Procès de la mort d'Amandine : « Quelle est cette rage qui vous anime, madame ? »
La réclusion criminelle à perpétuité requise contre Sandrine Pissara
Jeudi 23 janvier, Sandrine Pissara s’est enfermée dans des dénégations absurdes, admettant le principe, mais pas les détails des mauvais traitements infligés à Amandine, tandis qu’un Jean-Michel Cros pleurnicheur a répété en boucle qu’il aurait dû agir, qu’il n’a rien vu et qu’il a été lâche - tout en éludant des questions essentielles.
Dans leur appartement, Sandrine Pissara a affiché cette phrase : « L’univers nous écoute et la justice ne peut rien contre nous. »
Des hurlements déchirent une nuit d’août 2019 et glacent le sang d’une jeune adolescente. Elle se positionne à la fenêtre de sa chambre, enregistre les cris, les suppliques et les pleurs, puis appelle sa mère qui à son tour se précipite à la fenêtre pour écouter. Mais le silence est revenu et l’incident passe. Après la mort d’Amandine, la mère repense aux cris entendus par sa fille et donne aux gendarmes l’enregistrement réalisé un an plus tôt, et qu’elle n’a jamais pensé à écouter.
Mardi 21 janvier 2025, peu après 19 heures, l’enregistrement est diffusé dans la salle d’audience. Il fait nuit, la journée a été longue ; en fin de matinée, le public nombreux et les jurés ont vu, en gros plan et sur trois écrans, les photos du corps martyrisé d’Amandine, que le président a subitement décidé de diffuser pour faire « craquer » l’accusée. Dans la salle, des soupirs ont fusé. Des visages sont passés de la concentration à l’effroi, les yeux soudainement voilés de larmes. Les jurés fixaient la photo du cadavre décharné de la fillette de 13 ans, tandis que le président commentait : « là, c’est le corps d’Amandine allongé sur le sol. » 1m55, 28 kilos. Il a exhorté l’accusée : « Vous allez nous expliquer pourquoi vous n’avez pas compris ? » Il a demandé au greffier de zoomer. « C’est son visage le 6 août 2020. Qu’est-ce que vous n’avez pas vu ? Ces plaies, ces dents cassées ? Elle s’est privée elle même de manger ? Madame Pissara, qu’est-ce que vous lui avez fait ? » L’accusée a bredouillé « rien » et s’est murée dans le silence.
Après l’image, le son. L’enregistrement de quelques minutes se passe de tout commentaire. Largement inaudible mais si éloquent : le ton colérique de la mère qui pilonne la petite en pleurs, les cris de terreurs d’Amandine qui supplie : « Non madame ! non madame ! » et les hurlements suraigus, de douleur et de terreur mêlées. Plusieurs salves, crescendo. Puis le silence revenu. Le président demande à Sandrine Pissara de se lever, et pour la première fois, l’accusée, ébranlée, est en pleurs.
— Madame Pissara, avez-vous commis des violences contre Amandine de 2014 à 2020 ?
— Oui.
— Avez-vous commis des actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort sans intention de la donner du 17 mars au 6 août 2020 ?
— Oui.
Après trois ans et huit mois de procédure, Sandrine Pissara vient de reconnaître les faits.
« Je suis une mère monstrueuse »
Cet effondrement inattendu permet de nourrir un optimisme - prudent - en vue de l’interrogatoire sur les faits. Jeudi 23 janvier à 14 heures, le président demande à ce que l’accusée soit extraite de son box et placée à la barre afin d’y être interrogée comme un être humain, et lui demande simplement : pourquoi cette violence contre ses enfants, telles qu’ils l’ont raconté à la barre de cette cour ?
Le matin, Sandrine Pissara a fait un bref résumé d’une enfance malheureuse, éléments d’explications de ses béances narcissiques. La pauvreté, la violence maternelle, l’absence du père toujours « sur les routes ». La faim, le froid, le retour au Portugal et le travail dans les champs. Le manque d’amour. Puis l’âge adulte, qu’elle aborde en début d’interrogatoire :
— Le départ de mes premiers enfants au Portugal, je l’ai mal vécu. Le décès de Samantha (en 1991 de la mort subite du nourrisson, ndlr) a été un traumatisme supplémentaire.
