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Édito
par epimae

Quand le voile traverse la Méditerranée

La vertu de la photographie est de dévoiler des choses inavouables. Elle nous permet ainsi de remettre en question nos convictions les plus profondes afin d'interroger sans cesse nos fondations politiques, sociales et psychiques. Nous assistons ces derniers temps à un débat, qui n'en est plus vraiment un, sur ce que devraient, pourraient, voudraient faire les femmes d'autres contrées.

La vertu de la photographie est de dévoiler des choses inavouables. Elle nous permet ainsi de remettre en question nos convictions les plus profondes afin d'interroger sans cesse nos fondations politiques, sociales et psychiques. Nous assistons ces derniers temps à un débat, qui n'en est plus vraiment un, sur ce que devraient, pourraient, voudraient faire les femmes d'autres contrées. Au travers de nos médias, nous pouvons entendre une multitude d'arguments allant de la bienséance à la lutte acharnée pour la sacro sainte liberté de la femme en passant par des idées parfois préconçues dictées par une ignorance certaine du monde musulman en général. Le but de cette chronique n'étant pas de politiser le débat de façon directe, il semble plus judicieux d'interroger le travail d'un photographe marocain qui a fait le choix de photographier les femmes de son pays et ce dans toutes leurs contradictions, leurs ambivalences et leurs désirs les plus profonds : Hassan Hajjaj. Ce dernier ayant bien voulu répondre aux questions d'un collègue journaliste, vous trouverez certains de ses propos au cours de ce billet.

Allons donc à la rencontre de ce voleur de lumières venues du pays du soleil couchant.

Quand le Maroc dévoile son intimité au travers d'un univers urbain bigarré

Hassan hajjaj est né à Larache au Nord du Maroc dans les années 60. Enfant de cette petite ville côtière de la fin de la plaine du Rif, c'est entre mer et plaine que Hassan fit ses premières armes photographiques. Très vite, il se passionne pour l'urbanisme marocain et capture des images de ces villes aux multiples couleurs et contrastes.

Faisant poser ses modèles en plein coeur de la ville, dans des décors typiquement marocains, il a recours fréquemment à un habillage de ses prises de vue faisant appel aux marques prisées de ses contemporains. Il n'est pas rare de repérer des marques nationales et internationales soulignant la modernité des cités marocaines cherchant à allier tradition et consumérisme. Jouant sur des compositions soigneusement étudiées, ce voleur de scènes urbaines joue à nous interpeller, à nous amuser, voire nous provoquer.

Rapidement reconnu au sein du Royaume d'Hassan II, il part pour Londres et en retire une véritable fascination pour un univers artistique londonien qui rapidement influence sa production très fortement. Travaillant un long moment pour l'univers de la pub, puis pour des musiciens anglais de la scène pop rock, il partage alors sa vie entre Londres, Marrakech et Casablanca et décide de braquer son appareil photo sur les femmes marocaines.

La femme marocaine dans tous ses états

La femme marocaine est complexe à approcher. Pudique en société, exubérante et reine dans l'intimité, elle a su au travers des années faire valoir ses envies de modernité, de liberté tout en amadouant des hommes en perte de repères et souvent pris au piège du chômage et de la pauvreté. La marocaine est capable de passer naturellement d'un monde très traditionnel, tentant de la capturer à un univers très libre et plein d'espérance. Porter le voile est, là-bas, souvent un choix qui peut relever de l'esthétisme, de la religion, voire même de la provocation. Il n'est pas rare de voir des jeunes filles mettre le voile dans certaines circonstances familiales pour le retirer dans l'heure qui suit pour aller danser et draguer dans des cafés de la côte océanique. C'est cette ambivalence que Hassan Hajjaj tente de capturer. Pour ceux et celles qui ont vécu au Maroc parmi des femmes marocaines et connaissent bien cette culture de l'intérieur, les quelques lignes ci-dessus prennent certainement un sens tout particulier.

Cette série prise à Marrakech est présentée comme un défilé de mode. A ce sujet, Hassan dit :

«Le Hijab fait partie de la culture marocaine, ce n’est pas quelque chose de choquant ou de très important comme c’est le cas en Europe. Le Hijab est décliné d’énormément de manière différentes, par ses couleurs, les tissus utilisés, à tel point qu’il y a une sorte de mode qui fait que les femmes doivent réfléchir avant de l’acheter, un peu comme lorsqu’on achète un sac à main.»

Le mode de prise de vue très coloré s'inspire des techniques prisées des grandes marques. Il faut percuter, flasher allant jusqu'à tourner en dérision la marque coca-cola qui se transforme en boisson rose bonbon. Les deux femmes sont voilées à la façon Arabie Saoudite et pourtant elles s'exposent à une terrasse de café avec des lunettes en forme de coeur happant ainsi le passant masculin dans une hypothétique histoire de séduction ou plus si affinités.

Il n'y a pas de prouesse technique dans cette photographie mais un souci de la composition et du message qu'elle véhicule. Hassan veut nous dire quelque chose.

«Je ne cherche pas à montrer le Hijab dans sa dimension religieuse, d’où l’utilisation des marques. Mais au final, cela reste un morceau de tissu et c’est une vision avant tout culturelle que j’essaye de développer. J’espère que ce travail ouvrira les esprits et créera un dialogue...»

Dans cette même série datant de 2008, le voleur de lumières capte la femme marocaine dans toutes ses contradictions. Quand on va au Hammam, y compris dans des petites villes reculées, il n'est pas rare de voir de jeunes femmes ôter leur caftan ou leur djellaba et d'y découvrir des habits de marques américaines de toutes sortes. Le contraste est saisissant, amusant et révélateur de cette féminité audacieuse et courageuse.

Mais ne nous y trompons pas, Hassan Hajjaj ne veut pas que provoquer, il envoie un véritable appel à l'échange interculturel espérant ainsi que les idées préconçues tombent laissant place à une compréhension qui serait bénéfique aux femmes de son pays. Au Maroc, rien n'est simple, il ne faut pas s'arrêter aux apparences et c'est ce que ces clichés tentent de nous dire.

La Femme marocaine dans sa fragilité

Il serait stupide de réduire la femme marocaine à une maîtresse femme, comme il serait aussi stupide de la réduire à une esclave soumise moderne. La réalité que tente de nous montrer Hassan est plus subtile. Il aime aussi montrer les femmes dans leur fragilité :

Le raffinement de cette composition suggère de multiples messages : la prison de la tradition (les dessins du sol), la captivité du consumérisme (le cadre fait de publicités) mais aussi et surtout la fragilité de cette femme allongée, voilée nous offrant le spectacle de sa détresse.

Au delà de la fragilité, notre voleur de lumières aime aussi saisir la femme dans son intimité, une douce tranquillité où il ne s'agit plus de séduire, ni même de nous interpeller mais tout simplement de nous inviter à sa table, autour d'un thé fumant et de converser avec elle des heures durant.

Dans ce décor typiquement berbère, autre facette et non la moindre de ce Royaume attirant, cette jeune fille semble enfin se reposer sans se soucier d'un photographe curieux qui cherche à capturer sa beauté mais aussi sa sagesse... En toute simplicité...

Hassan Hajjaj est un photographe libre et c'est cette liberté qu'il cherche à nous montrer au travers de ses séries photographiques. Véritable ode à la féminité marocaine, il nous invite dans cette contrée, de l'autre côté de la Méditerranée, et est prêt à nous accueillir si tenté que nous soyons capables de laisser de côté nos préjugés et notre faussement bonne conscience.

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