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par Antoine Champagne - kitetoa

Prise illégale d’intérêt : une information judiciaire contre Eric Dupond-Moretti

Le garde des sceaux dans une situation de plus en plus intenable

Anticor, le Syndicat de la magistrature et l’Union syndicale des magistrats avaient porté plainte contre le ministre de la justice. La commission des requêtes de la Cour de Justice de la République ordonne l'ouverture d'une information judiciaire.

Éric Dupond-Moretti, avocat français, en 2018 - Librairie Mollat - Wikipedia - CC BY 3.0

Pour les plus vieux, c'est un peu comme un retour en Chiraquie... Un chef de l'État qui se veut à la tête du parti de l'ordre, de la morale et qui se retrouve chef, ou gourou, d'un clan dans lequel le nombre de brebis galeuses va dangereusement croissant. Alexis Kohler, le secrétaire général de l'Elysée, l'un des plus proches d'Emmanuel Macron est l'objet d'une enquête sur un éventuel conflit d'intérêts professionnel avec l'armateur MSC. Son rôle dans l'affaire Benalla a également été questionné. Alexandre Benalla... L'ancien garde du corps du président et sa propension à se faire passer pour un policier pour taper sur les manifestants, cristallise à lui tout seul toute la relation de la présidence Macron à la Justice et à la séparation des pouvoirs : « qu'ils viennent me chercher », avait-il lancé bravache à ses troupes. La liste est longue. Jean-Paul Delevoye, Laura Flessel, François de Rugy, Richard Ferrand, Muriel Pénicaud, Françoise Nyssen, Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur soupçonné de viol... Cette fois, c'est le ministre de la justice lui-même qui est visé. Et la Justice, justement, a décidé de se pencher sur le cas de son propre ministre, ce qui finalement, en dit long sur l'état du pouvoir exécutif. Il y a là un message qui est envoyé.

Le parquet général de la Cour de cassation a annoncé vendredi 8 janvier que la commission des requêtes de la Cour de Justice de la République avait ordonné une ouverture d’information judiciaire pour prises illégales d’intérêts contre Eric Dupond-Moretti.

La Cour de Justice est la seule habilitée à poursuivre et juger les ministres pour des faits commis durant l’exercice de leurs fonctions.

Les faits visés sont ceux contenus dans les plaintes d'Anticor, du Syndicat de la magistrature et de l’Union syndicale des magistrats, à savoir la saisine de l’Inspection générale de la Justice (IGJ) contre quatre magistrats. L'association anti-corruption et les deux syndicats reprochent au garde des sceaux d'avoir profité du pouvoir qui lui est conféré pour saisir l’IGJ d’une enquête administrative contre trois magistrats du PNF à la suite de l’enquête menée par ce parquet et dans le cadre de laquelle un examen des fadettes de l'avocat Dupond-Moretti Eric avait été réalisé. En outre, il est reproché au garde des sceaux d’avoir saisi l’IGJ d’une enquête administrative visant un magistrat contre lequel un des anciens clients de M. Dupond-Moretti a déposé plainte.

Ce qui est perçu par la magistrature comme une sorte de vengeance personnelle somme toute assez mesquine et indigne de la fonction de la part d'Eric Dupond-Moretti, a déclenché une fronde du milieu judiciaire assez inédite, la plainte des deux syndicats en étant une illustration.

A grands coups d'effets de manche, le ministre a réfuté au fil des mois le moindre conflit d'intérêt. Mais en octobre, il signait finalement un décret lui permettant de se déporter au profit du premier ministre des dossiers dans lesquels il avait été partie en tant qu'avocat.

La commission des requêtes a toutefois estimé que le décret du 23 octobre 2020 modifié, donnant compétence au premier ministre dans un certain nombre de dossiers relevant des attributions du garde des Sceaux, « était sans incidence dès lors qu’il était postérieur aux faits dénoncés et ne valait donc que pour l’avenir ».

Une information judiciaire devrait donc désormais être ouverte à l'encontre d'Eric Dupond-Moretti, pour des faits de prise illégale d’intérêt, tels que définis à l’article 432-12 du code pénal : « Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction. »

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