Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
Édito
par Yovan Menkevick

Reflets : provoquer et inciter à la…réflexion

(C'est à la suite des commentaires quelque peu agressifs, commentaires qui obligent à répondre agressivement (ce qui n'est jamais très bon) que ce billet est né. Son objectif est simple : exprimer le pourquoi de la démarche des derniers articles, provocateurs et cinglants, mettant en cause des fonctionnements humains, les nôtres.

(C'est à la suite des commentaires quelque peu agressifs, commentaires qui obligent à répondre agressivement (ce qui n'est jamais très bon) que ce billet est né. Son objectif est simple : exprimer le pourquoi de la démarche des derniers articles, provocateurs et cinglants, mettant en cause des fonctionnements humains, les nôtres. De Facebook à l'apiculture, en passant par la conservation des semences anciennes, le logiciel libre ou les filières alimentaires associatives, une certaine approche cohérente des choses se crée, peut-être une issue positive pour l'avenir ?. Ceci n'est donc pas un article.)

Tout part du principe d'inversion des valeurs et de la société du "concernement", qui se mélange avec celle de l'opinion : il y a des choses qui sont difficilement entendables parce qu'elle touchent à nos contradictions. A notre responsabilité, pas seulement collective, mais aussi personnelle.

L'article à propos de Facebook est intolérable (pour certains) parce qu'il dit de façon explicite que Facebook est un outil anti-démocratique, enfermant, qui empêche une partie de plus en plus conséquente des internautes de faire vivre le reste du réseau, qu'il participe à la société de la surveillance, de l'utilisation des données personnelles et de la dictature du marketing. Par conséquent, ceux qui sont sur Facebook voient bien qu'ils sont assimilés à ces phénomènes. Ce qui est vrai : participer directement à Facebook c'est collaborer au succès de Facebook, donc être complice. La provocation pure est de traiter d'abrutis les internautes qui étalent leur vie personnelle sur Facebook. Ca ne sert à rien, mais ça fait toujours du bien de le dire. Bien entendu, on peut nuancer le propos, mais pour quoi faire ? Pour mieux faire passer le message ? Mais lequel ? Que les internautes doivent partir de Facebook ? Ce serait donner beaucoup trop d'importance et de pouvoir à l'auteur que de penser qu'un article, même nuancé, pourrait influencer les internautes qui livrent leurs données  tous les jours à une société privée américaine qui en fait son beurre. Sachant que critiquer Facebook doit être est possible sans demander quoi que ce soit à quiconque…normalement.

Alors, la démarche de ce premier article, ou billet d'humeur sur Facebook était avant tout celle de pointer la contradiction des individus : se plaindre des abus de la finance, du pouvoir destructeur des multinationales et faire vivre tous les jours une société comme Facebook est problématique, surtout si l'on dénonce ces mêmes abus. Certains sont venus pointer le bouton Facebook sur les articles de Reflets, nous exprimant à leur tour une contradiction. La réponse reste la même : entre participer à l'écosystème fermé Facebook, avec un compte, des données et seulement permettre, depuis un site, à ceux qui y sont d'y communiquer (ou pas) des contenus venus de l'extérieur, il y a un fossé. Si les utilisateurs se lassent de Facebook, le bouton ne remplira plus aucune fonction. Cela ne changera rien de l'enlever ou pas. Mais le fond n'est pas là. Le fond est : "pourquoi parler des individus, de leur responsabilité et de leurs contradictions, de leur complicité, au lieu de se contenter de continuer à dénoncer les "entités supérieures" (politiques, économiques) qui ont pourtant elles aussi leur part de responsabilité ? Des contradictions, nous en avons tous. Mais jusqu'à quel point est-ce supportable, et qu'est ce que cette contradiction engendre, à quoi est-elle due ?

