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Dossier
par Jacques Duplessy

Recyclage des déchets du BTP : une loi et des solutions

On sait aujourd'hui recycler 98% des déchets du batiment !

La loi économie circulaire du 10 février 2020 prévoit des nouvelles avancées pour prévenir les décharges illégales et éviter le gaspillage. C'est la naissance d'une nouvelle filière qui se dessine. Elle pourrait créer de nombreux emplois. Décryptage et reportage auprès des pionniers du recyclage.

Site de valorisation des déchets de Eurovia - © Cyril Marcilhacy

Dans un fracas d’enfer, le concasseur avale le mélange de terre, plastique , béton et plâtre venus des chantiers. De ce concassage et de ce criblage, les déchets sortent en fonction de la taille et de leur densité. Les résidus ultimes arrivent dans des bennes, les autres passent sur des tapis roulant, avant d’être pour certains lavés. In fine, le gravier et le sable obtenu servent pour le béton ou pour des sous-couche pour la construction de route, la terre est transformée en briques, les limons, après ajout de chaux, sont revendus pour les remblais et les tranchées de travaux publics. Le groupe Estérel à Fréjus a été un pionnier du recyclage depuis 25 ans. « Nous atteignons aujourd’hui 98 % de revalorisation, explique Gérard Ferro. Aujourd’hui on peut revendre les produits de valorisation 10 à 12 € la tonne. Les déchets sont une ressources, mais il faut qu’on s’en occupe. C’est une décision politique. Les dépôts sauvages ne devraient pas exister. Le problème est que le dépôt en décharge est trop cher, alors on pousse les entrepreneurs à chercher des solutions alternatives, on encourage l’illégal. » Le prix de la mise en décharge est actuellement deux fois supérieur à celui du terrassement. Autre frein, les entreprises doivent parfois parcourir 80 kilomètres pour trouver un lieu de dépôt. L’État estime qu’il y a 2,2 millions de tonnes de déchets du BTP abandonnées illégalement chaque année en PACA, sur les 14 millions de tonnes produites annuellement. Au niveau national, le secteur du bâtiment produit 46 millions de tonnes par an.

Gerard Ferro, PDG groupe Esterelle. Pionnier du recyclage des déchets du bâtiment. - © Cyril Marcilhacy
Gerard Ferro, PDG groupe Esterelle. Pionnier du recyclage des déchets du bâtiment. - © Cyril Marcilhacy

Chez Eurovia, on a également pris le recyclage au sérieux. Cette entreprise, qui accueille 30 % des déchets du BTP en Provence-Alpes-Côte d’Azur, produit un million de tonnes du granulat issu du recyclage, soit 50 % du granulat « vert » produit en PACA. « On a mis en place un maillage pour récupérer les déchets du BTP, explique Colin Bessait, le directeur régional. Il faut d’abord récupérer la ressource. » L’entreprise a aussi créé un labo de recherche pour trouver ces nouveaux matériaux et s’assurer de leur qualité. « Par exemple, on utilise du machefer, des résidus ultimes d’incinérateur dans du béton. On a fait ici toutes les études sur la résistance et l’innocuité environnementale. On va bientôt entrer dans la phase de commercialisation. »

Les matériaux recyclés n'ont pas la cote

Mais les obstacles sont nombreux sur le chemin du recyclage. « Il ne suffit pas de recycler, il faut encore vendre ces produits, souligne Gérard Ferro. Le lobby des carrières est contre le sable et le gravier issus du recyclage, car cela perturbe leur économie. Pourtant notre sable est aussi bon que leur leur. Je sais de quoi je parle, j’ai été carrier. » Étonnamment, les produits « verts » n’ont pas la cote. « La demande de matériaux issu du recyclage n’a pas décollé, déplore Colin Bessait. Les décideurs et les techniciens du BTP se méfient de ces produits, ils craignent que la qualité ne soit pas au rendez-vous. On avait créé des marques spécifique pour nos produits issus du recyclage. Désormais, on se dirige vers une nouvelle stratégie : les mélanger au produit classique. Nous sommes sûrs que la qualité n’en pâtira pas. »

Site de valorisation des déchets de Eurovia - © Cyril Marcilhacy
Site de valorisation des déchets de Eurovia - © Cyril Marcilhacy

Autre soucis, pour produire des produits recyclés de qualité, il faut des gens bien formés « Il n’y a pas d’école pour cela, sauf à Bordeaux pour le plastique, déplore Gérard Ferro. J’ai émis l’idée qu’on lance un parcours de formation au recyclage des déchets du BTP. On pourrait créer des dizaines de milliers d’emplois en France non délocalisables. »

Gérard Ferro et Colin Bessait s’accordent pour souhaiter que l’utilisation de matériaux recyclés soit imposée dans le cahier des charges de la commande publique et privée. « Il serait aussi bon que les marchés de destruction soient pensée en deux lots : déconstruction et valorisation, explique Colin Bessait. Comme cela le recyclage est encouragé. Aujourd’hui, c’est un seul lot, donc l’enfouissement est privilégié, voir le dépôt illégal. Là, la traçabilité du produit est plus grande car l’entreprise qui va valoriser les déchets les attend. » Il a proposé cette inscription lors d’une réunion du Plan régional de prévention et de gestion des déchets (PRPGD). Elle n’a pas été retenue. « Pas encore », veut espérer Colin Bessait.

