« Quand un fruit est pourri dans un panier, on le met à part »
Procès de la mère d'Amandine, morte de faim à 13 ans
Amandine est morte de faim et de mauvais traitements. Elle a été découverte le 6 aout 2020, au 2e étage de la maison où elle vivait avec sa mère, Sandrine Pissara, et son beau-père, Jean-Michel Cros, dans la commune de Montblanc (Hérault). Elle est jugée par la cour d’assises de Montpellier pour torture et actes de barbarie ayant entraîné la mort. Il comparaît pour privation de soins et d’aliments suivie de mort d’un mineur de 15 ans.
Le visage d’Amandine, lorsqu’elle a été découverte par les secours le 6 août 2020 à 16h55, est celui d’une momie tuméfiée. Un squelette jauni, aux orbites enfoncées. Une vision d’épouvante, résultat d’un martyr certain, administré à huis clos par une mère résolue qui régnait en tyran sur un petit monde familial, à la fois soumis et complice, qui voyait les violences sans en réaliser les conséquences. « La personne décédée à l'âge de treize ans a dû être victime de négligences graves de la part de son environnement familial pour atteindre un tel niveau d'amaigrissement et de mauvaise hygiène », écrit le médecin légiste dans son rapport.
Si le « comment » est une question douloureuse, le « pourquoi » est insoluble. Aucun membre de la famille de l’accusée n’est venue témoigner. L’enfance de Sandrine Pissara est demeurée un mystère et aucun «traumatisme originel » n’a été servi pour nourrir une théorie. Même en s’essayant aux plus hasardeuses contorsions psychanalytiques, il est impossible d’expliquer la haine tenace nourrie par la mère pour sa fille. C’est comme si ça remontait à toujours.
Quand Sandrine Pissara était enceinte d’Amandine, elle était toujours « très fatiguée ». C’était sa 7e grossesse sur huit, et déjà, elle pensait qu’avec cette gamine, elle allait en baver. Amandine est née le 8 décembre 2006, prématurée. Pour sa mère, elle a toujours été un problème.
Sandrine Pissara a eu 8 enfants de trois pères différents. Cindy et Vanessa sont nées en 1989 et en 1990, d’un père rentré au Portugal, dont ils sont tous deux originaires, après s’être séparés de la mère. Il a pris les filles avec lui. Elle ne les a jamais revues.
Elle avait déjà rencontré Rémy Henry. Leur première fille, Samantha, nait en 1991. « Elle ne s’en occupait pas, pour elle c’était un objet », rapporte le père aux gendarmes. La mère prend trop de Lexomil et vide les comptes, pique des colères homériques et jette des objets au visage de son compagnon. « J’avais peur d’elle », admet-il. Un soir, il fonce aux urgences où son bébé de trois mois vient d’être admis, mais Samantha a déjà succombé à la mort subite du nourrisson. Le couple reste uni malgré tout. Jérémy naît en février 1995, Cassandra en 1996.
Julien Henry, le fils que Rémy a eu d’une première union, dit de Sandrine qu’elle est « complètement tarée, lunatique, manipulatrice ». Ils vivaient ensemble au mitan des années 90. Elle l’obligeait à faire le ménage à fond et le punissait sans raison dès qu’elle le pouvait. S’il renâclait, elle le giflait. Un jour, il l’a fixée droit dans les yeux, en lui faisant comprendre qu’il lui rendrait le prochain coup. Sandrine est allée voir Rémy pour lui dire que son fils l’avait menacée, et Julien a été puni. « Mon père se faisait manipuler », témoigne Julien.
Sur l’écran où elle est entendue en visio-conférence depuis le tribunal de Versailles, Laurence, 53 ans, soupire. « C’est une longue histoire, et compliquée ». Sandrine a rencontré Laurence à la fin des années 90, au café où elle était serveuse. Sandrine venait de se séparer de Rémy Henry, avait deux enfants à charge et pas un sou en poche. Elle a très vite demandé à Laurence de lui prêter de l’argent, avec une insistance à la limite entre la persuasion et l’intimidation.
