Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine Champagne - kitetoa

Projet de loi contre le séparatisme : la petite musique de l'Elysée

Un briefing "off" pour les journalistes

Reflets publie le verbatin d'un briefing "off" du conseiller intérieur et sécurité du Président de la République à destination des journalistes sur le projet de loi "confortant les principes républicain".

Façade de l'Élysée - Remi Mathis - Wikipedia - CC BY-SA 3.0

C'est reparti pour un tour. Qui se souvient du nauséabond débat sur l'identité nationale de Nicolas Sarkozy ? Déjà, à l'époque les responsables politiques, sous couvert de créer un « rempart contre le communautarisme », chassaient sur les terres du Front National en quête d'électeurs. Aujourd'hui, Emmanuel Macron tente de siphonner le vote Rassemblement National en poussant un projet de loi sur les « principes républicains ». Cette fois, l'excuse est de lutter contre le « séparatisme ». Dans les deux cas, plus ou moins officieusement, ces projets visent à surfer sur le racisme latent visant les français musulmans. Ils contribuent à l'exacerber.

Dans son discours des Mureaux en octobre, le président de la République avait tracé les grandes lignes de son projet en la matière. Il avait expliqué à des journalistes qu'il visait le séparatisme islamiste. Aujourd'hui, l'exécutif slalome dans un champ de mines. Il tente de rassurer en expliquant qu'aucune religion n'est visée par ce texte tout en martelant que l'islamisme radical est un danger. Étrangement, le texte présenté ne fait pas mention de ce séparatisme islamiste qui serait la cible. Peut-être parce qu'il est compliqué de définir ce qu'est l'islamisme. Où se termine la foi et commence l'islamisme politique ? Difficile aussi de caractériser le « séparatisme ». Et comment faire la différence entre le « séparatisme » islamiste et celui de groupes comme Génération identitaire ? Les ennemis de la République sont nombreux...

Dans un contexte miné et où chaque mot compte pour ne pas exploser en vol, l'Elysée a souhaité convier quelques journalistes à un « briefing off » pour leur expliquer ce qu'ils devaient penser du « projet de loi confortant les principes républicains ». Ce type de briefing est intriguant. S'il s'agit de pouvoir poser des questions à un représentant de l'Elysée, il suffit d'organiser une conférence de presse à laquelle on convie toute la presse. Pourquoi spécifier que ces propos sont « off » ? Est-ce qu'il s'agit de propos que la présidence ne veut pas assumer ? Dans ce cas pourquoi les tenir ?

Nous avons demandé à pouvoir assister à cette réunion mais le nombre de journaliste a été limité et nous n'avons pas pu être présents dans la conversation WhatsApp organisée par le Château. Cependant, nous avons demandé à obtenir un verbatim de cette réunion dont on nous disait qu'il serait disponible « sur demande ».

Il n'y a pas de grandes révélations dans ce briefing off qui aurait aussi bien pu être une conférence de presse. On y retrouve cependant les habituels épouvantails brandis par l'exécutif et dont il est impossible de trouver trace dans la réalité. Au pire, il s'agit de cas très particuliers qui doivent se compter sur les doigts d'une main, rien qui ne soit une tendance lourde pouvant être brandie comme une attaque contre la République et ses principes.

Ainsi, les fameuses petites filles de trois ans voilées et à qui l'on fait cours dans des caves, les certificats de virginité, les mariages forcés, la polygamie...

« Vous avez un autre chapitre sur l'éducation et le sport, là aussi avec des mesures sur l'instruction en famille qui avaient été annoncées par le Président de la République dans le discours des Mureaux, avec un intérêt évident qui est de lutter contre des formes de « scolarisation », entre guillemets, de petites filles et de petits garçons qui sont retirés du système scolaire par leurs parents, qui sont dans une logique d'évitement scolaire, et que l'on retrouve regroupés dans des salles clandestines avec un enseignement séparé des petites filles qui sont entièrement voilées dès l'âge de 3 ans, les petits garçons qui sont séparés des filles, des programmes scolaires ne sont pas du tout des programmes scolaires validés par le ministère de l'Éducation nationale, dans des conditions lugubres de scolarité, dans des bâtiments vétustes, dégradés, sans aération, sans récréation, sans restauration et bien souvent sur des livres et des ouvrages scolaires qui ne sont pas du tout acceptés en France », explique ainsi l'Élysée dans son briefing. Mais voilà, il faut le croire sur parole. Car le conseiller ne cite jamais la moindre source, le moindre lieu, la moindre date.

Le Point, rapportait ainsi en octobre que Marlène Schiappa évoquait des certificats de virginité pour lesquels elle n'avait aucun chiffre précis : il est « très difficile » d'avoir des statistiques sur les certificats de virginité, exigés par certaines familles. « Il y a de véritables remontées, mais je ne veux pas vous donner un chiffre parce qu'il serait vraiment au doigt mouillé », a-t-elle déclaré, estimant « important que ce soit une pratique interdite » par la loi.

Qu'en est-il des petites filles de trois ans voilées et enfermées dans les caves évoquées par l'Elysée au cours du briefing off ? On ne le saura pas car aucun journaliste n'a relancé le conseiller d'Emmanuel Macron sur ce point. Mais est-ce réellement un phénomène de masse qui justifie une loi ? On peut raisonnablement en douter sauf à dire qu'à chaque fait-divers, il faut une nouvelle loi...

Que faire de ce « briefing off » ? Est-on tenus de respecter ce « off » ? Qu'est-ce exactement que le « off » dans la pratique journalistique ?

Les interlocuteurs des journalistes définissent parfois une partie de ce qu'ils disent comme étant « off ». En clair, cela veut dire que ce qui est dit permet d'apporter une précision ou du contexte, sans qu'il soit possible de citer la personne comme étant l'auteur de ces propos. Cela permet aussi de protéger une source et donc, de continuer à bénéficier d'informations de sa part. Dans ces cas-là, le journaliste indiquera « selon une source proche du dossier », « selon une personne ayant requis l'anonymat » ou quelque chose de similaire.

Mais venant de la part de l'Élysée ou d'un ministère, peut-il y avoir du « off » ? Il y en a tout le temps et une partie de la presse a appris à faire des choux gras de ce type de confidences. Mais cela a-t-il un sens ? Quelle parole un Président ou un ministre ne pourrait-il pas assumer face à ses concitoyens ? Vu sous cet angle, ce serait un peu inquiétant...

Il nous a donc semblé que le contenu du briefing réalisé par Frédéric Rose, le conseiller intérieur et sécurité du Président de la République méritait d'être publié, car il est d'intérêt général au moment où se prépare le vote d'une nouvelle loi controversée.

Téléchargez le document en cliquant sur ce lien.

Et l'intégralité du projet de loi tel qu'il a été présenté au conseil d'Etat est accessible ici

Le projet de loi doit être discuté à l'Assemblée Nationale en janvier 2021.

0 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée