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Dossier
par Stéphanie Fontaine

Quel est le vrai nombre de lits de réanimation ?

Olivier Véran parle de 5.800 lits "durables", les réanimateurs répondent que c'est faux

C'est parce que les capacités viennent à manquer, que les malades graves seraient susceptibles de ne plus pouvoir être soignés, que les confinements sont adoptés. C'est dire les enjeux. En dix ans en France, le nombre de lits de réa a baissé de plus de 1.000 lits.

Statistiques du syndicat des réanimateurs

Alors qu'on vient de comprendre que lorsque nos autorités nous parlent de « patients en "réanimation" », il faut en fait entendre qu'ils occupent non pas seulement des lits de réanimation à proprement parler, mais aussi des lits d'unités de soins intensifs (SI) et des lits d'unités de surveillance continue (SC), c’est pourquoi elles nous parlent de plus en plus de « patients "en soins critiques" », ce qui bien évidemment ajoute de la confusion à la confusion déjà bien réelle dans la gestion de cette pandémie, puisqu’il ne s’agit pas du tout du même nombre de lits (voir les statistiques officielles), on vient nous dire que les capacités de réanimation ne sont pas non plus celles qu’on nous dit qu’elles sont… Vous suivez ? Ce n'est pas simple en effet.

Le syndicat des médecins réanimateurs appelle le gouvernement à augmenter les capacités de réanimation, et à revenir aux 6 200 lits que comptait la France en 2009 au moment de la grippe H1N1, et alerte sur le sujet. Depuis juin, a-t-il expliqué lors d'une conférence de presse mercredi 18 novembre, il le réclame au gouvernement. Sans succès. D'ailleurs, il lui a fait parvenir toute une série de propositions, après avoir tiré les premiers enseignements de la première vague de Coronavirus du printemps. Sans plus de succès.

L’objectif était pourtant de se préparer au mieux à la deuxième vague, et maintenant à la troisième, car il y a tout lieu de considérer qu’elle arrivera avant qu’un vaccin ne soit complètement mis au point, a en substance expliqué son président, le professeur Djillali Annane. A l’en croire, les nouveaux lits de réanimation, que le gouvernement met en avant pour montrer ses efforts dans la gestion de cette crise, n’ont en effet rien de pérennes. Et les capacités réelles n’auraient en fait aucunement fluctué depuis le début de la pandémie, on en serait toujours à quelque 5.000 lits de réanimation (voir nos précédents articles ici et ).

Capacités par régions. Chiffres du syndicat.
Capacités par régions. Chiffres du syndicat.

700 lits « durables » tout simplement introuvables

« Nous sommes passés (…) à 5.800 lits durables », a assuré Olivier Véran le 15 octobre, au lendemain de l’annonce d'Emmanuel Macron de l’instauration des premiers couvre-feux en France. Rebelotte la semaine suivante avec l’extension de ces couvre-feux à d’autres métropoles. « Nous avions historiquement 5.100 places de réanimation (…), nous sommes montés à 5.800 lits dans la durée, à la faveur de l’été (…), +15% de places de réanimation. Nous sommes capables de monter à 7.700 lits dans un délai de moins de 15 jours, sans forcément déprogrammer beaucoup de soins et sans forcément rappeler beaucoup de personnels, mais au prix quand même d’un effort d'organisation important. Et s'il devenait nécessaire d'augmenter davantage encore nos capacités d'accueil en réanimation, sachez qu’au 15 avril dernier, il y avait eu 10.700 lits de réanimation », rassurait alors le ministre.

Sauf que pour en arriver là, cela signifie qu’il faut non seulement désorganiser tout le reste des services hospitaliers et avec, quoi qu’il en dise, une déprogrammation massive des opérations chirurgicales des autres malades, qui ne peuvent donc plus être soignés, et « dont on a déjà pu voir un certain nombre d’effets collatéraux et qu'on mesurera encore dans plusieurs mois voire plusieurs années », a déploré le professeur Nicolas Terzi du CHU de Grenoble, lors de la conférence de mercredi. Remonter dans l'urgence et la catastrophe ce nombre de lits de réanimation, cela veut dire également que dans le même temps, on en arrive à adopter des mesures ultimes, tel que le confinement… Surtout, la réalité serait tout autre : les 700 nouveaux lits dits « durables » créés « à la faveur de l’été », évoqués par le ministre, n’existeraient tout simplement pas.