— En quoi la peine engendrée par la perte d’enfants entraîne des actes de violence sur d’autres enfants ?
— Je ne peux pas réellement vous expliquer. J’étais toute seule avec ma peine. Je n’avais personne vers qui me tourner.
— Quelle est cette rage qui vous anime, madame ? Je n’arrive pas à comprendre. Et je ne suis que sur les violences. Vous vous êtes interrogée depuis mai 2021 que vous êtes en détention ?
—Oui, bien sûr.
—Vous avez vu des psy en détention ? Oui ? Et alors ?
— Je leur ai dit ce que je vous ai dit.
— Qu’est-ce que va distinguer Amandine des autres ?
— _La ressemblance avec son père ? _
— Vous ne l’aimiez pas ?
— Si, je l’aimais.
—Comment on peut taper sur un enfant de 3 ans ? Sur 8 enfants. Il y en a deux qui sont morts, deux qui sont parties, et quatre qui se sont constitués partie civile.
— Comment vous vous qualifieriez comment mère ?
— De mère monstrueuse ?
— De mère monstrueuse. Quel type de violences vous avez exercé ?
— Je leur ai tiré les cheveux. Et tout ce qui a été dit.
— Vous la jetiez sur le mur, Amandine ?
— Non.
— Vous auriez pu voir une assistante sociale pour traiter les causes. Au contraire, vous êtes restée dans un système fermé.
— Pour moi, que mes enfants soient placés m’était insupportable. Ça me rappelait des années en arrière, mes filles parties. Ça n’était pas concevable. Mais je suis restée ouverte.
— Vous êtes restée ouverte ? Mais c’est quasiment sectaire. Tout le monde se couche. Les enfants n’osent pas, ils l’ont tous dit. C’est comme un témoin en matière de criminalité organisée. »
«Putain rien ne va, le travail, l’argent, Amandine, sale période_ »
Le lendemain de la mort d’Amandine, Sandrine Pissara réunit un conseil de famille en forme de comité stratégique de défense. En cas de questions suspicieuses, il faut servir une version unique. L’anorexie mentale en justification de la maigreur, des punitions mesurées et justifiées, et son état qui s’est subitement dégradé, sans explication. Cassandra soutient avoir vu Amandine en bonne santé quelques jours avant sa mort et n’admettra avoir menti qu’une fois hors de portée des représailles de sa mère, placée en détention le 27 mai 2021.
Ambre a défendu, au delà de l’incarcération de sa mère - elle peine encore à se de défaire de cette emprise, visible à l’audience - ce scénario invraisemblable que Sandrine Pissara a soutenu tout au long de l’instruction. Au téléphone avec Jean-Michel Cros, la mère s’inquiète du transport de sa fille à l’institut médico-légal, et attend semble-t-il fébrilement les conclusions du médecin légiste. Le 10 août, elle dit à son compagnon : « Putain rien ne va, le travail, l’argent, Amandine, sale période ». Le 13 août, elle fait une demande de capital décès auprès de l’assurance. Dans le formulaire, elle coche la case : accident.
Le président en vient à la période du 17 mars au 6 août 2020, sur laquelle on lui reproche des actes de torture et de barbarie : « Racontez ce que vous avez mis en place pour Amandine, après son retour à la maison ».
— Les enfants sont à la maison. Il y a beaucoup de devoirs à faire. Je suis très occupée avec Ethan, qui a beaucoup plus de devoirs. Les enfants se couchent tard, se lèvent tard. Les repas sont en famille.
— Pour tout le monde, les repas ?_
— Oui. Ça commence à se compliquer quand Amandine n’a pas voulu faire ses devoirs. Ça montait crescendo.
— J’aimerais bien comprendre pourquoi Amandine qui, depuis ses 3 ans, se prend des coups tout le temps quoi qu’elle fasse ; qui s’est mise à pleurer et à dire qu’elle allait mourir en apprenant le confinement ; j’aimerais bien savoir comment a-t-elle osé s’opposer à vous pour les devoirs ?
— Mais c’est la réalité.
— Donc elle vous a défiée et il fallait la punir. Qu’est que vous lui disiez ?
— _D’aller en bas. _
— Pourquoi demandez-vous à Amandine d’aller dans ce débarras ?
— Parce qu’à l’étage y’avait Ambre. Elles se disputaient pendant le confinement.
