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Dossier
par Islam Idhair, Jacques Duplessy

Palestine : l'hôpital de Khan Younes sur le pied de guerre

Reportage dans la plus grande structure de santé du sud de la bande de Gaza

L'hôpital Al-Nasser a déjà accueilli plus de 200 blessés des bombardements depuis le début du conflit, dont de nombreux enfants. Mais la zone a jusqu'à présent été plutôt épargnée. Tous craignent une escalade militaire et se préparent au pire.

L'hôpital Al-Nasser de Khan Younes - © Islam Idhair

Devant l'hôpital Al-Nasser de Khan Younes, la grande ville du sud de la bande de Gaza, la nervosité est palpable. Les policiers en faction et les soignants en blouse blanche qui font leur pause sur le perron du bâtiment tout juste réhabilité scrutent le ciel. Une tente blanche vient d'être montée devant l'hôpital. Un pré-centre de tri en cas d'afflux de blessés. Mais pour le moment, les bombardements ont frappé durement surtout le nord de la bande de Gaza.

Au service des urgences, un tas de fiches de couleur est posé sur un bureau : vert pour les blessés légers, rouge pour les plus graves, noir pour ceux en urgence absolue. Mais pour le moment les urgences sont calmes. Le nombre de brancard a été doublé ainsi que celui du personnel soignant.

La tente dressée en cas d'afflux de victimes - © Islam Idhair
La tente dressée en cas d'afflux de victimes - © Islam Idhair

« Nous sommes dans une zone de conflit permanent, soupire, Farès Weam, le directeur des relations publiques de l'hôpital,_ donc nous avons l'habitude des plans d'urgence. Actuellement, nous faisons face à deux fronts : celui du Covid et la guerre avec Israël. » Dans son malheur, Gaza a eu de la chance ; l'augmentation du nombre de cas avait conduit les autorités à imposer un couvre-feu et interdire les grands rassemblements des dernières semaines. Le nombre de cas de Covid est donc bas. « Et avec la guerre, les gens sortent moins de chez eux, donc ça va freiner la reprise de l'épidémie_ », espère Farès Weam.

Depuis le débuts des frappes aériennes, les urgences ont pris en charge un peu plus de 200 blessés. Dix d'entre eux n'ont pas survécu. Mahmoud el-Najaar est médecin urgentiste. Il a lui même pris en charge de nombreux blesses « Les victimes que nous avons accueillies ici ne sont que des civils, assure-t-il, surtout des femmes, des enfants et des personnes âgées. Les blessures sont surtout des éclats reçus à la tête, au visage et dans la poitrine. On a eu une femme qui a perdu les deux yeux. Pourquoi les Israéliens attaquent-ils les civils ? Il faudrait une enquête internationale sur ces crimes ! Mais, comme mes collègues, je suis pessimiste. Je crains une escalade du conflit avec son cortège de blessés et de martyrs. »

Mahmoud El-Najaar - © Islam Idhair
Mahmoud El-Najaar - © Islam Idhair

Tristesse et colère

Dans les couloirs des soins intensif, plusieurs femmes blessées récemment sont entourées par leur famille. Le médecin nous conduit auprès d'un enfant de 13 ans, Mohamed Abu Taiba. Il habite dans le quartier est de Khan Younes. « Lui, il n'est passé pas loin de la mort, raconte Mahmoud el-Najaar. Il a pris un éclat de bombe au poumon le 14 mai lors d'un bombardement. On l'a opéré d'urgence. Quand il s'est réveillé, on lui a dit : "Tu as gagné une nouvelle vie !" » Les autres membres de sa famille ont été très légèrement touchés. Le petit blessé tient à témoigner. « Je ne peux vous dire grand chose, dit l'enfant d'une voix faible. Je ne me souviens de presque rien. J'étais allé me coucher et j'ai entendu le son d'une explosion. Puis plus rien. Je me suis réveillé à l'hôpital... Je voudrais poser cette question au pilote de l'avion, qu'est-ce que j'ai fait pour être bombardé ? » Sa mère et son oncle sont à son chevet. Elle, garde le silence ; lui est très nerveux et oscille entre tristesse et colère. Quand on engage la conversation, il explose : « Vas-y, prends des photos ! Prends des photos pour montrer ce qui se passe ici. Est-ce que cet enfant est un terroriste ? Envoie ces images au monde libre, à tous ces pays qui parlent des droits de l'Homme ! »

Pour le moment, Farès Weam assure que l'hôpital est capable de faire face. Mais pour combien de temps ? « J'ai toujours des craintes pour l'approvisionnement en médicaments et en consommables médico-chirurgicaux. Rien ne passe depuis Israël... L’Égypte a ouvert sa frontière mais pour le moment nous n'avons rien reçu. » Et comme si la presse avait un quelconque pouvoir, un peu magique, il insiste pour que nous relayons son appel : « Dites aux institutions internationales d'en finir avec le blocus de Gaza et de mettre fin à la guerre. » En attendant un trêve hypothétique, l'attente anxieuse continue.

Carte de la bande de Gaza - Lencer - Wikipedia - CC BY-SA 3.0
Carte de la bande de Gaza - Lencer - Wikipedia - CC BY-SA 3.0

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