Journal d'investigation en ligne
par Antoine Champagne - kitetoa

Parfum d’OSS 117 au procès Sarkozy-Kadhafi

Une équipe de supposés bras cassés à la barre

« Je ne savais pas », « je n’avais pas été prévenu », « il faudrait demander à untel »… Les prévenus ou les témoins qui ont défilé à la barre cette semaine dans le procès du financement libyen supposé de la campagne de Nicolas Sarkozy ont rivalisé d’inventivité pour se faire passer pour les plus grands incompétents.

Affiche du film OSS 117 - D.R.
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« Que dire ? », la phrase de Claude Guéant résume à elle seule le sentiment général à la fin de la deuxième semaine de procès dans l’affaire dite du financement libyen de la campagne électorale de 2007 du candidat Sarkozy. L’accusation estime que plusieurs millions d’euros en provenance de Tripoli auraient pu irriguer la course à la présidentielle de l’ancien patron de la droite. Poussé dans ses retranchements par la présidente Nathalie Gavarino, l’ancien secrétaire général de la présidence et ancien directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’intérieur a bien dû convenir que son témoignage était à tout le moins incohérent. « Que dire ? » lâche-t-il avant de s’éclipser, prétextant une très grande fatigue. Il reviendra à la barre lundi, jure son avocat. Mais que dire en effet de Nicolas Sarkozy, de Brice Hortefeux, de Claude Guéant, tous trois ayant exercé des fonctions aux plus hauts niveaux de l’État ? Que dire des témoins, deux anciens ambassadeurs, un responsable de la sécurité de l’ambassade à Tripoli ? Que dire de ces hommes qui les uns après les autres expliquent qu’ils n'étaient au courant de rien ? Que dire d’eux qui systématiquement renvoient sur les autres les responsabilités alors qu’ils étaient aux commandes ? Sont-ils des incapables, doublés d’un statut de bras cassés de première catégorie, comme ils semblent vouloir le faire croire ? Étaient-ils touchés par un syndrome OSS 117 ?

Ancien commissaire de police, responsable de la sécurité à l'ambassade de Tripoli de 2005 à 2008, Jean-Guy Peres concède que tout le monde à l’ambassade connaissait la situation judiciaire d’Abdallah Senoussi, beau-frère de Kadhafi, patron du renseignement et accessoirement condamné à perpétuité en France en 1999 pour son rôle dans l’attentat du DC 10 d’UTA qui a fait 170 morts dont 54 français.

L’accusation soupçonne le clan sarkozyste d’avoir noué un pacte de corruption aux termes duquel la Libye fournissait des fonds pour la campagne de 2007 en échange, entre autres choses, d’une sorte de réhabilitation d’Abdallah Senoussi, visé par un mandat d’arrêt international.

En revanche, bien que chargé des aspects sécurité de l’ambassade, il n’avait jamais entendu parler d’Alexandre Djouhri et à peine de Ziad Takieddine, deux intermédiaires. « Dans ces déplacements il y a toujours des gens dont on ne sait pas qui ils sont, ni d'où ils viennent. Des membres de cabinets, des gens qui accompagnent des ministres ». A quoi cela pourrait-il bien servir de se renseigner un peu sur ces personnes quand on est chargé de la sécurité ?

La rencontre entre Claude Guéant, alors chef de cabinet du ministre de l’intérieur avec Abdallah Senoussi ? Il l’a apprise après par son homologue libyen mais n’en a « rien pensé, c'était quelque chose de politique, pas une affaire de police ». A quoi bon alerter ou même rendre compte à sa hiérarchie ?

I2e, l’ancien nom d’Amesys ? « Jamais entendu parler » et ne sait pas si quelqu’un à l’ambassade était au courant. Ce n’est pas comme si cette boite française n'était venue à de très nombreuses reprises à Tripoli pour y installer un vaste système d’interception de toutes les communications passant sur Internet dans le pays. Ce n’est pas comme si des anciens de la DRM et des membres de la DRM étaient de ces voyages. Pourquoi diable l’ambassade de France et son responsable de la sécurité auraient-ils été au courant d’un tel contrat et de tels voyages nécessitant des containers de matériel informatique ?

Jean-Luc Sibiude, était, comme il le précise, ambassadeur de France à Tripoli d’octobre 2007 à décembre 2007, une période « faste », « dynamique » de la relation franco-libyenne après l'apurement de certains contentieux comme l'attentat du DC10 d'UTA et la libération des infirmières.

Lui non plus n’a jamais entendu parler de Ziad Takieddine pendant tout son séjour en Libye. La rencontre secrète entre Brice Hortefeux et Abdallah Senoussi ? Il concède volontiers que la visite de M. Hotefeux n’était pas banale : « Il était ministre délégué aux collectivités territoriales et l'intérêt libyen pour ce sujet était "très limité" ». Mais pour le reste, « Ce n'est pas une affaire diplomatique classique, je n'avais pas à connaître de cet incident s'il a eu lieu ». Circulez ! Le contrat Amesys ? Pas au courant, même s’il pense qu’il aurait dû l’être. François Gouyette, l’ancien ambassadeur qui lui a succédé n’en savait pas plus. Décidément les membres de l’ambassade semblent ne pas avoir à s’occuper d’autre chose que de préparer les chocolats… de l’ambassadeur.

En 2003, Brice Hortefeux, conseiller au cabinet du ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy, a reçu Ziad Takieddine, soit deux ans avant l’affaire Libyenne. La manière dont Ziad Takieddine se retrouve dans le bureau de l’homme le plus proche (amicalement parlant) du ministre de l’intérieur laisse pantois.

Un assesseur interroge Brice Hortefeux : « Dans quelles conditions des hommes d’affaires, dans des spécialités un peu particulières, et des hommes politiques de premier plan peuvent se retrouver ? Quel est le processus ? Comment ça se passe ? J’imagine que c’est un peu plus compliqué que "il a sonné à ma porte, et j’ai ouvert" ? » Eh bien pas tant que ça. Ziadd Takieddine n’a eu qu’à dire qu’il « pouvait aider » dans la reprise des discussions avec l’Arabie Saoudite sur un énorme contrat (Miska) et d’être « recommandé par un ami », Thierry Gaubert.

On pourrait imaginer un minimum de prudence de la part d’une haute personnalité comme Brice Hortefeux. Pas le moins du monde. « Ce monsieur se présente, introduit par M. Gaubert. J’imagine que vous demandez à ce qu’au ministère de l’intérieur, on le screene des pieds à la tête ce M. Takieddine. S’il est directeur d’une station de ski, on ne voit pas le rapport avec un contrat de sécurité des frontières » lance l’un des procureurs... « je l’ai reçu, entendu et signalé au directeur de cabinet. Je ne sais pas ce que Claude Guéant a fait. Vous lui poserez la question ». Point barre. Il ne sait pas. Il ne sait rien, comme les autres. Claude Guéant a-t-il demandé aux services de passer à la moulinette le profil de cet intermédiaire providentiel qui va travailler au plus haut niveau sur un contrat à plusieurs milliards ? Aucune idée. Yolo, comme disent les (plus très) jeunes… Brice Hortefeux se défausse sur Claude Guéant.

Ses visites dans la propriété d’Antibes ou sur le yacht de Ziad Takieddine ? Il n’a fait que répondre à l’invitation d’un ami. Encore. Cette fois, c’est Jean-François Copé qui porte le chapeau. Ça tombe bien, il n’est pas là pour en parler.

Dernier jour d’audience de la semaine, le tribunal entend Claude Guéant. On va savoir s’il a demandé aux services de se pencher sur le pedigree de Ziad Takieddine. En audition pendant l’enquête, l’ancien patron du renseignement intérieur, Pierre de Bousquet de Florian, avait indiqué que, déjà à l’époque, Ziad Takieddine et Alexandre Djouhri suscitaient « une certaine méfiance » dans ses services qui alertaient régulièrement le gouvernement. Comme l’a rappelé un procureur, Ziad Takieddine avait été arrêté à la frontière suisse en 1994 avec 500.000 francs en billets neufs dans sa valise… Djouhri, de son côté, s’était rapproché du milieu parisien du banditisme dans les années 80.