— Qu’est-ce qu’elle fait en bas ?
— Elle essaie de faire ses devoirs.
— Et entre faire ses devoirs, et faire 28 kilos, qu’est-ce qu’il s’est passé ?
— Je ne sais pas. Je n’ai rien vu.
— Ah, vous ne reconnaissez plus les faits.
— Ben si.
— Vous l’avez empêchée de manger ?
— Non.
— Vous avez entendu Ambre ? Elle était obligée de faire le ménage dans la maison, nue, pour qu’elle ne puisse rien mettre dans ses poches. Et quand vous n’étiez pas là, il y avait la surveillance active de l’un et de l’autre. C’est vous qui l’avez décidé ?
— Oui.
— Quand votre fille n’a rien mangé pendant deux ou trois jours, vous arrivez à dormir ? Elle vous appelait, Amandine ?
— Non.
— Elle restait dans son cagibi, elle ne bougeait plus ?
— Je ne sais pas.
— Elle demandait à boire ?
— Je ne sais plus.
— Et cette dent cassée ? Elle s’est cassée comment ?
— Je ne sais plus.
« Vous la punissiez d’exister »
— Vous alliez la voir dans son débarras ?
— Oui, c’est là qu’il y avait la machine et le sèche linge.
— Et vous la voyez tous les jours, vous la voyez dépérir ? Quels échanges vous avez avec Amandine ?
— Je ne sais plus. Ce que je sais, c’est que j’ai pas réagi.
— Vous attendiez quoi ? Vous la punissiez de quoi ?
— De tout.
— Vous la punissiez d’exister, quoi. Sa vie a été une punition de 10 ans. J’espère qu’elle est mieux là-haut. Pourquoi vous ne l’amenez pas à l’hôpital ?
— Comme je vous ai dit, je n’ai pas su réagir.
— Vous voulez qu’elle meurt ?
— Ah non pas du tout. Tout ce que vous voulez mais sauf ça.
— Vous l’auriez sorti du cagibi quand ?
— Vous savez, ça a été très compliqué pour moi cette période du confinement. Je ne peux que me l’expliquer comme ça. Ça a été compliqué pour toutes les deux. J’ai vu, j’ai pas agi, et j’ai pas voulu qu’elle meure.
— _Non ça c’est Monsieur Cros. Vous, vous avez agi : vous avez commis des actes de torture et de barbarie. _
— J’ai perdu pied.
— Vous avez dit à la psychologue : en définitive ça m’a effleuré l’esprit qu’elle puisse en décéder.
— J’ai dit ça ? »
« Vous allez me dire qu’elle a fait un petit soin de la peau ? »
La journée du 6 août, « tout le monde se lève tard ». « J’ai demandé à Amandine si elle voulait manger, elle m’a dit non car elle se sentait pas bien. Je lui ai "dit fais-moi plaisir, mange", et elle m’a dit "maman j’ai pas faim", je l’ai forcée à manger une compote, qu’elle n’a pas pu avaler. Je lui a dit que si elle ne mange pas je vais appeler l’hôpital, elle m’a dit non "non non, pas l’hôpital" », relate l’accusée. C’est alors qu’Amandine passe de son débarras du rez-de-chaussée à la salle de bain du deuxième étage, transportée par Jean-Michel Cros selon Ambre - ce qu’il réfute. Elle est lavée par Ambre.
— Elle prenait des douches tous les combien ?
— Elle se lavait tous les jours.
— Dans l’état où elle était ? Comment elle faisait pour monter les deux étages ? »
Le médecin légiste a estimé qu’Amandine aurait été incapable de monter des escaliers. Elle gisait sur le sol du débarras, tellement immobile que des escarres s’étaient formés sur son corps. A l’autopsie, il a aussi remarqué deux choses : elle était enduite de pommade, et on lui avait manifestement fait les ongles - le métier de Sandrine Pissara. Le président attaque : « Elle se passait de la pommade tous les jours sur les plaies purulentes ?
— Je ne sais pas d’où vient cette pommade.
— Moi non plus, mais elle a été constatée. Et les ongles ? Vous allez me dire qu’elle a fait un petit soin de la peau aussi, une épilation ? Elle était en train de mourir. Elle avait des escarres, madame.
— En tout cas, ce jour-là, elle a pris sa douche.
