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Dossier
par Jacques Duplessy

Quels sont les bons indicateurs pour suivre la pandémie ?

L'épidémiologiste Catherine Hill nous explique

Nombre de cas connus, taux d’incidence, admissions à l’hôpital, admissions en réanimation... Difficile de s'y retrouver pour suivre l'évolution du Covid-19. Tous les indicateurs ne se valent pas.

Covid-19 - Nostromo

Nous croulons sous les chiffres et les indicateurs pour suivre l'évolution du Covid-19 : le nombre de cas connus, le taux d’incidence (cas connus divisés par effectif de la population) et le nombre de reproduction effectif (le fameux R du moment), les admissions à l’hôpital, les admissions en réanimation et en soins intensifs (les deux sont mélangés) et les décès.

« Les indicateurs de l’évolution de l’épidémie sont très nombreux, trop nombreux, explique Catherine Hill. Et tous n’ont pas la même pertinence. »

L'épidémiologiste fait le point pour Reflets :

1. Le nombre de cas testés positifs

Ce nombre dépend du nombre de tests fait et de la sélection des personnes testées. Il ne permet pas d’estimer la fréquence du virus dans la population. En France, Pullano et coll. ont estimé que le nombre de personnes symptomatiques identifiées par un test virologique entre le 13 mai et le 28 juin correspondait à 10% des cas symptomatiques pendant cette période. Le dénombrement des cas à partir des cas connus était donc alors sous-estimé d’un facteur 10.

En Espagne, une étude sérologique sur un échantillon représentatif de population (Pollan et al. Lancet, 6 juillet) du 27 avril au 11 mai rapporte que seulement 20% des participants séropositifs ont déclarés un test PCR antérieur, donc le dénombrement des cas à partir des cas connus est sous-estimé d’un facteur 5.

J’estime aujourd’hui en France qu’il faut multiplier le nombre de cas positifs par 4 ou 5 pour connaître le nombre de personnes réellement infectées.

A partir de tests sérologiques faits entre mai et début juin en France, sur un échantillon représentatif de la population, on estime que 4,5% de la population soit 3 millions de personnes avaient été infectées. Mais fin juin, le total des cas diagnostiqués par les tests était de 160.000, soit 0,3% de la population.

A la date du 14 novembre, on a diagnostiqué 1,95 million de personnes par les tests, le nombre de personnes qui ont été infectées est beaucoup plus grand.

Comparaison des résultats selon les types de tests - Catherine Hill
Comparaison des résultats selon les types de tests - Catherine Hill

2. Le taux d’incidence de la maladie

C’est le nombre de personnes testées positives par rapport au nombre d'habitants. Ce n’est en aucune manière une estimation de l’incidence du Covid-19 dans la population. En effet l’incidence est la proportion de nouveaux cas réels dans la population, pas seulement le petit nombre de personnes testées positives.

3. La proportion de tests positifs

Le nombre de positifs par rapport au nombre de testés ne représente pas la fréquence du portage du virus dans la population française, mais le portage dans la population testée. Cette population testée compte une proportion augmentée de personnes symptomatiques et de personnes contacts de symptomatiques.

La semaine du 2 au 8 novembre, 68% de la population testée était asymptomatique (combien de contacts ?) et les pourcentages de tests positifs étaient de 11,9% chez les asymptomatiques et de 37,6% chez les personnes ayant des symptômes.

Pourcentage de tests positifs par tranches d'âges - Cathrine Hill
Pourcentage de tests positifs par tranches d'âges - Cathrine Hill

4. Le nombre de reproduction effectif

C’est le nombre estimé de personnes qu’une personne atteinte par le virus contaminera. Il est désigné par la lettre R. Au début de l’épidémie, sans aucune mesure prise pour enrayer sa circulation, le R du coronavirus Sarscov 2 à l’instant zéro est estimé à 3.

Aujourd’hui, il est estimé par un modèle qui repose sur les nombres hebdomadaires de tests positifs pris comme indicateur de l’évolution de l’épidémie. Je n’accorde pas assez de confiance à cet indicateur pour estimer sa valeur aujourd'hui. Si le R est inférieur à un, l’épidémie tend à décroître puis à disparaître puisqu’une personne infectée contamine moins d’une autre personne.