Laurence n’a pas osé dire non. Elles ont vécu plusieurs années en colocation, dans différents logements en Île-de-France. Sandrine lui demandait de l’argent, et Laurence payait. « Je l’ai toujours fait pour les enfants, je payais le loyer, je remplissais le frigo » Elle s’arrête de parler, submergée par l’émotion, 25 ans après. « Elle avait rencontré quelqu’un et m’a demandé de partir de la maison et de laisser mon nom sur le bail. J’ai dit non, elle m’a mis une baffe puis un coup de balai dans le dos. » Laurence part. Quelques années plus tard, alors hospitalisée pour un cancer, elle reçoit la visite de Sandrine qui lui demande 2.000 euros pour louer un camion. Laurence dit qu’elle ne peut pas et la traite de démon. Sandrine part dans un grand éclat de rire.
L’homme que Sandrine Pissara a rencontré s’appelle Frédéric Florès, et c’est le père d’Amandine. Il est aussi le père d’Ambre (2005) et Dylan* (2009). Jusqu’à leur séparation en 2010, il vivent à quatre, cinq, six et enfin sept, d’abord dans les Yvelines, puis dans le sud, près de Perpignan, où Frédéric Florès est muté en 2009.
Après avoir entendu Jérémy et Cassandra raconter à la barre les violences et mauvais traitement subis dans leur enfance, l’accusée Sandrine Pissara a été invitée à réagir : pas de commentaires, a-t-elle répondu d’une petite voix pincée.
« Si je peux résumer l’enfance, c’était un enfer sur terre »
Jérémy et Cassandra étaient forcé de faire le ménage avec une intensité et à une fréquence absurde, le matin dès l’aube avant d’aller au collège, le mercredi après-midi, pendant des heures. À la moindre contrariété, leur mère « pétait les plombs » et sa colère s’abattait sur eux. A la maison, personne ne mouffetait. Ceux qui étaient épargnés faisaient profil bas ; ils préféraient collaborer plutôt que s’opposer à l’implacable volonté de la marâtre.
Pour avoir piqué des Mars et des Twix, Jérémy et Cassandra ont été agenouillés sur un tréteau, devant tenir par dessus leur tête un dictionnaire. Frédéric Florès est là. Il ne s’y oppose pas. Il assiste au début de la punition, avant de partir à son travail de nuit. Assise face à ses enfants, Sandrine Pissara est restée toute la nuit à les surveiller. Si l’un d’eux faiblissait, elle leur mettait une claque. C’était en 2009, quand elle était enceinte de Dylan. À 6 heures du matin, ils sont allés faire le ménage.
Un jour, raconte-t-il, Jérémy est tombé sur un gros vase en céramique qui se brise dans le choc. Au lieu de s’assurer qu’il ne s’est pas blessé, aa mère l’a d’abord soulevé de terre et étranglé. Ses pieds ne touchaient plus le sol et son visage rougissait. Puis, il a été envoyé dans sa chambre et rappelé quand tout le monde dînait. Sa mère l’a de nouveau frappé devant tout le monde, puis lui a servi une assiette avec un seul flageolet. C’est surtout « l’humiliation » qui a marqué Jérémy. Quand il entend ça, le président de la cour d’assises est tout retourné. Ces humiliations, il n’y a rien de pire, dit-il.
Jérémy a une dernière anecdote : « Une fois je me suis opposé, elle a voulu me frapper à coups de balai, j’ai attrapé le balai j’ai dit "tu me frapperas plus jamais’" Elle a dit ‘tu veux plus ? Alors je vais prendre un couteau et je vais te tuer. Donc je me suis laissé frapper. »
Le président lui demande : « Vous avez vécu avec Amandine ? Vous avez assisté à des violences ? »
« Oui je l’ai vue faire des lignes, la punition fétiche de ma mère. Elle lui portait aussi des coups de louche sur les mains ou sur la tête. Elle la mettait sous la douche pour la frapper, comme ça si elle criait elle avalait de l’eau. »
Cassandra a vécu un calvaire similaire à celui de son grand frère, et a été témoin des mêmes violences sur Amandine. « Si je peux résumer l’enfance, c’était un enfer sur terre. » Elle raconte avoir découvert l’existence des deux premiers enfants de sa mère en voyant une photo chez sa grand-mère, au Portugal. Lorsqu’elle en a parlé à sa mère, cette dernière s’est mise en colère et lui a interdit de revoir sa grand-mère.
Cette anecdote en rappelle une autre à Cassandra : Un jour, sa mère lui confie qu’elle pense que sa propre mère ne l’a jamais aimée. « Mais comment peux-tu dire ça, toutes les mères aiment leur fille, maman », a répondu Cassandra, touchée. Sandrine Pissara lui a répond, sans aucun affect dans le ton : « Ben non. Toi par exemple t’es là et je t’aime pas ». La froideur avec lesquelles elle assénait les pires horreurs était tout simplement effrayante.
Après la naissance d’Ambre, née en 2005, Sandrine Pissara et Frédéric Florès se sont séparés. Puis ils ont « recouché ensemble », a dit Frédéric, Amandine est née et son calvaire a commencé. Pour la mère, Amandine est un « bébé pas facile », qui vole les jouets de sa soeur et fait de très gros caprices. « Elle veut tout décider pour elle, elle est très têtue et très tenace. » Voleuse et menteuse, Amandine doit être mise au pas. Elle n’avait pas trois ans quand Sandrine a décrété que, plus tard, Amandine serait placée à l’internat.
En janvier 2010, le couple se sépare pour de bon. Frédéric Florès trouve un logement dans le village. « Je venais voir les enfants tout le temps. Amandine était joyeuse, elle avait son lit et ses jouets, y’avait pas de problème. »
« Maman m’a jetée contre le mur et je suis tombée »
À cette époque, pourtant, une enseignante de l’école d’Amandine remarque deux bleus sur le visage de la petite fille. Questionnée, Amandine a répondu : « maman m’a jetée contre le mur et je suis tombée ». Le 11 juin, les enseignantes notent qu’Ambre présente une brûlure. 6 octobre : « Le papa nous informe qu’Amandine est boulimique et qu’il ne faut plus lui donner de goûter ». À l’école, tout le monde a vu Amandine voler les goûter de ses camarades. A la cantine, elle mange avec une voracité peu ordinaire. Elle a été vue aux toilettes en train de manger un goûter ramassé dans la poubelle.
Un signalement est effectué et des assistantes sociales font des visites au domicile de Sandrine Pissara. A la maison, tout le monde fait bloc. « On vivait dans la peur. Si l’un de nous avait parlé, on sait très bien qu’on n’aurait pas été placés du jour au lendemain », témoigne Cassandra, laissant entendre que les enfants craignaient des représailles dont la mère les menaçait. Elle leur faisait également miroiter l’enfer des foyers. Quitte à être maltraités, ils préféraient que ce soit à domicile. « Si des gendarmes nous avaient attendus devant la maison et nous avaient promis de nous mettre à l’abris, on aurait dit la vérité », estime Jérémy. « Au 2e signalement, on a compris qu’on ne parlerait pas, et qu’il fallait juste serrer les dents jusqu’à nos 18 ans. » Jérémy a fugué en 2013, Cassandra est partie en 2014, recueillie par les parents de son copain à qui elle avait résumé sa situation.