— Quelle urgence y avait-il, dans l’état où elle était. Le visage que l’on a vu sur l’écran, c’était celui que vous aviez en face de vous, madame.
Le visage squelettique, tuméfié d’une enfant agonisante.
L’hypothèse du président, qui est aussi celle sous-tendue par le dossier, est qu’Amandine a été arrangée avant sa prise en charge par les pompiers. Ces derniers n’ayant pu que constater son décès, il n’est pas exclu que les soins aient été effectués post mortem. « Vous attendez les gendarmes, en fait », déduit le président.
En dernier, son avocat s’approche d’elle : « Que pensez vous de la description qu’on donne de vous aujourd’hui ? »
— Je suis comme on me décrit. J’en ai honte. Je suis monstrueuse. Mais jamais je n’ai voulu donner la mort à Amandine. Et je pense que si je suis comme ça, c’est parce que je n’ai vu et je n’ai vécu que de la violence autour de moi. »
Dans l’ordonnance de mise en accusation, le juge d’instruction a écrit : « Il ne fait aucun doute qu'Amandine a enduré de la part de Sandrine Pissara des violences destructrices et paroxystiques dont le seul dessein a été la volonté de l'entraîner dans une agonie honteuse et humiliante, portant atteinte gravement à sa dignité. »
Le « Collabo »
« Comme dans tout système totalitaire, y’a des collabos. Et moi j’en vois un dans le box », a dit-l’avocat général dans son réquisitoire.
En fin de matinée, Jean-Michel Cros a expliqué qu’il n’avait vu aucune violence physique, seulement des « leçons de morale ». Il n’a rien vu, et ce qu’il a vu, il ne l’a pas vraiment vu. Il a installé des caméras dans le débarras où Amandine était recluse, parce que Sandrine Pissara aurait insisté pour qu’il le fasse. Lorsqu’il la surveille depuis la rivière où il est sorti avec les autres enfants, et qu’il l’a voit, la veille ou l’avant-veille de sa mort, s'évanouir en faisant ses lignes et ne pas arriver à se relever, il ne prend pas conscience de la situation. Il « pensait qu’elle sortait » et n’a pas réagi quand il a constaté qu’Amandine n’était pas nourrie correctement, ou plutôt, selon lui :
— Elle mangeait différemment.
— Pourquoi vous ne dites rien ? Vous êtes chez vous. Vous jouez le rôle de père. Est-ce qu’il est normal qu’une enfant de douze ans mange du céleri toute seule dans son coin parce qu’elle est punie. Punie de quoi ?
— Je sais pas. Toute discussion avec Sandrine était impossible, à chaque fois ça partait en dispute.
Leur couple était houleux et Jean-Michel Cros rentrait tard du travail, s'avinait tout seul dans son coin pour fuir sa relation toxique, trop préoccupé par son sort pour sauver Amandine - « un amour », comme il l’avait qualifiée - des tortures infligées par sa mère.
Pour le secouer, le président montre deux captures d’écrans de la vidéosurveillance. 26 juin : Amandine est agenouillée sur un rouleau de lino, recroquevillée, nue. 27 juillet : debout et accoudée, elle est d’une maigreur qui rappelle les images des pires famines. « Vous pensez qu’elle se promène toute nue parce qu’elle est contente et qu’il fait un peu chaud ? » L’accusé Cros pleure et bredouille : « c’est inhumain ». « Vous dites au juge d’instruction : "moi j’étais là pour leur donner du bonheur et de l’amour". C’est glaçant. Le moins qu’on puisse dire c’est que c’est raté. »
Sur Jean-Michel Cros, le juge d’instruction a écrit : « Il ne s'est manifestement pas dressé face à des mesures de rétorsions qu'il ne pouvait légitimement accepter, ne pouvant de surcroît ignorer l'absence d'aucune justification ni explication rationnelles. M. Cros est demeuré inerte pour s'inscrire dans une posture de consentement silencieux. »
Vendredi 24 janvier au matin, après avoir demandé 18 ans de réclusion criminelle contre Jean-Michel Cros, l’avocat général a estimé qu’une seule peine pouvait convenir à Sandrine Pissara : la réclusion criminelle à perpétuité, qu’il demande d’assortir d’une période de sûreté de 20 ans.
Le verdict est attendu en fin de journée.