Ces quatre premiers indicateurs sont discutables car ils dépendent tous les quatre de la sélection de la population testée et leur évolution est le reflet de la stratégie de tests qui a évolué depuis le début de la pandémie.

5. Les cas contacts

Puisque les tests ne détectent qu’une petite fraction des cas (1/10 en France entre le 12 mai et le 28 juin), (1/5 en Espagne entre le avril et le mai), la recherche des contacts est très peu efficace. La circulation du virus échappe donc largement à cette surveillance. Seulement environ un cas sur cinq est un contact d’un cas connu dans la semaine du 2 au 8 novembre.

Dans la mesure où seule une petite fraction des cas est identifiée, l’application TousAnti Covid ne peut avoir qu’une efficacité très réduite. En effet pour qu’une personne soit informée qu’elle a été à proximité d’une personne contagieuse, il faut que cette personne ait été repérée.

6. Les clusters

Un cluster est défini par la survenue d’au moins 3 cas confirmés ou probables, dans une période de 7 jours, et qui appartiennent à une même communauté ou ont participé à un même rassemblement de personnes, qu’ils se connaissent ou non. Les foyers ne représentent que la partie la mieux identifiée de la circulation du virus. Une personne contagieuse dans un milieu fermé : famille, entreprise, établissements de santé ou sociaux donne un foyer repérable. Une personne contagieuse qui se déplace va contaminer des personnes qui n'auront pas de liens apparents entre elles et ces contaminations n’apparaîtront pas comme un foyer.

Au 9 novembre, dernier chiffre disponible, 3.698 clusters étaient en cours d’évaluation, dont 1.317 en Ehpad. On constate que les clusters représentent moins de 10 % des cas diagnostiqués. Et ces cas diagnostiqués ne sont eux-mêmes qu’une petite fraction des cas. Donc ce qu'il faut faire, c'est étudier tous les cas identifiés, pas seulement les foyers. Cette fixation sur les foyers est une grave erreur.

7. La prévalence de l’infection

C’est la proportion de la population positive un jour donné. Pour l’estimer correctement, il faut tester un échantillon représentatif de la population. C’est un très bon indicateur, car il concerne la population générale et non pas celle qui vient se faire tester à sa demande.

Cela a été fait en Angleterre par une équipe universitaire avec l’aide de l’institut de sondage IPSOS. Quelque 765.000 personnes se sont fait un auto-prélèvement en vue d’un test PCR durant six période entre mai et octobre. La prévalence du virus fin octobre a ainsi été estimée à 1,28 % dans la population contre 0,6 % en mai. Pourquoi ne sommes-nous pas capable de le faire en France pour avoir une idée claire de l’évolution de l’épidémie ?

8. Les admission à l'hôpital et en réanimation

Les admissions à l’hôpital et les admissions en réanimation sont assez bien évalués. Ce sont des indicateurs intéressants et plus fiables que le nombre de cas connus et ses dérivés, bien qu’ils soient décalés dans le temps par rapport aux contaminations. Le 27 octobre, les admissions en réanimation ont réatteint le niveau du 17 mars.

9. Les décès dus au Covid-19 et les décès toutes causes

Personne ne connaît le vrai nombre de décès attribuables au Covid-19 chaque jour. Les décès dans les EHPAD ne sont pas recensés chaque jour mais chaque mardi et vendredi, de plus, au début de l’épidémie, ils ont été parfois négatifs, correspondant à des corrections. Et il manque les décès à domicile qui, entre le 1er mars et le 31 mai, représentaient 6% des certificats de décès avec mention de Covid-19.

La mortalité toutes causes est, elle, connue. On peut ainsi estimer la surmortalité par rapport aux années antérieures. Mais rien ne dit que c'est lié au virus, on observe juste qu'il y a plus de décès que les années précédentes. On ne sait rien avec ce chiffre brut sur la cause de ces décès.

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