Le 6 mars 2012, un rapport de l’assistante sociale estime le « fonctionnement familial assez déroutant : les parents cherchent à offrir un vernis social. Amandine semble être la plus en détresse, la mère est sur la défensive, le père semble mal positionné ». Lors de leur première visite, les assistantes sociales remarquent que la petite Amandine est plus chétive et qu’elle se cache derrière sa soeur, qui répond systématiquement pour elle. Amandine raconte qu’elle a été punie pour avoir fait ses besoins sur le balcon, où elle avait été enfermée. Sandrine Pissara a dit qu’elle racontait n’importe quoi, que sa fille faisait des bêtises qu’elle n’assumait pas. Le président résume : « le médecin scolaire a fait le job, les enseignants ont fait le job. Amandine a dénoncé les violences en milieu scolaire et s’est rétractée lors de l’enquête pénale. Et finalement, on a un jugement en mesure d’assistance éducative qui estime qu’il n’y a pas lieu à assistance éducative. Fermez le ban ! » dit-il, amer. Ni les assistantes sociales, ni le juge des enfants n’ont été convoqués à la cour d’assises.
« Vous avez été aveugle à ce point ? »
« Vous êtes un père qui a perdu son enfant dans des conditions atroces », dit le président à Frédéric Florès, papa éploré qui toute sa vie sera rongé par la culpabilité d’avoir été impuissant à protéger sa fille. « Devant moi, elle n’a jamais touché Amandine », jure-t-il. Un jour cependant, il a eu des doutes à propos de bleus qu’elle présentait. Il y a eu un signalement et une enquête, pendant laquelle Amandine fut placée chez son père - du 18 février au 27 mars 2014. « On vous interroge, vous avez la possibilité de déposer plainte, vous ne le faites pas. Pourquoi ? Vous avez été aveugle à ce point ? »
À l'époque, répond le père, ancien policier, «je ne veux pas déposer plainte contre Sandrine, car je suis certain que c’est un malentendu. Elle m’avait fourni des explications, un certificat médical. Si Amandine m’avait parlé, je serai allé porté plainte tout de suite. »
Amandine n’a pas parlé, la procédure a été classée sans suite et Amandine est retournée chez sa mère.
En 2015, Sandrine Pissara a fait une demande de suspension des droits de visite et d’hébergement de Frédéric Florès. En 2016, il dénonce au juge aux affaires familiales le comportement manipulateur de la mère, qui chercherait à l’éloigner de ses enfants. Une psychologue rend un rapport dans lequel elle rejette la version de Frédéric Florès dont elle estime qu’il est « obnubilé » par sa relation avec Sandrine Pissara, en faveur de laquelle elle se prononce. « On ne peut pas dire qu’elle ait eu beaucoup de nez dans son analyse », commente le président, qui aime distribuer les points.
Muté en Île de France, Frédéric Florès est limité dans ses déplacement suite à une fracture de la malléole. Sandrine Pissara fuit tout contact, change les enfants d’école. La dernière fois qu’il a vu Amandine, c’était en 2017. Le dernier contact est un appel qu’Amandine a passé en cachette, en avril 2020 : Amandine lui a dit qu’il lui manquait. Frédéric Florès n’a pas su réagir. Comme tout le monde, il n’a pas vu la détresse de sa fille.
Depuis 2016, Sandrine Pissara est en couple avec cet homme rondouillard aux yeux de pandas, assis à côté d’elle dans le box. Accablé, pleurnichant, authentiquement dévasté par le crime qu’on lui reproche et qu’il n’a pas eu conscience de commettre, jure-t-il, sinon il aurait tout arrêté.
« Elle a une force de persuasion incroyable »
Ceux qui le connaissent disent de Jean-Michel Cros qu’il est « gentil, travailleur, généreux, naïf et "nounours" ». Les enfants l’adorent - Ambre et Dylan l’appellent encore « Papa » - et Sandrine est comblée de voir ce chef d’entreprise dévoué se plier en quatre pour elle. Jean-Michel lui paye tout : opérations de chirurgie esthétique, commerce d’onglerie que Sandrine Pissara tiendra à Montblanc, où ils déménageront en mars 2019. Il les héberge et fait tous les travaux qu’elle désire. Il est entièrement soumis, « immature » disent les psy, incapable de s’opposer aux exigences de sa compagne qu’il craint, admet-il aujourd’hui. « Il faut comprendre le degré extrême de manipulation dont ma mère est capable », avait dit Cassandra. « Elle a une force de persuasion incroyable », faisait remarquer Frédéric Florès.
