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Dossier
par Jacques Duplessy

Profession député chauffeur-livreur

Jean-Louis Thiériot, député LR et conseiller départemental de Seine-et-Marne, raconte son quotidien

Livrer des masques, répondre aux inquiétudes des petites entreprises et des indépendants, contacter des banques pour faciliter des prêts, tenter d'y voir clair sur la situation dans son département, voilà son quotidien. Le député dénonce aussi le manque de transparence de l'Agence régionale de santé et son incapacité à gérer efficacement la crise.

Jean-Louis Thiériot, député chauffeur-livreur - D.R.

Comment se passe la vie d’un député en ce moment ? Quel est votre état d’esprit ?

Je suis en colère, je suis dégoûté. Et pourtant je suis un modéré. Il y a des gens qui meurent, des tragédies humaines… Les soignants ont trop peu de masques pour se protéger, le FFP2 seuls à même de filtrer l’air surtout. Les surblouses manquent cruellement, de même que les surchaussures et les charlottes. C’est lamentable. Je sais que tout n’est pas de la responsabilité du gouvernement. On s’est plantés dans l’anticipation de la crise : ça a commencé sur Sarkozy, ça s’est poursuivi sous Hollande et ça a continué avec Macron. A la clinique Saint-Jean près de chez moi, on demande aux soignants de mettre les masques dans des sacs poubelles pour les réutiliser dans 10 jours en espérant que le virus sera mort. Parce que la direction n’est pas sûre d’être réapprovisionnée. Et quelqu’un m’a dit que c’était la même chose à l’hôpital de Melun, mais je n’ai pas pu le vérifier. En ce moment, c’est surtout ma casquette de conseiller départemental qui est utile. Là, on a des moyens, des services. Le député, il ne peut pas faire grand-chose… Notre département avait commandé des masques FFP2 et 700.000 masques chirurgicaux. Les FFP2 ont été réquisitionnés par l’État. C’est un scandale ! 500.000 masques ont été donnés à l’ARS, l’Agence régionale de santé, et 200.000 ont été mis à disposition des conseillers départementaux pour les donner directement aux professionnels qui en manquent.

Donc vous avez distribué des masques ?

Oui, j’ai ajouté chauffeur-livreur à mon CV. Et ça n’a pas été simple. J’ai demandé à l'ARS la liste des médecins, infirmières, auxiliaires de vie et des ambulanciers de mon canton. Eh bien elle a refusé de me les communiquer... pour respecter le RGPD, la réglementation de protection des données personnelles. C’est ubuesque ! Comment perdre du temps alors qu’on est en situation d’épidémie... Donc, avec mon assistante parlementaire, on a ouvert l’annuaire et cherché les professionnels un par un, commune par commune. Puis je les ai appelés pour faire un point avec eux. J’ai découvert que les ambulanciers ne recevaient aucun masque jusqu’à jeudi (le 9 avril, NDLR) ! Ils transportent des personnes atteintes de Covid mais n’étaient pas considérés comme prioritaires. Ensuite j’ai livré ceux qui manquaient de masques ou certains sont venues dans une mairie que j’avais transformée en point de distribution. J’ai notamment ciblé les auxiliaires de vie qui ne reçoivent que six masques par semaine, alors qu’ils sont au contact de personnes très vulnérables. J’en ai apporté à des employés de grandes surfaces qui n’avaient aucune protection. Je sais aussi que les foyers de personnes handicapées sont passés sous les radars pour l’équipement en masques. Ça commence tout juste à arriver.

Comment se passent les relations avec l’ARS et le Préfet ?

Le préfet a vraiment bien travaillé. Il suit la situation et fait tout ce qu’il peut. Mais je suis effaré par le comportement de l’ARS. On a un État sanitaire dans l’État qui n’obéit pas aux représentants du pouvoir central. Il faut savoir que le préfet n’a aucun pouvoir sur l’ARS. Lors d’une réunion avec le préfet a été évoqué le cas de l’Ehpad de Tournan. Il y avait des rumeurs comme quoi il y avait de nombreux morts. L’ARS assure les yeux dans les yeux au préfet qu’il y avait un seul décès lié au Covid et que tout était sous contrôle. On apprend ensuite par la presse qu’il y a eu 17 morts. L’ARS nous a dit qu’ils n’étaient pas sûrs des causes de la mort des 16 autres car ils n’avaient pas fait de tests post-mortem. Quand je demande les chiffres des morts en Ehpad dans le département, l’ARS ne me les donne pas en prétextant un bug informatique. C’est insupportable ! Vue l’expérience de Tournan, je n’ai aucune confiance dans les chiffres communiqués par le gouvernement sur les morts en Ehpad.

J’ai demandé à la directrice départementale de la santé pour la Seine-et-Marne l’état de la réserve sanitaire, ces personnels qui peuvent renforcer les équipes en cas de besoin. Elle me répond que cela fonctionne très bien et que quatre personnes sont mobilisées. Je lui demande combien sont disponibles. Là encore, impossible d’avoir les chiffres et les qualifications ! C’est un vrai problème que les préfets n’aient pas autorité sur l’ARS. Je vois des haut-fonctionnaires de l’ARS déconnectés de la réalité du terrain.

Quelles sont vos autres préoccupations en ce moment ?

J’ai beaucoup d’appel d’entreprises et d’artisans qui peinent à obtenir des prêts. Ces emprunts sont pourtant garantis à 90 % par l’État. Certaines banques jouent le jeu, d’autres pas. Alors, j’appelle l’agence bancaire pour plaider la cause du patron, ou j’aide à saisir le médiateur du crédit. Souvent c’est assez efficace. Je reçois aussi des appels de petites entreprises qui n’arrivent pas à obtenir l’aide de 1500 € de l’État. Il faut prouver qu’on a eu au moins 50 % de perte de chiffre d’affaires sur le mois de mars. Mais ce critère n’est pas toujours pertinent. Par exemple, j’ai des pépiniériste qui commencent leur chiffre d’affaires en avril. Ils n’ont pas eu de perte en mars, donc il n’ont droit à rien. Sauf que leurs pertes vont être énormes. J’ai aussi deux marchands d’autruches. Cette viande ne se vend qu’en avril, mai et juin essentiellement. Donc, pareil, ils n’ont droit à rien. Je pense que l’aide de 1500 € par mois n’est pas suffisante. Par exemple, je suis très inquiet pour les restaurateurs. Beaucoup ne vont pas rouvrir s’il n’y a pas une exonération totale des charges sociales et fiscales. Même si ça va contre mes principes, dans ce cas-là, je pense que le coût social va être pire que l’endettement.

Comment voyez-vous l’avenir ?

J’espère qu’il n’y aura pas de seconde vague épidémique. Nos hôpitaux ont tenu, même si c’est tendu en médicaments et en capacité de réanimation. Mais je crains une pénurie et une catastrophe sanitaire si l’épidémie repart. Je suis aussi interrogatif sur la gestion de la crise. Ce gouvernement a un vrai problème de transparence. 80 % des Français pensent que le gouvernement cache des choses. C’est sûr, quand on entend ces mots : « On attend le consensus scientifique pour savoir si le port du masque est recommandé », cela me fait bondir. Non, soyons clair, on attend les masques pour dire que c’est utile. Enfin, je pense que beaucoup de choses vont se régler devant les tribunaux après la crise. Il y a eu des dysfonctionnements coupables. Avant de devenir député, j’exerçais la profession d’avocat. J’ai arrêté de plaider. Mais je suis prêt à remettre la robe pour défendre des victimes ou leurs familles devant les tribunaux.

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