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par Anne-Claire Poirier

Procès climatique : quand l’État utilise pour se défendre une étude qui... l'incrimine !

Revoici les cabinets de consultants...

Attaqué devant le conseil d’État par la commune de Grande-Synthe et les associations de l'Affaire du siècle pour « inaction climatique », l’État offre une bien piètre défense !

Pochoir utilisé lors de l'action contre la "République des pollueurs" menée à La Défense en avril 2019 - © Tristan Saramon

Malgré une communication volontiers outrancière sur le climat, le « Champion de la terre » et ses équipes ont de plus en plus de mal à masquer la pusillanimité de leurs actions ; en particulier lorsque c'est le juge qui arbitre. Un premier coup de marteau est tombé le 3 février dernier lorsque le tribunal administratif de Paris a condamné l’État français pour « carences fautives » dans sa lutte contre le changement climatique. Les quatre associations qui portent cette « Affaire du siècle » (Notre affaire à tous, Greenpeace, Oxfam et la Fondation Nicolas Hulot) sont désormais suspendues à la volonté des juges qui se sont laissés deux mois supplémentaires pour déterminer les mesures à imposer à l’État afin de réparer ce préjudice ou prévenir son aggravation.

Parallèlement, le Conseil d'Etat travaille lui aussi sur une affaire sœur, engagée par la commune de Grande-Synthe, les villes de Paris et de Grenoble, ainsi que les associations de l'Affaire du siècle. Le 19 novembre dernier, la plus haute juridiction administrative a jugé la requête recevable et laissé trois mois au Gouvernement pour démontrer que son objectif de réduction des gaz à effets de serre pour 2030 (-40 % par rapport à 1990) pourra être respecté. Si tel n'est pas le cas, le Conseil d’État a déjà prévenu qu'il ordonnerait des mesures et que leur non-application entraînerait des astreintes financières.

L’État dans l'impasse

La réponse de l’État, communiquée aux juges le 22 février dernier, est assez révélatrice de l'impasse dans laquelle il se trouve. Son mémoire en défense de onze pages s'appuie sur une étude en mal de crédibilité, pour ne pas dire, qui sent le souffre. Il s'agit en effet de l'étude commandée au cabinet américain Boston Consulting Group et présentée début février comme une « expertise indépendante » sur la politique climat du quinquennat Macron. Alors que les très indépendants Conseil économique, social et environnemental (CESE) et Haut Conseil pour le Climat (HCC) ont déjà rendu des rapports assez implacables sur le sujet, l’État a préféré se tourner vers un cabinet privé, réputé proche du président, pour une énième expertise.

Les nombreuses occurrences liées au Boston Consulting Group dans les MacronLeaks ont en effet laissé apparaître une proximité entres les équipes d'Emmanuel Macron et le cabinet de « conseil en stratégie » pendant la campagne présidentielle. D'autre part, l'un des dirigeants exécutifs du cabinet à Paris, Guillaume de Montchalin, n'est autre que le mari de l'actuelle ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin.

Des conclusions fâcheuses

En tout cas, si l'objectif était de produire une étude qui contredit les évaluations du HCC et du CESE, c'est raté ! L'étude, quoique moins sévère que la plupart des rapports sur le sujet, aboutit elle aussi à la conclusion que les mesures prises depuis 2017 ne suffiront pas à respecter les engagements climatiques de la France. Le cabinet, qui intègre dans son périmètre d'étude la loi « Climat et résilience » non encore votée, prévoit ainsi qu'un scénario « volontariste » permettrait d’atteindre une réduction des émissions de C02 de 38 % en 2030 par rapport à 1990 (contre -40% inscrit dans la loi). Et encore, « cela signifie que l’ensemble des mesures est parfaitement exécuté sans aucune exception, et ce, malgré le contexte actuel difficile de crise économique. Cela suppose aussi de mobiliser des moyens politiques, financiers et humains inédits ».

Au final, sur un objectif de 107 millions de tonnes de CO2 à économiser annuellement, seule une faible partie (21 millions de tonnes) paraît « probablement atteinte » tandis que la majorité (57 millions de tonnes) « suppose un accompagnement volontariste » et que 29 millions de tonnes « semblent difficilement atteignable compte tenu des mesures actuelles ».

Manifestement, l'Etat n'a donc pas eu le choix que de produire pour sa défense des éléments qui l'incriminent. Les avocats de l'Affaire du siècle qui ont pu consulter son mémoire en défense s'estiment plutôt confiants sur l'issue du contentieux, attendu à l'été. On les comprend !

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