C’est la conclusion à laquelle a abouti le syndicat des médecins réanimateurs qui a décidé de mener sa propre enquête pour évaluer les véritables capacités de réanimation. Il a donc interrogé ses adhérents et reçu les réponses de 114 services de réanimation sur les 296 existants en France, ce qui lui parait être « un panel représentatif ». Résultat : entre le 1er janvier (à ce moment-là, la crise n’était pas encore survenue en France) et le 1er novembre, dans ces 114 services, « nous n’avons pas observé d’augmentation de lits durables », les nouveaux lits ne sont presque que des lits « éphémères qui, pour la quasi-totalité d’entre eux, correspondent à des lits d’unités de surveillance continue upgradés en lits de réanimation », ont constaté ses représentants.

Et si, dans ces services, le personnel suit encore, « c’est au prix d’un recours massif aux heures supplémentaires et du redéploiement de personnels soignants d’autres structures notamment des blocs opératoires »… D’où cette déprogrammation massive dont on parlait plus haut, qui atteindrait 50% à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), 70% sur Marseille, ou encore 30% en Normandie. Cela peut donc être très variable selon les régions et même les périodes.

Un taux d'occupation qui ne permet pas d'encaisser les pics

Autre contrevérité exposée, selon le syndicat, par Olivier Véran le 22 octobre sur le taux moyen d’occupation des lits de réanimation. « En moyenne, au moins 3.000 lits sont occupés au quotidien par des gens qui sont en réa pour d'autres motifs », a-t-il indiqué. On peut donc en déduire que le taux moyen d’occupation tournerait autour de 60%, hors Covid… Cela tombe bien, le syndicat des réanimateurs a de son côté exposé mercredi que la règle, cela devait être un taux inférieur à 80%, pour « pouvoir encaisser un afflux soudain de patients ». Seulement, voilà, selon lui, ce taux moyen au 1er janvier (et donc hors Covid) serait non pas de 60 mais de… 92% ! Et il s’expliquerait par les baisses capacitaires enregistrées depuis 2009. Revenir à 6 200 lits permettrait donc aussi de revenir à un taux d’occupation plus raisonnable.

Capacités par pays. Chiffres du syndicat.
Capacités par pays. Chiffres du syndicat.

Autre enseignement de son enquête : pour 13% des 114 services ayant répondu, ils n’étaient plus en mesure au 1er novembre de respecter le ratio d’une infirmière pour 2,5 patients, comme c’est normalement la règle en réanimation. Cette enquête a aussi permis de révéler que : « 1% des médecins de ces 114 services et (…) environ 2% des infirmières » ont décidé de changer de carrière et de quitter la réanimation après la première vague du printemps.

« Cette stratégie de lits éphémères n'a pas permis d'éviter de reconfiner », constate Djillali Annane. Surtout, « cet exercice est de plus en plus compliqué car il nécessite non seulement de choisir de ne plus soigner les autres patients [ceux qui souffrent d’autres pathologies que la Covid], mais aussi de recourir massivement aux heures supplémentaires, au risque d’en arriver à faire baisser notre nombre de lits pérennes, faute de personnels qui refusent de continuer dans ces conditions ! »

Ces conditions en réanimation, a insisté son confrère Didier Dreyfuss, sont dégradées « indépendamment du Covid » depuis des années. Le système fonctionne en reposant « sur la bonne volonté des gens, mais on sait que la bonne volonté commence à s'épuiser. » Pour les réanimateurs, il est donc urgent de recruter et de commencer par pourvoir les 200 postes de praticiens hospitaliers actuellement vacants. « Malheureusement, on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre », il faut donc, disent-ils, revaloriser ces emplois, notamment « en leur permettant d'accéder à la prime d'engagement pour la carrière hospitalière ». Une prime qui, après renseignement, varie de 20.000 à 30.000 euros à l'année, ce qui correspondrait donc à une hausse mensuelle de revenus de plus de… 1.600 euros !

Pour rappel, les accords du Ségur de la Santé, signés le 13 juillet dernier, prévoient une augmentation de salaire de 183 euros nets mensuels pour tous les personnels des hôpitaux et EHPAD publics, hors médecins. Et encore, il a fallu une pandémie pour décrocher une telle revalorisation ! On imagine donc mal le gouvernement accepter cette revendication des réanimateurs. Sans surprise, le ministre de la Santé leur a d'ailleurs opposé une fin de non-recevoir, ont-ils aussi fait savoir mercredi.

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