La société du concernement, de l'implication et de l'inversion des valeurs

Ce qui caractérise l'époque actuelle est une surcharge d'information qui incite une majorité d'individus (dont l'auteur) à rentrer dans une "spirale du concernement" : je sais des choses, je ne peux que me sentir concerné par ces choses. Mais les informations qui peuvent nous concerner sont légions, et touchent à des pans entiers de nos vies : pollution, santé, environnement, économie etc, etc… Arrive donc un moment où nous nous sentons impliqués, puisqu'au milieu des problèmes renvoyés par les canaux d'information. Impliqué veut dire "pris à l'intérieur", complice. Les problèmes écologiques sont un très bon exemple de ce phénomène : chacun devient conscient des problèmes de pollution et l'information globale renvoie que chacun peut et doit faire quelque chose pour empêcher un désastre annoncé. N'importe qui en France, s'il est interrogé sur la préservation de l'environnement répondra qu'il se sent concerné, qu'il essaye de faire quelque chose. Mais chacun de se retrouver impuissant puisqu'au delà de l'information, les solutions concrètes et viables à l'échelle de chaque citoyen ne sont pas données. Ou si des solutions sont données elles sont homéopathique et ne trompent plus grand nombre : acheter des voitures "vertes" (il faut l'argent et c'est un oxymore), économiser l'eau, moins dépenser d'énergie (il faut investir dans l'isolation), rouler moins vite, etc…

Ce qui survient assez rapidement et qui est en cours aujourd'hui, avec ce principe de surcharge informative, concernement, implication est l'émergence de comportements et d'une pensée nihilistes. Comportements  et pensée nihilistes en phase avec la société de consommation qui s'en nourrit de façon inégalée. Les comportements nihilistes sont baignés d'inversion des valeurs : il n'y a plus de bien et de mal en général dans cette approche, mais des choses qui se valent, des équilibres qui compensent des déséquilibres. Pour parler de l'article sur l'écologie, à grande échelle c'est le rachat d'émissions polluantes, à petite échelle c'est l'achat de voitures diesel vertes, d'actes responsables et durables, d'achat d'aliments labellisés "bio". Les citoyens sont alors convaincus que leur concernement suivi de leur implication dans leur changement de consommation a un "effet positif pour la planète". Cet exemple ne se veut pas une charge contre ces changements de comportements, ni un réquisitoire contre la prise de conscience écologique de la population française de la deuxième décennie du XXIème siècle, mais simplement une piste de réflexion sur le sens réel de ces changements en grande partie nihilistes. Pourquoi nihilistes ? Parce qu'ils inversent les valeurs de ce qu'est l'écologie et la préservation ou protection de l'environnement.

Les grands problèmes écologiques qui touchent notre territoire comme la quasi totalité de la planète sont pour la plupart dus à une sur-exploitation des ressources par l'homme et de la destruction de ressources naturelles par les rejets polluants humains. Et la conséquence centrale de ces actions des sociétés humaines est la destruction de la biodiversité. Des variétés de plantes, d'animaux, d'insectes se raréfient ou disparaissent. Plus l'industrie et l'urbanisme augmentent avec la croissance démographique, plus certains espaces naturels se raréfient eux aussi. La culture intensive, appelée aussi agro-industrie, dévore des pans entiers de territoires pour y imposer la mono-culture, donc une seule forme d'espèce, hybridée par l'homme. Ce n'est donc pas moins polluer qui est écologique mais participer à ré-enrichir la bio-diversité.

Voir l'écologie comme un "moins de pollution" est une inversion des valeurs. C'est en réalité un système nihiliste voué à nourrir un ensemble minoritaire de prédateurs économiques. Le moins de pollution est évidemment une nécessité, une obligation dans la mesure des possibilités financières des personnes et de la société dans son ensemble, mais n'a rien à voir avec l'écologie. Le moins de pollution est une régulation du système industriel et marchand face aux ravages qu'il engendre, exactement de la même manière que la finance devrait être désarmée pour stopper le chaos qu'elle engendre. Mais ce n'est pas de l'écologie.