En écoutant la vie de Sandrine Pissara et les récits de chacun des témoins venus l’accabler (tandis que la défense n’en a pas trouvé un seul capable de dire quelque chose de positif), Jean-Michel Cros a compris qu’il n’était pas seul. L’emprise, la violence, la terreur on toujours été le fonctionnement de Sandrine Pissara. Mais si elle a fait de ses autres compagnons les complices de violences commises sur ses enfants, elle a propulsé Jean-Michel Cros dans la dimension criminelle.
Ce dernier se souvient d’une formule : « Quand un fruit est pourri dans un panier, on le met à part. » Sandrine Pissara lui a dit que la phrase venait du psychanalyste qui suivait Amandine, ce qui est peu probable. En fait, cette formule résume parfaitement la stratégie que la mère applique à l’éducation de sa fille.
Jean-Michel Cros a remarqué qu’Amandine était souvent punie, mais, croit-il, toujours pour une bonne raison. Si Amandine ne mangeait pas avec eux et passait sa vie à recopier des lignes, c’était justifié. Les lignes étaient la vie d'Amandine. Pas un témoin dans ce dossier ne l'a pas vue voutée sur une feuille ou un cahier, à recopier. Dans la salle d'attente de l'orthophoniste, au travail de Jean-Michel. Des cahiers noircis ont été affichés à l’audience. Des listes de ce qu’elle ne doit pas faire sous forme de commandements, et une citation répétées sur 20 pages. Un avocat précise : « c’est de Sigmund Freud. » Le beau-père ne comprend pas vraiment, mais approuve. S’opposer à sa compagne ne lui viendrait même pas à l’esprit.
Quand elle décide de la placer en internat, il trouve que c’est une bonne idée. Pour eux et pour elle. En septembre 2018, elle est inscrite au collège Françoise Combes. « À la mi-novembre, une collègue CPE me dit que je dois creuser une situation, car Amandine est rentrée de week-end avec un coquard à l’oeil », témoigne Anne-Claire L., conseillère principale d’éducation (CPE) qui avait Amandine sous sa responsabilité. Amandine lui sert un bobard et l’affaire ne va pas plus loin.
« J’avais pas mal de mépris pour cette femme »
Le 30 novembre, Sandrine Pissara écrit un courrier pour prévenir que sa fille est arrogante, menteuse et voleuse. Anne-Claire L. la rappelle pour lui dire qu’elle n’a rien constaté de tout ça. Amandine est une élève modèle, sage et joyeuse, jusqu’à un incident de comportement mi-décembre, qui lui vaut une convocation. « Je l’ai reçue et elle était très stressée à l’idée que j’appelle ses parents. »
Suite à un vol commis par Amandine, la CPE décide de convoquer la mère pour un entretien. Elle voit la petite arriver dans un état de stress épouvantable, terrorisée par la rencontre avec sa mère. « C’était 1h15 de calvaire. Elle marmonnait, pleurait, tremblait. Je n’ai jamais vu ça. » A la barre des témoins, Anne-Claire L. pleure. « J’ai appelé un ancien internat d’Amandine, on m’a décrit la mère comme peu aimante. »
Le président demande à Anne-Claire L., visiblement émue :
quelle est votre opinion sur Sandrine Pissara ?
Un profond dégoût. Elle m’inspirait beaucoup de malveillance, j’avais pas mal de mépris pour cette femme.
Vous la sentiez aimante ?
Pas du tout, je n’ai jamais vu quelqu’un aussi dénigrant avec son enfant.
