être galvaudé, mais étant un « produit de remplacement » avec les mêmes formes de pratiques et d’effets, il est difficile d’employer un autre terme. De plus, religion vient du latin « religare », signifiant « qui relie », et les sociétés occidentales ont inventé une nouvelle religion, qui relie les individus. Elle s’appelle le matérialisme capitaliste.

La religion du désir matériel

Dans cette religion, ce qui relie les individus sont les objets. Les objets de désir plus précisément. La femme est « libre », « émancipée », et le modèle qu’elle est censée atteindre est celui de la figure de la « prostitué indépendante », autonome et fière de pouvoir affirmer sa beauté et le désir sexuel qu’elle se doit de répandre autour d’elle. Une prostituée dans les formes, mais qui ne se prostitue pas, au sens propre. La liberté, en Occident, c’est de donner envie de consommer, et de consommer « sans entraves ». Sexuellement, surtout mais pas seulement. L’objet de désir est central. Il représente la quête absolue et permanente des individus : acquisitions de biens, de services, de nouveaux pouvoirs, de nouvelles capacités. L’homme est lui aussi libre, émancipé, et le modèle qu’il doit atteindre est celui de la puissance par la capacité financière, morale et physique : sa séduction, centrale, passe par un corps sculpté, jeune, une plastique la plus irréprochable qui soit, et si c’est impossible, par l’argent qui lui offre la possibilité d’accéder de façon quasi illimitée aux femmes émancipées les plus désirables, ces prostituées qui n’en sont pas, mais en ont tous les attributs. Progresser, s’améliorer matériellement, agrandir son pouvoir matériel, sur les autres, gagner, croître, dominer : tous ces concepts sont vendus en permanence par la religion matérialiste capitaliste grâce ses prêtres du marketing, via les programmes de télévision, les enseignes commerciales sur le réseau mondial, au cinéma ou en affiches publicitaires.

Victoria Silvstedt dans une pub suggestive par LeNouvelObservateur

Une majorité d’enfants occidentaux regardent de la pornographie dès l’âge de 11-12 ans aujourd’hui en Occident. Ce « programme filmé de pornographie en ligne » est un produit d’appel qui synthétise le fonctionnement en société. Il est très important. La pornographie véhicule toutes les valeurs de la société et de sa religion matérialiste capitaliste : la domination, l’humiliation, la consommation, l’excès, la vulgarité, la facilité, l’égoïsme, la soumission, l’apologie de l’argent, de la puissance et de la bestialité.

Ignorer le phénomène de la pornographie et de ses effets dans la société d’aujourd’hui est équivalent à ignorer les discours des islamistes intégristes dans les sociétés arabes. Mais la pornographie n’est pas seulement présente dans les vidéos XXX du net, au sein des sociétés occidentales. La téléréalité est par exemple un spectacle pornographique non sexuellement explicite. Mais il est une forme de pornographie. Il filme l’intimité des personnes, les forçant à fabriquer du spectacle avec leurs individualités, le plus crûment possible.

La pornographie comme modèle

La pornographie est présente un peu partout dans la culture actuelle occidentale. Montrer les choses, au plus près, sans âme, de manière répétitive, sans autre objectif qu’exciter le spectateur pour lui créer une addiction, le rendre hyper-dépendant. Information courte, toujours identique dans le traitement, thèmes et format récurrents faisant appels aux émotions les plus basiques, lumières et techniques de tournage peu chères et répétitives. Les exemples de l’invasion de la pornographie dans les sociétés occidentales sont légions. Les effets de cettte invasion sont parfaitement connus, ils mènent à des comportements individuels et collectifs assez négatifs, pour au final écrouler la culture ancienne, ciment du vivre ensemble et de l’équilibre sociétal. La décadence de la culture occidentale est une réalité, tout comme la décadence culturelle des pays arabo-musulmans. Ces décadences ne passent simplement pas (entièrement) par les mêmes phénomènes.

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Cher Kamel Daoud, la culture dont je suis issu n’a pas toujours été telle qu’elle est aujourd’hui, il reste même encore des traces de l’ancienne. Tout comme la culture arabo-musulmane n’a pas toujours été telle qu’elle est aujourd’hui. Les sociétés, les cultures interagissent les unes avec les autres, de plus en plus. Croire que c’est une religion, l’islam en l’occurrence, issue d’une culture ancestrale, qui abaisse les individus, les plonge dans la brutalité ou la vulgarité, est une erreur. L’islam rigoriste, politique, actuel, tout comme la culture et la politique chrétienne ou « humaniste et droit-de-l’hommiste » occidentale [devenue une pornographie culturelle avec son église matérialiste-capitaliste] ne sont rien d’autre qu’une réponse, à un moment donné, d’êtres humains embarqués dans une aventure très moderne, appelée mondialisation. Une aventure complexe, qui demande de nombreuses analyses pour en connaître tous les effets…

Parler du rouleau compresseur de la mondialisation

Réduire les problèmes qu’engendre cette mondialisation (économique, politique) à des causes religieuses et culturelles est faire l’impasse sur le sujet. Et laisser accroire que ce rouleau compresseur du capitalisme financier a-culturel ne serait en rien responsable des problèmes actuels, mais lui préférer une résurgence du religieux, est un aveuglement certain. Sinon, comment expliquer les femmes arabes algériennes en maillot de bain deux pièces nonchalamment étalées sur les plages d’Algérie dans les années 70 ? C’était une époque où Alger était la capitale des révolutionnaires marxistes. L’islam était pourtant la religion officielle, partagée par le plus grand nombre. Personne ne peut penser que le Front islamique du salut a brisé l’Algérie par hasard, à partir de 1992, au moment même où le bloc soviétique s’écroulait. A moins que ?

Dans un moment difficile pour l’Europe (à son niveau), où l’essentialisme revient en force, doublé de nationalismes teintés d’intégrismes, religieux ou non, il semble plus que nécessaire de refuser une vision forcément réductrice des « arabo-musulmans », voire des musulmans tout court, faite d'une addition de frustrations sexuelles et de mépris de la « femme ». Cette vision est celle de ceux qui refusent de regarder la poutre qu’ils ont dans l’œil tout en cherchant les pailles dans ceux des autres. Les autres : les étrangers, les non-occidentaux, les arabes, les musulmans. Cette métaphore de la poutre et de la paille, toute chrétienne, devrait nous rappeler que rien n’est acquis et que ce que nous nommons « culture » ou « religion » ne sont peut-être en fait —désormais — rien d’autre qu’une forme ou une autre de ce qu’on appelle plus prosaïquement « propagande ».

Ne nous laissons pas aveugler par elle. Qu’elle qu’elle soit. D’où qu’elle provienne.

Bien à vous.

Drapher.

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