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Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

Reflets dévoile la proposition technique et commerciale du projet Popcorn

La solution d'Amesys, devenue Nexa Technologies a bien été vendue au Maroc

En mai 2015, nos révélations sur le projet Popcorn au Maroc avaient déclenché une enquête de la part du ministère de l'Intérieur qui niait la relation commerciale avec Amesys/Nexa. Le document que nous publions aujourd'hui devrait définitivement lever les doutes.

Nexa et Advanced Middle East Systems, producteurs de popcorn - © Reflets

Le Maroc, ses riads prisés de certains « people » parisiens comme BHL ou Dominique Strauss-Kahn, La place Jemaa el-Fna et ses charmeurs de serpents… Mais aussi… Le Maroc régulièrement pointé du doigt par les ONG pour son piètre respect des droits de l’Homme. Tout cela bien entendu n’est qu’une question de point de vue. Il est fort probable que les « people » parisiens ne voient rien à redire dans ce domaine, tandis que les journalistes locaux comme Omar Radi ou les opposants politiques trouveront que les prisons du Roi sont très inconfortables. On parle même de torture. Amnesty International et Human Rights Watch, ont dénoncé une « campagne de répression » des autorités marocaines contre les opinions critiques exprimées sur les réseaux sociaux. Plusieurs opposants ou journalistes ont évoqué publiquement le fait d’avoir été l’objet de surveillance numérique. Le Maroc était le troisième client de Hacking Team, une société vendant des produits permettant de pirater ordinateurs et téléphones. Ses produits étaient très prisés des pires dictatures où ils étaient utilisés pour s'introduire dans les téléphones d'opposants et de journalistes.

Il y a donc matière à s’alarmer gravement lorsque l’on sait que le Maroc s’est doté d’une bombe atomique en matière de surveillance desdits réseaux sociaux et d’Internet en général. Dès 2010, le Maroc achetait un système d’interception du trafic Internet à l’échelle du pays à Amesys. Le même que celui qui avait été déployé en Libye. Révélée par Reflets, cette vente a fait couler beaucoup moins d’encre que le contrat libyen, lui aussi mis à jour par Reflets. Pourtant, le non-respect des droits de l’Homme par Rabat est notoire. En 2017, Reflets revenait sur le projet qui n’existait pas (selon le Maroc) et exposait la montée en charge de l’infrastructure décidée en 2012.

Parmi les milliers de documents internes à Amesys, puis Nexa Technologies que Reflets a obtenu au fil des années, figure le projet Popcorn au Maroc. Nous l’avions longuement détaillé pour les non-techniciens (voir nos deux liens du paragraphe précédent, par exemple). Nous avions à ces occasions publié quelques extraits de documents à notre disposition. Depuis le début de nos révélations, nous nous refusons à publier nos documents. A une exception près. Nous avions fourni des documents lorsque le ministère de l'Intérieur Marocain avait annoncé porter plainte contre des journalistes et des ONG accusant le Maroc d'avoir acheté des produits Amesys (le projet Popcorn).

Alors que la Justice semble s’intéresser aux contrats passés dans d’autres pays fâchés avec les droits de l’Homme que la Libye, Reflets a décidé de publier l'ensemble de la « proposition technique et commerciale » concernant Popcorn. Pour télécharger le document, cliquez sur l'image ci-dessous.

Pour mémoire, dans son rapport annuel 2020 sur le Maroc, Amnesty International indiquait entre autres :

Les autorités ont continué de réprimer la liberté d’expression au Maroc et au Sahara occidental, ouvrant des enquêtes et des poursuites contre un certain nombre de journalistes et de militant·e·s en raison des articles qu’ils avaient publiés en ligne.

Neuf hommes au moins, dont des rappeurs et des militants, ont été condamnés en janvier par divers tribunaux situés un peu partout dans le pays à des peines allant de six mois à quatre ans d’emprisonnement pour des propos diffusés sur YouTube ou Facebook. Tous étaient accusés d’« outrage » à des fonctionnaires ou à des institutions publiques en vertu du Code pénal.

Le journaliste et militant sahraoui des droits humains Ibrahim Amrikli a été arrêté en mai à Laâyoune, au Sahara occidental, et maintenu en détention pendant plus de deux jours. Des agents des forces de sécurité l’ont interrogé à propos de ses activités à la Fondation Nushatta, une organisation sahraouie de défense des droits humains ; ils l’ont frappé et insulté à plusieurs reprises. Ils l’ont forcé à signer des « aveux » dans lesquels il reconnaissait avoir jeté des pierres à des policiers en avril, une accusation dénuée de tout fondement. Ibrahim Amrikli a été inculpé deux jours plus tard d’infraction aux prescriptions liées à l’état d’urgence sanitaire et d’« outrage à des fonctionnaires publics » (article 263 du Code pénal). Son procès s’est ouvert le 18 novembre, mais a été ajourné, sans qu’une nouvelle date n’ait été fixée.

Dans un rapport publié en juin, Amnesty International a révélé que le téléphone du journaliste indépendant Omar Radi avait été piraté au moyen de technologies de surveillance produites par l’entreprise israélienne NSO Group4. Omar Radi a été convoqué pour être entendu par la police à plusieurs reprises après la publication de ce rapport. Il a été la cible d’une campagne de dénigrement de la part des médias d’État, qui l’ont accusé d’espionnage. Le 29 juillet, le procureur de la cour d’appel de Casablanca l’a inculpé d’agression sexuelle, de viol, d’« atteinte à la sûreté extérieure de l’État » et d’« atteinte à la sûreté intérieure de l’État », en vertu de différents articles du Code pénal. Bien que rejetant avec véhémence ces accusations, le journaliste a été placé en détention provisoire et à l’isolement. Il n’avait pas été remis en liberté à la fin de l’année.

En juillet, la police de Laâyoune a retenu arbitrairement Essabi Yahdih pendant 10 heures, avant de le libérer sans inculpation. Le fondateur de l’organe de presse Algargarat s’était rendu au poste de police pour y obtenir un certificat administratif. Il a déclaré avoir été insulté et menacé « d’arrestation, de viol et de mort » par les policiers, qui l’ont interrogé sur la ligne éditoriale d’Algargarat, sur les personnes travaillant dans cette publication et sur la façon dont elle était financée. Il a aussi été questionné à propos de contenus qu’il avait mis en ligne à titre personnel, en particulier un qui ironisait sur une publication d’un député marocain à propos du roi.

En décembre, après des années de harcèlement et de surveillance illégale, un universitaire et défenseur des droits humains, Maati Monjib, a été arrêté arbitrairement et placé en détention. Lui et des membres de sa famille étaient accusés de blanchiment d’argent et il attendait son procès à la fin de l’année.

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Reflets a tenté de contacter Amnesty et RSF pour approfondir les points marquants en matière de non-respect des droits de l’Homme au Maroc.

En vain. Les deux ONG ne sont pas revenues vers nous.

Dommage parce que RSF avait sûrement des choses à dire.

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