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par Jean Cloadec, Antoine Champagne - kitetoa

Pass Sanitaire : Florian Philippot réussit un rapt

Mais il faut dire que beaucoup étaient consentants...

Les Gilets jaunes ont réuni environ un millier de personnes tandis que Florian Philippot a organisé et réussi un véritable rapt. Ils étaient 18.000, selon un policier, à défiler derrière lui. Y compris des gens qui ont tout à perdre s'il arrivait au pouvoir. On atteint le pic de l'Everest du confusionnisme.

Improbable danse black-blancs-nationalistes-beurs en fin de manif de l'extrême-droite... - Reflets - CC BY-NC-ND 4.0

Ce n'est pas une nouveauté, l'extrême-droite courtise de longue date l'électorat « populaire », traditionnellement de gauche, en tout cas au siècle dernier. C'est ce que certains ont appelé le « confusionnisme ». Il faut dire que l'extrême-droite utilise désormais des termes propres à la gauche et à la gauche de la gauche. On parle de « social », du « peuple », on fustige les banques, les milliardaires qui grâce aux « médias » zombifient les masses. C'est un rapt des mots, des idées. Désormais, après la manifestation du 17 juillet 2021, on pourra parler de rapt des manifestants. Car si les Gilets jaunes ont bien attiré environ un millier de personnes dans le 14ème arrondissement, Florian Philippot a lui, attiré dans son sillage environ 18.000 personnes jusqu'au ministère de la Santé, selon des policiers croisés autour de la manifestation. Le représentant de l'extrême-droite a bien entendu mobilisé ses troupes habituelles, mais il a aussi agrégé des gens de gauche, des Gilets jaunes, des antivax et des anti pass sanitaire. Ces derniers sont sans doute motivés par des idées parfaitement défendables. Bien entendu, l'exécutif profite de la pandémie pour mettre la contestation sous cloche, bien entendu le pass sanitaire pose des questions de liberté individuelle et de surveillance qui l'on ne peut occulter. Mais cela justifie-t-il d'aller grossir les rangs de l'extrême-droite ?

#LesMédias, ces méchants... - Reflets - CC
#LesMédias, ces méchants... - Reflets - CC

Dans la foule, certains ont du mal à avouer qu'ils sont là pour Florian Philippot. Personne ne peut ignorer que la manifestation est organisée par l'ancien numéro 2 du Rassemblement National qui fait désormais cavalier seul à la tête du parti Les patriotes, fondé en 2017. De fait les pancartes avec l'adresse du site Web sont partout, la sono installée devant le ministère de la Santé annonce qu'il faut « remercier celui à qui l'on doit cette convergence aujourd'hui, Florian Philippot ».

Les pancartes sont explicites - Reflets - CC
Les pancartes sont explicites - Reflets - CC

Josiane (les prénoms ont été modifiés), pourtant, explique : « Je suis de Marseille, j'étais à Reims, je suis venue à Paris manifester parce que c'est trop grave, ce qui se passe et Les Patriotes luttent contre les dérives de Macron. » A côté, Éliane tente une explication moins claire : « Vous savez, c'est au delà de la politique ce qui se passe aujourd'hui. Vous ne pouvez pas réfléchir en termes d'opposition gauche-droite. Pour comprendre, il faut avoir fait un chemin personnel. Vous voulez être un objet ou un individu ? C'est ça la question. Parce que ce que font les grandes banques, la BCE, la FED, George Soros... avec ses 90 ans, il ne pourrait pas prendre sa retraite sur Mars ? Elles nous imposent des choses avec les gens qui sont au pouvoir et qui sont à leurs ordres. »

Autour, les références à la Shoah et au sort des Juifs avant et pendant la deuxième guerre mondiale, y compris en France, laissent pantois. Un homme a confectionné une étoile jaune qui lui masque le torse entier. Deux autres portent fièrement une pancarte sur laquelle est écrit « Pass Sanitaire » mais dont les deux « s » ont été remplacés par le sigle des SS allemands. Vouloir assimiler la mise en place d'un pass sanitaire à l'extermination des Juifs d'Europe par les nazis est une indicible violence faite aux victimes de la Shoah.

L'assimilation du nazisme à Macron ou la banalisation de la Shoah sont une outrance coupable - Reflets - CC
L'assimilation du nazisme à Macron ou la banalisation de la Shoah sont une outrance coupable - Reflets - CC

On parle aussi d'apartheid. Ceux qui ont connu l'épuisante et interminable lutte contre le régime ségrégationniste d'Afrique du Sud apprécieront. Pour mémoire, Nelson Mandela a passé vingt-sept années en prison pour s'être opposé à ce régime raciste.

On leur souhaite de ne pas subir le sort des Noirs d'Afrique du sud sous l'Apartheid - Reflets - CC
On leur souhaite de ne pas subir le sort des Noirs d'Afrique du sud sous l'Apartheid - Reflets - CC

La manifestation de Florian Philippot a réuni en un même lieu des gens très différents. Comme si tout se valait et si l'on pouvait mettre de côté, l'espace d'une manif, les idées nauséabondes des partis d'extrême-droite. D'ailleurs, en tête de parcours, Florian Philippot était accompagné de la députée ex-LREM covidosceptique Martine Wonner, du chanteur Francis Lalanne, de l'avocat Fabrice Di Vizio, de Jacline Mouraud, figure des Gilets jaunes au début du mouvement.