Celui que l’on appelait « le Cardinal », en référence à Richelieu, avance d’un pas lent et peu assuré vers la barre. Compte tenu de son âge (80 ans) et de sa santé, la présidente lui propose de déposer assis. S’il est marqué par le poids des années, s’il semble abandonné en rase campagne par Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux, l’homme a gardé un esprit précis, efficace. Il déroule des faits remontant à près de 20 ans sans se prendre les pieds dans le tapis de la mémoire. Sans doute a-t-il bien préparé. Mais ce n’est pas tout. Il est combatif et s’emporte volontiers contre le parquet lorsque que celui-ci le presse : « vous mélangez les dates, vous mélangez tout » lance-t-il. Avant de se faire raisonneur : « Je veux bien répondre à vos questions mais il faut me laisser la parole » ou « je veux bien répondre à cette question à laquelle j’ai déjà répondu tout à l’heure ».

La présidente l’interroge sur le budget de la campagne de 2007 dont il était le directeur. « Je n'étais pas directement impliqué puisque c'est Éric Woerth qui s'en occupait mais comme l'a dit Nicolas Sarkozy, pour nous le financement n'était pas un problème ». Éric Woerth, qui a disparu de l’audience après le premier jour, a bon dos.

Il confirme les propos de Brice Hortefeux. C’est ce dernier qui lui a présenté Ziad Takieddine en 2003, il venait pour aider sur le projet Miksa : « Il m'est apparu comme quelqu'un de plutôt professionnel, nous nous étions fixé comme objectif qu'il n'y ait aucune espèce de commissions en France et de faire baisser le montant du contrat ». Un beau projet lorsque l’on sait que Ziad Takieddine ne vivait que de commissions et qu’il était capable d’ajouter, dans le cas du contrat d’Amesys, quelques millions pour ses commissions en l’espace de quelques heures (comme l’avaient montré Mediapart et Jean-Marc Manach – pages 40 et 41 de son livre Au pays de Candy)… L’accusation a d’ailleurs récolté des données financières qui montrent que plusieurs millions ont été payés à Ziad Takieddine, via des sociétés offshore, pour le contrat Amesys.

Claude Guéant déroule un argumentaire bien huilé : « la perception de l'homme hier et aujourd'hui n'est pas la même ». S’il avait « pignon sur rue » à l’époque, il a désormais « une aptitude particulière à mentir », souligne le Cardinal. « Je l'ai fait condamner quatre fois pour diffamation ». Et de rappeler à la présidente que « c'est quelqu'un qui s'impose, très insistant ». Mais enfin, s’interroge la présidente, « comment un secrétaire général de l'Élysée se fait "imposer" quelqu'un comme M. Takieddine ? »

Claude Guéant patine un peu et martèle : « il pouvait présenter une certaine utilité. Dans certains pays, c'est compliqué d'avoir des relations uniquement diplomatiques ».

Il poursuit : « Il m'appelle et me dit que pour libérer les infirmières, il fallait mettre en service le nouvel hôpital de Benghazi. Personne ne nous avait dit cela ! ».

L’insistant revient par la fenêtre avec des informations de première bourre.

Comme les autres, Claude Guéant ne sait pas grand-chose. Et il est bien peu méfiant pour un homme dans sa position. Il n’a par exemple pas demandé aux services de vérifier si Ziad Takieddine avait des casseroles : « dans le cadre du contrat Miksa, le CIVIPOL avait demandé et il n’y avait pas eu de retour négatif. C’était suffisant ».

Pas plus que Brice Hortefeux, il ne savait ce que faisaient comme métiers Ziad Takieddine ou Alexandre Djouhri. Parlant de Ziad Takieddine, la présidente interroge : « Son grand train de vie ne vous a pas échappé ? Saviez-vous ce qui lui permettait d'avoir ce train de vie ? »

« Non pas précisément », répond le plus proche collaborateur de Nicolas Sarkozy.

Très attaché aux « intérêts de la France, au service dédié à son pays », mais pas curieux et pas méfiant. L’homme que l’on décrit comme féru des services de renseignements répond à une autre question d’un avocat : « Lorsque vous étiez auprès de Charles Pasqua, vous n'avez jamais eu vent des affaires de financements occultes ? »

« Jamais » répond-t-il. Il complète le tableau des non-informés, ce qui ,a ce niveau de responsabilités, laisse un peu pantois.