La tendance est désormais au sur-cyclage. « Aujourd’hui on sait faire des matériaux nobles à partir de ces produits recyclés des bordures de trottoir, des bancs en béton, par exemple », explique Gérard Ferro.

Déconstruire pour réutiliser

« Les meilleurs déchets sont ceux qu’on ne produit pas », déclare Valérie Décot, une architecte qui a cofondé le réseau R-aedificare. Avec sa consœur Céline Lassaigne, elles ont remporté un appel d’offre de l’Ademe pour la création d’une nouvelle filière de réemploi des déchets.

Celine Lassaigne (gauche) et Valérie Decot (droite), architectes et fondatrices de l'association RAEDIFICARE - © Cyril Marcilhacy
Celine Lassaigne (gauche) et Valérie Decot (droite), architectes et fondatrices de l'association RAEDIFICARE - © Cyril Marcilhacy

« On se rend compte qu’il y a plus de réemplois possibles qu’on le pensait au départ, raconte Valérie Décôt. On a fait deux tests autour du nouveau quartier Euro-méditerranée à Marseille qui prévoit de nombreuses démolitions, une reconstruction et la déconstruction de la faculté de médecine Aix-Marseille-Université. On s’est aperçu que l’on pouvait réutiliser des vitrages, du matériel électrique, des sanitaires, du parquet, etc. Et même la charpente métallique de la fac de médecine. On voit des cas où les bâtiments sont rénovés deux ans avant d’être démolis ! » Aujourd’hui, des acteurs publics et privés font appel à elles pour penser le réemploi et les conseiller.

L’étude des deux architectes s'est terminée en décembre2019. « Nos conclusions sont qu’il faut impliquer les maître d’ouvrage et anticiper le réemploi dans la déconstruction. On a mis en place un partenariat avec le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) pour lever les doutes sur la qualité des produits qu’on voudrait réutiliser. Il faut rassurer le bénéficiaire final. » Elles sont aussi en train de finaliser un outil numérique pour qu'offres et demandes se rencontrent. Elles espéraient que la loi Économie circulaire contribuerait à faire évoluer les mentalités et que le appels d’offre pourront intégrer des matériaux de de réemploi.

Une loi qui fait avancer

La loi économie circulaire du 10 février 2020 ne leur a toutefois pas donné satisfaction. Les assureurs qui garantissent les chantiers s’inquiètent en cas de réemploi de matériaux. Mais la loi comporte des avancées indéniables.

Elle crée, à partir du 1er janvier 2022, une filière « Responsabilité élargie du producteur » (REP) pour les produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment. Concrètement, le dispositif vise à faire payer aux fabricants une écocontribution, qui devrait financer : la reprise gratuite des déchets triés ; le ramassage ainsi que le traitement des décharges sauvages de déchets du bâtiment ; le développement des filières de recyclage et le renforcement du maillage territorial des points de collecte. La mise en place de cette filière « pollueur-payeur » induira donc nécessairement un renchérissement du prix des matériaux neufs, compensé en aval par la gratuité de la reprise des déchets triés. Un décret est attendu pour définir les modalités d’application : périmètre des produits et matériaux concernés, niveau de tri attendu, densité du maillage territorial, etc. Si l’ambition est affichée, le diable peut se nicher dans les détails…

Au 1er juillet doit entrer en vigueur une traçabilité accrue des déchets par le biais de deux mesures complémentaires. D’une part, les devis relatifs aux travaux de construction, de rénovation et de démolition de bâtiments devront désormais mentionner systématiquement une estimation des quantités de déchets générés par le chantier, l’effort de tri et la nature des déchets triés, ainsi que les coûts associés. L’identification des installations de collecte de ces déchets fera notamment partie des informations obligatoires. D’autre part, un bordereau de dépôt précisant l’origine, la nature et la quantité des déchets collectés devra être communiqué gratuitement à l’entreprise ayant réalisé les travaux par l’exploitant en charge de l’installation de collecte des déchets. Ce bordereau permettra ainsi à l’entreprise de prouver l’évacuation réglementaire des déchets issus des chantiers dont elle aura la charge.

Elle sera tenue de conserver ce document et de le présenter sur demande du maître d’ouvrage ou de l’autorité compétente. En cas de manquement, la sanction prévue est lourde : 75.000 euros d’amende et jusqu’à deux ans d’emprisonnement. Ces dispositions devraient permettre de lutter contre les dépôts sauvages et les décharges illégales en responsabilisant à la fois le maître d’ouvrage et l’entreprise.

Enfin, la loi prévoit d’étendre le tri à la source à d’autres types de matériaux, comme le plâtre ou les fractions minérales (gravats, béton, briques, tuiles, etc.).

Il faudra attendre l'intégralité des décrets d'application pour mesurer les effets réels de la loi au delà des ambitions affichées.

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