Sortir du nihilisme et du concernement/implication

Ce que ces articles renvoient, et que l'auteur assume, se mettant en jeu lui-même dans la boucle, est d'un ordre quasi philosophique mais est pourtant crucial pour les choix de société qui vont s'effectuer. Si la situation est grave, elle l'est par l'impuissance apparente des populations et de leurs gouvernements : l'économie va mal, l'environnement va mal, la politique va mal, tout va mal. Les grandes déclarations, les discours engagés n'ont pas fait beaucoup avancer les choses, c'est le moins qu'on puisse dire. L'impuissance semble la règle. Mais il y a pourtant des avancées très intéressantes qui s'opèrent. Elles existent par l'opiniâtreté d'individus, ceux qu'on appelle "la société civile." Cela peut-être des associations, des collectifs, ou des individus isolés. Et tous ont un point commun : ils sont passés du concernement, de l'implication à l'action concrète.

Bien entendu, personne ne parle d'eux, ils ne sont pas invités dans les commissions, ne sont pas dans les ministères, ne bénéficient pas de traitement médiatique. Et malgré ça, leurs actions concrètes ont un impact très sensible sur l'ensemble. Ainsi que pour eux-mêmes. Un article dédié à chacun de ces "agissants" serait nécessaire pour démontrer la valeur de leur travail : producteurs de semences paysannes anciennes, associations d'apiculteurs, apiculteurs amateurs ou professionnels, paysans qui innovent dans les techniques raisonnées sans chimie, planteurs d'arbres, de plantes rares, filières directes agricoles, coopératives d'agriculteurs, habitats autonomes en énergie, etc…

L'accord entre pensée et actes est très positif parce qu'il amène à l'individu un confort personnel que l'on nomme habituellement "harmonie" : faire ce que l'on dit et dire ce que l'on fait est agréable. Mais cet accord évite aussi le renversement des valeurs et peut se faire par étapes, ne nécessitant pas nécessairement d'être socialement ou économiquement élevé : il est une liberté des individus de vivre ses choix. Avec les risques que cela comporte et une garantie : celle de mieux vivre. Le misérabilisme moderne écarte rapidement cet aspect en décrivant des individus fatigués par les transports en commun et ne pouvant "pas faire autrement", en aucune manière.

C'est un grand dommage : des milliers de personnes font pourtant le choix de quitter leur environnement nihiliste et changent radicalement de mode de vie chaque année pour se mettre en accord. La prison dans laquelle nous vivons est celle que nous nous fabriquons.

A quoi bon ce billet, mais à quoi bon ?

Comme de nombreux détracteurs ont tendance à amalgamer les choses, opérer des raccourcis, faire dire ce qui n'est pas dit aux textes, il est nécessaire d'énoncer clairement les choses dans cette dernière partie : ce qui est décrit, exposé ici est une réflexion. Sur le magazine Reflets. La réflexion, le fait de réfléchir, sur Reflets. Ca doit faire sens. Ce qui signifie qu'il n'est pas dit "tout le monde devrait faire ça" ou encore "il n'y a que cette solution", ou "tout le reste est nul et non à venu". Non. Il est simplement établi ici une piste de réflexion d'un auteur qui pense que sortir du seul concernement ou implication, ainsi que du nihilisme pur  qui en découle est un levier important pour l'équilibre des individus, et à termes, pourquoi pas, pour les sociétés. Le modèle actuel est essoufflé, il a montré ses limites. La communication a remplacé l'échange. Les discours les actes. Et les résultats sont négatifs. Pourquoi ne pas essayer de se pencher sur une autre manière d'être et de faire ? C'est en tout cas ce que pense et décrit l'auteur.

Dans tous les cas, si la contradiction est désormais une valeur que certains défendent (Facebook, écologie anti-pollution, par exemple), elle est le carburant du nihilisme et ne peut que nous pousser vers des "vivre-ensemble" de plus en plus difficiles. C'est encore une conviction. de l'auteur. Comme celle que les défenseurs du logiciel libre ont su avant tout créer, en groupe, parfois seuls, mais ont fait une chose importante : mettre en adéquation leurs convictions dans les actes. Et c'est pour cela que nous avons le GNU et la possibilité de ne pas être captifs d'un ou deux systèmes d'exploitation propriétaire.

Que se passerait-il si la même chose se produisait pour l'écologie, l'agriculture, l'alimentaire, l'habitat, les échanges marchands ?

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