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par Jacques Duplessy

Quand la Chine nous montre la lune

L'inquiétant programme spatial de l'Empire du Milieu

Alors que Space X annonce vouloir mettre à disposition du Pentagone une fusée permettant de "livrer" des armes partout sur la planète en moins de 60 minutes, la Chine, elle, déploie armes et missions scientifiques...

Timbre chinois - D.R.

Quand le sage montre la Lune, l’idiot regarde le doigt, dit le proverbe chinois. La Chine ne cesse de nous montrer la Lune… et Mars aussi. La China National Space Administration (CNSA) a annoncé en mai 2019 que des taïkonautes se poseraient sur la lune d’ici « environ dix ans ». Quelques mois avant, la sonde Chang’e 4 avait réussi un atterrissage historique sur la face cachée de la Lune pour faire de nouvelles analyses d’échantillons de notre satellite.

Pour atteindre ses ambitions, l’Empire du milieu a injecté des milliards de dollars dans son programme spatial. Il a déjà mis au point un lanceur lourd, la fusée Longue-Marche 5B qui peut envoyer en orbite des charges jusqu’à 25 tonnes, un des éléments clefs pour la poursuite de ses ambitions. Et au cours de la China Space Conference 2020 qui a eu lieu à Fuzhou le 18 septembre dernier, la Chine a dévoilé un nouveau lanceur qui pourrait être celui qui va envoyer les astronautes chinois sur la Lune. Elle mesure 87 m de long et pèsera près de 2.200 tonnes au décollage, ce qui est presque le triple de la fusée Long March 5.

Le pays entend faire seul ce que les autres font en coopération. Exclue de l’ISS sur pression des Américains, elle s’est décidée à construire sa propre station spatiale, Tiangong ("Palais céleste" en mandarin). Si le calendrier est respecté, d’ici la fin de l’année, le module central de la station devrait être lancé. Les modules scientifiques devraient eux être placés en orbite et assemblés à la base vie en 2022. Cette base spatiale sera le point de départ pour mettre un jour le pied sur la Lune.

Un parfum de Guerre Froide

Les ambitions chinoises ne s’arrêtent pas là. Cette conquête spatiale est un programme très politique et une question de fierté nationale, dans un contexte de rivalité croissante avec les États-Unis. Il y a comme un parfum de Guerre Froide, au temps de la course à l’espace entre les États-Unis et l’URSS. Désormais, la Chine revendique les mêmes compétences que les Russes et les Américains en matières de vols spatiaux habités. La compétition est engagée avec les États-Unis pour aller le premier poser ses pieds sur Mars. Trump souhaiterait que le premier humain y arrive en 2033. Qui dit mieux ?

En attendant de voir le premier taïkonaute sur Mars, la Chine a lancé une sonde vers la planète rouge le 23 juillet. Dans une seule mission, elle rêve à la fois de placer une sonde en orbite, de poser un atterrisseur et un petit robot téléguidé pour réaliser des expériences scientifiques : prise de photos, cartographie, analyses du sol et de l’atmosphère...

Mais alors que la Chine nous montre la Lune et Mars, c’est le programme spatial militaire chinois qui inquiète. En 2018, la Chine a mis en orbite 40 satellites, soit autant que tous les autres pays réunis. Dans le même temps, le pays a développé toute une panoplie d’armes antisatellites : des missiles comme le SC‑19 pour neutraliser les satellites de reconnaissance placés en orbite basse et moyenne (de 400 à 1 000 km) ou le DN‑3 qui serait capable de détruire les satellites géostationnaires situés à 36 000 km de la Terre ou encore des armements à énergie dirigée (laser) capables d’aveugler ou d’endommager des satellites. Des satellites espions américains en ont fait les frais à plusieurs reprises. Les chinois envisageraient d’envoyer un satellite équipé d’un laser dans l’espace vers 2023.

Un arsenal complet

On peut aussi ajouter le véhicule d’attaque transorbital manœuvrant Shiyan‑7 ou encore des minisatellites Shiyan. Officiellement, l’objectif de ces engins est de faire de la maintenance dans l’espace. Mais un usage moins pacifique potentiel inquiète les autres puissances spatiales. Manœuvrant et doté d’un bras articulé, le Shiyan peut en toute discrétion capturer et désorbiter un satellite ou l’endommager. Cette menace est prise au sérieux, par la France notamment, qui a annoncé qu’elle allait équiper ses satellites de caméras pour repérer un éventuel danger.

« La Chine s’emploie à constituer un arsenal spatial complet qui sera susceptible de neutraliser, avec un préavis très court, la quasi-­totalité des satellites militaires, mais aussi duaux, adverses. Une capacité qui la met en position d’infliger des dommages considérables non seulement sur le plan militaire, mais aussi sur le plan économique, et donc politique. En cela, la Force de Soutien Stratégique, qui regroupe l’ensemble des capacités cyber et spatiales chinoises, constitue à elle seule un instrument de guerre systémique global, mais surtout une force de dissuasion à part entière », analyse le spécialiste des questions de défense Yannick Genty-Boudy, dans un article de la revue Défense et Sécurité Internationale. Alors que la Chine nous montre la Lune, pour une fois, on a bien raison de regarder le doigt...

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