Peu après, elle apprend qu’Amandine révèle des maltraitances à ses camarades. Une surveillante fait un rapport qui sera transmis à l’assistante sociale, devant laquelle Amandine nie. Les camarades d’Amandine ont maintenu que leur amie leur avait révélé des mauvais traitements. Sandrine Pissara a été convoquée mais a nié. L’assistante sociale a conclu qu’il n’y a avait pas matière à poursuivre, mais Anne-Claire L. n’est pas d’accord : « J’ai continué à produire des écrits. Je les ai transmis à ma cheffe et lui ai demandé de transmettre plus haut dans la hiérarchie. Ça a été transféré à la direction académique adjointe des services de l’éducation nationale. » Aucune information préoccupante n’a été émise et, à la fin de l’année, Amandine a été changée d’internat.
« je vais mourir »
Jaillit de la pièce des témoins une jeune fille de 18 ans qui arrive en sautillant à la barre. Une amie d’Amandine, une vraie. « Elle était gai, elle était joyeuse, elle aimait la vie, c’était un rayon de soleil, on rigolait tout le temps, on adorait passer des moments ensemble. Elle était heureuse quoi. ». Sa voix est si enjouée et chaleureuse qu’elle en arrache un sourire au président. La cour d’assises de Montpellier assiste par procuration au seul moment de joie qu’a connu Amandine. Avant le grand verrouillage.
Lola, jeune surveillante de 22 ans, a pris ses fonctions en 2019. « J’ai été alerté par plusieurs signaux comme le fait qu’elle volait à la cantine, le fait qu’elle était jamais en manches courtes, le fait qu’elle était terrorisée quand elle avait une mauvaise note. Jusqu’à ce fameux soir où le président a annoncé le confinement », relate-elle en pleurant. Les garçons couraient partout, trop heureux d'avoir des vacances surprises. Amandine s’est effondrée au sol. « Je lui ai demandé ce qu’il se passait, elle m’a dit : "Lola, je vais mourir." On a essayé de voir ce qu’on pouvait faire pour l'aider, la direction a dit que l’assistante sociale allait s’en occuper. Je lui ai dit au revoir, c’est la dernière fois que je l’ai vue. »
Le 17 mars 2020, le confinement renvoie tous les collégiens chez eux. Les deux copines échangent des messages sur Instagram. Le 30 avril, Amandine raconte qu’elle « s’est fait niquer par sa mère » parce qu’elle avait volé des oeufs et une baguette. Depuis, elle ne mange plus. Elle lui envoie une photo où elle s’est tailladée les bras ce qui l’horrifie, d’autres où l’ont voit des plaies qu’elle justifie par des chutes. Un assesseur lui demande si, sur les photos, elle a remarqué un amincissement. La jeune fille réfléchit et prend un air grave : « Je pense que j’étais jeune et bête, parce que je pense qu’elle essayait de m’envoyer un signal. » Au mois de mai, après le confinement, elle ne retourne pas à l'école.
À partir du 17 mars, seuls Jean-Michel Cros, Ambre, Dylan et Sandrine Pissara voient Amandine, qui ne sortira plus jamais de chez elle. C’est durant cette période que son état physique s’est dégradé dramatiquement, jusqu’à l’issue fatale. Dylan a peu de souvenirs, Sandrine Pissara ne veut pas raconter et jean-Michel Cros n’a « rien remarqué ». C’est pourtant lui qui a installé les caméras de surveillance dans le débarras qui servait d’unique pièce à vivre à Amandine. Là où elle fut filmée en permanence les dernières semaines de sa vie. Sur une photo, horodatée du 27 juillet 2020 à 10h17, Amandine apparaît squelettique, décharnée debout et nue, seulement chaussée de claquettes, accoudée en arrière sur des cartons et sans éclairage.