A l'approche du ministère de la santé - Reflets - CC
A l'approche du ministère de la santé - Reflets - CC

Mais le bouquet final de la manifestation d'extrême-droite est sans doute cette scène au moment de la dispersion. Quelques dizaines de personnes, des Blacks, une jeune femme musulmane voilée, des membres du parti Les Patriotes, dansent dansent sur des chansons de France Gall (Résiste), Claude François (Alexandrie, Alexandra), Lio (Banana Split) diffusées par les hauts-parleurs du parti de Philippot. A côté, une femme porte en évidence un exemplaire de Rivarol.

Que font-ils là ensemble ? Mystère de la colère. Les Black et les musulmans sont, comme les gens de gauche, ceux qui ont le plus à perdre dans le cas où Florian Philippot ou Marine Le Pen arrivaient au pouvoir.

A l'autre bout de Paris, une manifestation organisée par les Gilets jaunes marchait de Plaisance dans le 14ème arrondissement vers la faculté de Jussieu. Les slogans sont moins outranciers. Ils défilent aux cri de « Liberté ! Liberté ! » ou « Macron démission ! ».

Entre les deux manifs, on se vaccine devant l'Hôtel de Ville - Reflets - CC
Entre les deux manifs, on se vaccine devant l'Hôtel de Ville - Reflets - CC

Dans le cortège des antivax, des hésitants, quelques complotistes qui pensent que « le Covid est une purge organisée car nous sommes trop nombreux sur terre », des personnes inquiètes des dérives liberticides depuis le début du quinquennat de Macron.

Pierre, 32 ans, fonctionnaire, est l'un d'eux. Il est venu avec Marie pour dénoncer le pass sanitaire. « Je suis pour la vaccination, je suis vacciné. Je n'ai aucun problème avec ça. Je suis juste inquiet du recul des libertés sous Macron. Le dialogue social se fait à coup de LBD (lanceur de de bal de défense, NDLR). Les Français sont dans la rue pour réclamer la liberté en juillet. c'est un symbole fort. » Son amie Marie enchaîne : « Avec le pass sanitaire, tout le monde surveille tout le monde. C'est glaçant ! »

Les manifestants font une comparaison entre le pass sanitaire et le crédit social chinois, cet instrument de notation qui permet de distinguer les bons et les mauvais citoyens.

La lutte contre le virus doit-elle passer par une surveillance de la population ? La question mérite d'être posée. - Reflets - CC
La lutte contre le virus doit-elle passer par une surveillance de la population ? La question mérite d'être posée. - Reflets - CC

Un couple de restaurateur vient crier qu'ils ne veulent pas être transformés en policiers. « _On ne savait pas très bien dans quel cortège aller, on ne se reconnaît pas complètement ici, et encore moins dans l'extrême droite. On vient juste dire que nous ne sommes pas là pour surveiller nos clients. On craint les contrôles et le sanction. On risque 45.000 € d'amende, c'est énorme. C'est scandaleux ! _»

Des soignants en colère sont aussi présents dans le cortège. Martine, infirmière dans un hôpital privé, envisage de démissionner. « On cherche à nous cataloguer antivax, mais ce n'est pas mon cas. Heureusement qu'on a des vaccins ! Simplement, je pense qu'on n'a pas assez de recul avec ce vaccin-là. Il a été développé au pas de course, j'ai le sentiment qu'on fait de nous des cobayes. Je cherche du travail ailleurs. Je pense que ça sera moins dur que ce qu'on vit à l'hôpital. »

Valérie, aide soignante et secrétaire générale du syndicat Sud santé 77, déclare « qu'elle attendra de se faire virer. » « J'ai 55 ans. Après tout ce qu'on a donné pendant la crise, c'est comme ça que Macron nous remercie... Ce vaccin ne m'inspire pas confiance. Tout va trop vite. Il y aura peut-être des effets secondaires dans les mois à venir... Je ne serais pas la seule à partir. Cela va poser des problèmes. Rien qu'en réanimation à Melun, on a eu 25 départs de l'hôpital, 20 infirmières et 5 aide-soignants. Ils sont partis s'occuper de petits enfants, d’animaux, ou ouvrir une agence immobilière. La situation à l'hôpital est tellement catastrophique que les soignants en ont marre. Ils partent. Le vaccin obligatoire, c'est la cerise sur le gâteau. »

Plus de 110.000 personnes ont manifesté dans toute la France, selon le ministère de l'Intérieur. Chercher à cataloguer antivax tous les manifestants est réducteur. C'est pourtant ce que cherche à faire le gouvernement pour discréditer toute contestation.

Pourtant, l'instauration du pass sanitaire est loin d'être anodin. Il introduit des restrictions de liberté problématiques et l'extension de la surveillance généralisée de l'espace public.

La Quadrature du Net a mené des actions devant le Conseil d'Etat dénonçant la flopée de données personnelles présentes dans le QR code du pass sanitaire et la surveillance généralisée de la population.

Questionner les contrôles impossibles du pass sanitaire par des gens qui n'ont pas vocation à faire des contrôles d'identité, c'est légitime. Associer le pass sanitaire à l'étoile jaune, c'est méconnaître l'Histoire et insulter les victimes de la Shoah.

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