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par Jacques Duplessy

Penser le monde d'après : "Le prix d'un Homme"

François-Xavier Albouy plaide pour un prix minimum de la vie humaine

Un million d'euro, le prix d'une vie humaine ? L'économiste François-Xavier Albouy invite à penser un prix de la vie minimum qui obligerait les acteurs économiques à se préoccuper de la santé et de l'éducation de ceux avec qui ils font du commerce. Il appel à un "Bretton Woods" de la santé au sortir de la crise du Covid-19.

François-Xavier Albouy - D.R.

Qu’est-ce qui vous frappe dans la crise actuelle ?

L’événement lui-même , le virus est hors de proportion par rapport aux conséquences générées. Ce tout petit virus a réussi à bloquer l’économie de tout l’hémisphère Nord. C’est une performance assez exceptionnelle. Il apparaît des épidémies avec nouveaux virus tous les cinq ans. Mais celui-ci à la particularité d’être très contagieux, pervers avec de nombreux cas asymptomatiques et avec une létalité suffisamment importante pour pouvoir faire exploser notre système de santé.

Cette pandémie révèle aussi que les sociétés asiatiques sont mieux préparées que nos sociétés modernes occidentales européennes et américaines. Même s’il faut distinguer le cas de l’Allemagne qui a plus de cas confirmés que la France et quatre fois moins de morts que nous. Dans les différentes organisations sociales et politiques, certaines sont plus performantes que d’autres… Autre point saillant que je voudrais relever, c’est la crise financière majeure qui menace le monde d’après. L’économie mondiale était déjà malade avant la pandémie. Enfin, cette crise met en lumière ce qui a manqué à la mondialisation : la mondialisation de la protection sociale. Le mal originel de la mondialisation est l’indifférence à la santé et à l’éducation.

Vous avez à ce sujet une approche originale. Vous proposez de fixer un prix minimum à la vie humaine…

Lorsque l’on parle du prix de la vie, la majorité des gens répondent que, justement, elle n’en a pas. Bien sûr, mais le problème n’est pas là ! Tous les jours, dans tous les domaines et dans tous les pays, des arbitrages sont faits autour du prix de la vie humaine. La vraie question, c’est pourquoi ces prix sont-ils aussi différents d’un pays à l’autre? Prenons l’exemple d’un crash d’avion. Les indemnités versées aux familles des victimes seront de l’ordre de 5 millions de dollars pour un Américain, 3 millions pour un Européen et zéro dollar pour un Burkinabé. Actuellement, une invasion de criquets pèlerins va tuer entre 25 et 50 millions de personnes en Afrique de l’Est en provoquant une famine importante. Qui en parle ? Ça ne nous intéresse pas. La Banque Mondiale a débloqué 250 millions de dollars, c’est une somme ridicule ! Le prix d’une vie africaine ne vaut rien. Pour les pays occidentaux, ce sont des milliards et des milliards qui sont mobilisés. Il y a là quelque chose de profondément choquant qui montre que le prix d’une vie humaine est très différent d’un pays à l’autre.

Il serait donc sain de réfléchir à un dispositif qui fixerait un prix de base minimum de la vie humaine. Pas pour acheter ou pour vendre, évidemment. Un prix qui impliquerait que si un État ou une entreprise n’investit pas suffisamment en matière de protection et de santé pour ses citoyens, ou pour ses salariés, ses consommateurs ou ses sous-traitants, sa responsabilité puisse être retenue. Il est temps de mondialiser la protection sociale.

Comment faire ?

Il faut d’abord établir le prix d’une vie. De nombreuses méthodes existent. Dans les pays de l’OCDE, l’estimation de la vie humaine est généralement un multiple du PIB par tête. Et, même si cela n’est jamais dit explicitement, ce prix préside aux décisions publiques. Il permet par exemple d’arbitrer l’ouverture d’hôpitaux, le niveau d’équipement. Parfois le prix de la vie est fixé par un tribunal dans le cas des accidents. Ça peut aussi être un prix statistique : la valeur divisée par le nombre d’habitant. Il faut un prix de base minium. Accepter et fixer une norme mondiale d’un prix minimum de la vie humaine serait une amélioration pratique pour beaucoup. Un prix minimum de la vie humaine à un million d’euros, par exemple ne consisterait pas à donner un million d’euros à chaque être humain, mais cette norme obligerait des politiques économiques et des stratégies d’entreprise cohérentes avec le souci de préserver et de développer la vie. Ensuite il faut réfléchir à un Bretton Woods de la Santé (Ndlr: accords signés dès 1944 par quarante-quatre gouvernements pour organiser un nouveau système monétaire). Il s’agira cette fois de mettre en place une assurance santé à l’échelle de la planète et un accès universel à l’éducation. La richesse mondiale le permettrait. C’est une question de volonté politique.

Mais le président Trump vient d’annoncer qu’il ne contribuerait plus au budget de l’Organisation Mondiale de la Santé…

C’est un très mauvais signal donné à un mauvais moment. Même si certains arguments sur l’influence de la Chine sur l’OMS peuvent s’entendre. De toute façon se pose plus largement la question du futur du leadership américain…

Concrètement, comment mettre en place cette assurance santé universelle ?

Si on fixe un prix minimum à la vie humaine, l’État ou la communauté doit avoir accès à des ressources en conséquence pour la santé et l’éducation. Si un État, une société privée fait du commerce, elle doit accepter de se sentir responsable de la santé de cette population. Sinon on est comptable des victimes que son comportement provoque. Aujourd’hui, on s’en lave les mains. Il s’agit donc de mettre en place une taxe qui permette de prendre en charge la santé et l’éducation.

Une crise est aussi un temps d’opportunité. Nous n’avons jamais connu un tel moment de la vie du monde. C’est peut-être le moment de mettre en place des relations entre les États qui tiennent compte de la Déclaration des droits de l’Homme.

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