« Laissez tomber elle est morte »
La soeur d'Amandine, partie civile, est très volubile à la barre. « À partir de Montblanc, raconte Ambre à la cour d’assises, Maman est devenue plus agressive contre Amandine. Elle la tapait mais jamais devant mon beau-père. Au début on dormait ensemble, puis je ne sais pas pourquoi, après le début du confinement, Amandine est descendue dans le fourre-tout, d’abord sur un lit de camp, puis après, non. » La jeune fille de 19 ans fait ce récit sur un ton précipité, comme si elle avait peur d’avoir un trou de mémoire soudain. « Au début elle était habillée en short et en t-shirt, mais comme elle volait, ma mère lui a imposé d’être nue pour qu’elle ne mette pas de nourriture dans les poches. » Le ton neutre d’Ambre peut mettre mal à l’aise l’auditoire, comme si la soeur était détachée des évènements. « Mais elle ne faisait pas ça devant mon beau-père, jamais. » Elle entend sa soeur se faire battre, elle la sait confinée dans le réduit, perpétuellement punie. Elle écrit des lignes jusqu'à l'épuisement. Amandine n'est plus alimentée. : le médecin légiste a estimé qu'elle a dû être privée totalement de nourriture pendant environ 4 semaines.
Elle ajoute :
Quand maman n’est pas là, c’est moi qui la surveille.
Et alors, elle est triste cet enfant ?
Oui oui, elle est triste.
Agacé par l’attitude étrange de la jeune fille, qui a l’air de rapporter des évènements auxquels elle n’a pas assistés, le président oublie qu’il fait face à une jeune fille partie civile ayant perdu sa soeur et parle à Ambre comme si elle était avait été la kapo de sa mère, la geôlière attitrée de sa soeur. « Vous n'êtes pas coupable. Il y a façon de collaborer, et façon de collaborer. Tout le monde n’a pas travaillé dans les chambre à gaz en Allemagne », lance-t-il dans un grand silence gêné.
Bon, se reprend-il, vous n’avez pas rien remarqué sur son état physique ?
On n’a pas vu les dégradations au niveau du poids, car elle était habillée avec des t-shirt amples
« Comment ça se fait que personne ne se rappelle dans quel état elle était avant de mourir ? » s’agace le président.
L'image fixée dans le cerveau d'Ambre, mais aussi de Jean-Michel, est celle d'une fille « normale », comme celle qui a été prise en octobre 2019 à l'école et qui illustre tous les articles de presse. Le dépérissement progressif et spectaculaire de d'Amandine passe inaperçu. Certes, la relégation de la petite fille dans ce débarras la soustrait au regard de ses frère et soeur, de son beau-père, mais l'isolement n'est pas permanent. Amandine agonise sous leurs yeux et ils ne le voient pas, parce que le sort qu'elle subit relève de la normalité, de l'ordinaire d'Amandine. Ils se sont habitués à la voir souffrir. Quelques jours avant sa mort ou peut-être même la veille, Amandine s'est effondrée en direct sur l'écran de la tablette que Jean-Michel regardait, tandis qu'il était sorti à la rivière avec Dylan et Ambre. Elle était au sol, à côté de son tabouret et essayait de se relever.
Ambre se souvient très bien du dernier jour de sa soeur. Jean-Michel Cros a aidé Amandine à monter au deuxième étage et « maman m’a demandé de la laver ». Ambre a assis sa soeur sur le siège de la douche et l’a aidée à se déshabiller. « C’est là que je l’ai vue nue ; et je me suis dit "ah ouais c’est chaud". Amandine essayait de me parler, mais je ne comprenais rien. » Sa soeur souffre d’escarres à force de rester immobile dans son réduit, par lesquelles une septicémie s’est développée.
Jean-Michel Cros file acheter une boisson protéinée. Ils tentent de la faire avaler à Amandine, ainsi qu'une compote de pomme. Le médedcin légiste estime que cette réalimentation trop brutale a pu provoquer un choc. Amandine s’effondre. On l’allonge sur le sol, inanimée, Sandrine et Jean-Michel appellent les pompiers. « Je dis à ma mère "laissez tomber elle est morte". Elle avait les yeux tout vide. "Dit aux pompiers que c’est terminé". »
Le 6 août 2020 à 17h27, les pompiers constatent le décès par arrêt cardiaque d’Amandine Pissara-Florès.