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par Yovan Menkevick

Petit manuel [valls] de novlangue par temps de crise [démocratique]

Ce que l'on appelle "novlangue" est l'invention d'un auteur d'anticipation des années 30, Georges Orwell. Si les lecteurs ont retenu l'aspect "surveillance permanente" du roman 1984 d'Orwell, moins nombreux sont ceux qui se sont penchés sur cette problématique de la novlangue. Elle est pourtant très importante, voire plus importante que la surveillance de tous les instants exercée par "Big Brother", ce dictateur qui parle en permanence aux individus dans leur quotidien par le biais des écrans.

Ce que l'on appelle "novlangue" est l'invention d'un auteur d'anticipation des années 30, Georges Orwell. Si les lecteurs ont retenu l'aspect "surveillance permanente" du roman 1984 d'Orwell, moins nombreux sont ceux qui se sont penchés sur cette problématique de la novlangue. Elle est pourtant très importante, voire plus importante que la surveillance de tous les instants exercée par "Big Brother", ce dictateur qui parle en permanence aux individus dans leur quotidien par le biais des écrans. Tout l'intérêt du concept de novlangue réside dans l'inversion sémantique des concepts, la répétition et la tournure particulière des formulations. Pour imposer aux foules, sans coercition particulière, une vision du monde et de la société qui les obligent à aller dans le sens voulu par le pouvoir en place. Le pouvoir qui se fait appeler "Big Brother", dans le roman de Georges Orwell. Ce petit manuel de novlangue actualisé n'est pas de l'anticipation, il est le reflet exact du discours politique et managérial actuel. A chacun d'en tirer les leçons qu'il souhaite.

"La liberté, c'est la surveillance"

Manuel Valls a exposé son projet de loi sur le renseignement avec une thématique forte, d'ailleurs imprimée devant son pupitre, pour être bien certain que chacun pourra retenir le message : "protéger dans le respect des libertés". Orwell, dans  son roman 1984, avait inventé des slogans pour les ministères, qui eux-mêmes portaient des noms surprenants. Le ministère de Défense s'appelait ministère de la Paix, et les slogans régissant le monde de 1984 étaient par exemple : "La guerre c’est la paix", ou encore "La liberté c’est l’esclavage".

Manuel Valls a trouvé pour sa part un slogan similaire. "Protéger dans le respect des libertés". Protéger, c'est installer des boites noires de surveillance du net, avec des algorithmes prédictifs de "comportement terroriste", ce qui revient à surveiller les communications de la population. Protéger est donc surveiller.

Mais "le respect des libertés", c'est à l'entendre, la garantie que "seuls les terroristes seront surveillés". Répétons la phrase : les libertés seront protégées parce que seuls les terroristes seront surveillés ?

Si Manuel Valls affirme qu'il n'y aura pas de surveillance de masse, mais que son système de surveillance ne doit toucher que les terroristes, comment fait-il avec les futurs terroristes qui ne sont pas (encore) connus des services de renseignement ? A quoi sert un système de surveillance global (chez les FAI) pour surveiller des individus déjà connus pour être terroristes ? A rien. En réalité les libertés ne seront pas préservées, mais quelle protection sera assurée ?

Bref, sans novlangue : "la liberté de la vie privée, c'est d'accepter de ne plus en avoir, pour bénéficier d'une protection qui n'a aucune efficacité établie."

La croissance c'est l'emploi

Le point Godwin , ça c'est fait. #lhommequipointaitdudoigt

Autre slogan répété à l'envi, indiscutable, et que la population de 2015 doit faire sienne : "seule la croissance crée l'emploi". La courbe du chômage s'inversera (sic) si la croissance du PIB est supérieure à 1,5%. La réalité est bien plus fine, ne se vérifie pas du tout partout, ni à toute époque, mais l'idée même de la novlangue est, soit d'inverser des notions, ou bien répéter des "vérités" jusqu'à qu'elles soient assimilées par les habitants. Les "charges sur les entreprises" (qui sont réalité les cotisations sociales permettant à chacun de se soigner, de bénéficier d'un minimum de protection sociale par la collectivité) empêchent les entreprises d'embaucher. Repeat after me : "Les charges sur les entreprises empêchent les entreprises d'embaucher".

Après des décennies de cadeaux fiscaux, d'aides à l'embauche, de baisse des "charges" (voir récemment le CICE, le Pacte de responsabilité), les embauches ne sont pas plus à la hausse qu'avant. Mais cela n'a aucune importance, puisque la novlangue a martelé que c'était ainsi que les choses fonctionnaient. Extrait de discours de François Hollande pour justifier les réformes qu'il engage en "faveur de l'emploi", réformes qui exercent des pressions sur les salariés et dégradent leur protection sociale, mais offrent des avantages certains aux [grandes] entreprises :

"Le pacte de responsabilité doit s'inscrire dans un agenda pour nous projeter vers l'avenir (…), pour construire ce que sera la France dans dix ans". "On ne construit rien de solide en ignorant le réel (…) Je préfère regarder la réalité en face".

"Se projeter dans l'avenir, construire, ne pas ignorer le réel , regarder la réalité en face". C'est très beau, très positif, presque poétique, mais ça ne signifie rien, comme la novlangue sait si bien le faire. Le but n'est pas de faire des chose concrètes et de les expliquer clairement, le but est d'user des mots et des concepts pour les faire rentrer dans le crâne des auditeurs, pour qu'ils soient convaincus.

 Fleur Pellerin, spécialiste en novlangue

Elle fait partie de la "dream team" de la novlangue gouvernementale (employons les mots de l'adversaire), et nul ne sait aussi bien qu'elle faire passer à peu près n'importe quoi pour quelque chose d'incompréhensible et le faire devenir presque intelligible. Un jargon managérial en réalité, qui démontre parfaitement la volonté du pouvoir en place de se mettre dans les roues de l'"hypercapitalisme" dans ce qu'il a de plus abscons : la langue.

On ne sait même plus quelle est la question après cet extrait de réponse. Parce que "simplifier des indicateurs", "pas de priorités contradictoires entre elles", "simplifier le pilotage de l'entreprise", n'est pas précisément un langage courant et compréhensible. Surtout pour le ministère de la… Culture. Sauf si on jargonne soi-même dans des boites à cravatés. Et tous ces mots mis bout-à-bout n'ont au final, aucun sens concret. Mais ils sont une musique, celle de la novlangue, qui en met plein la vue, montre une certaine maîtrise : de quoi ? de qui ? Aucune importance, la maîtrise est celle de la démonstration de la maîtrise. Puisque quand on en est à "prétendre surveiller protéger dans le respect des libertés" avec des boites noires Internet sous contrôle des seuls services de renseignement, tout ça n'a plus aucune importance.

Un site de critique littéraire conclue ainsi, à propos de 1984, de Georges Orwell :

« Dans cette contre-utopie cinglante, Orwell propose une réflexion sur la ruine de l’homme par la confiscation de la pensée et la prolifération de la technocratie ».

Oui :  [la ruine de l'homme par] la confiscation de la pensée et la prolifération de la technocratie.

Si quelqu'un pense que nous ne sommes pas en plein dedans, qu'il lève la main.

En complément, un article Reflets sur la novlangue  : La ville sous le poids des mots

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