Mais les choses se corsent. La présidente commence son interrogatoire sur la rencontre entre Claude Guéant et Abdallah Senoussi à Tripoli en 2005. C’est pur hasard ! Il est Tripoli pour préparer la visite de Nicolas Sarkozy quand Ziad Takieddine, qui est dans le coin, l’appelle pour lui proposer de rencontrer quelqu’un d’important : « J’y vais ». Mais, « Il ne vous en dit pas plus ? », demande la présidente ? S’en suit un dialogue étonnant :

  • Non, j'étais dans un climat de confiance. Je n'avais aucune raison de suspecter un traquenard.
  • Dans la voiture vous ne lui posez pas de question ?
  • Non je ne l'ai pas fait.
  • Même par curiosité ?
  • Oui.
  • Vous n'êtes pas entre amis où on se fait des surprises, vous êtes directeur de cabinet du ministre de l'intérieur... Vous ne posez pas de question ?
  • Je n'ai pas posé la question.
  • Vous parlez de quoi dans la voiture ?
  • Je ne m’en souviens plus.
  • Vous en parlez à l'ambassadeur ? Vous auriez pu avoir un accident. Ce serait logique de dire où vous allez dans un pays étranger ?
  • Que dire ? J'ai considéré que c'était le prolongement de ma mission.
  • Comment M. Senoussi se présente à vous, que vous dit-il, pourquoi cette rencontre ?
  • Nous avons évoqué les relations entre la France et la Libye et leur avenir.
  • Comment Takieddine vous présente-t-il M. Senoussi ?
  • Comme le beau-frère de M. Kadhafi.
  • Vous faites la relation avec la personne condamnée à perpétuité pour terrorisme ?
  • Oui. Je n'ai pas le droit de faire un esclandre et je dois aller jusqu'au bout. Je prépare la visite du ministre.

Claude Guéant estime, un peu flou, que sur la question de la situation judiciaire d’Abdallah Senoussi et la levée du mandat d’arrêt, la seule réponse qu’il aurait pu apporter c’est « j’en prends note et je vais étudier la question ». Et de poursuivre : « en rentrant, je n’ai rien fait d’autre que de me renseigner sur sa situation. On m'a dit qu'il n'y avait rien qu'il puisse faire d'autre que se présenter aux autorités judiciaires françaises ». Le Cardinal n’a pas non plus raconté à Nicolas Sarkozy qu’il avait été « piégé » par Takieddine, qu’il avait été mis en présence d’une personne condamné à perpétuité par contumace par la justice française. « C'était une sorte de traquenard. Mais sans conséquences sur l’action publique ».

La présidente le reprend : « Si vous en aviez parlé, M. Hortefeux ne se serait pas fait piéger à son tour »…

Le parquet prend la suite :

  • Est-ce que l'incident diplomatique que vous craignez si vous quittez le restaurant, ce ne sont pas les Libyens qui sont en train de le créer ? Vous êtes la France M. Guéant !
  • Je suis resté pour ne pas créer un incident qui aurait pu compromettre le déplacement de M. Sarkozy.
  • C'était peut-être aux Libyens de se sentir mal à l'aise ? À la France de dire qu'elle ne se satisfaisait pas de ces pratiques ?
  • Vous n'êtes pas prêt pour la diplomatie M. le procureur !
  • Je ne suis qu'un pauvre magistrat.
  • A quel moment avez-vous évoqué le sort des 54 Français décédés dans l'attentat ?
  • Je ne l'ai pas fait.

Sur ce terrible constat, l’audience est suspendue. Elle ne reprendra pas, Claude Guéant ayant quitté le tribunal en raison d’une fatigue extrême. Son avocat glisse au tribunal que sa santé est très mauvaise et que, à la demande de la présidente, il fournira un certificat médical.

Cette semaine d’audience laisse une impression terrible. Soit les protagonistes sont des bras cassés en termes de gestion du risque, soit ils sont persuadés, comme l’un des ambassadeurs et le responsable de la sécurité, Brice Hortefeux ou Claude Guéant que, grosso modo, « si c’est bon pour la France… » tout est acceptable, y compris que le politique surpasse la diplomatie ou que le politique peut avoir un effet sur le pouvoir judiciaire. Et c’est assez étonnant car lorsque Reflets avait interrogé Ziad Takieddine sur le contrat Amesys et l’aspect contestable lié aux droits de l’Homme, il avait répondu : « si c’est bon pour la France… ».

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