Origines de la crise (4) : si tu recules je te dérégule…
(comment les maîtres du monde montent d'un cran la déréglementation des échanges et de la finance pour créer The Big Market of The World qui va finir par tout avaler et nous mener là où on en est…
(comment les maîtres du monde montent d'un cran la déréglementation des échanges et de la finance pour créer The Big Market of The World qui va finir par tout avaler et nous mener là où on en est…)
Et si on rachetait tout ?
Le premier acte de la mondialisation des échanges passe par une idée assez simplette, mais efficace, qui veut que si tu arrives à piquer la moitié des noisettes d'un écureuil et qu'il ne dit rien, pourquoi se priver de lui piquer l'autre moitié ? Pour y arriver, les décideurs-penseurs du "libéralisme augmenté" des années 90 (nous dirons plus tard qui ils sont) n'y vont pas avec le dos de la cuillère : ils décident tout bonnement de déréguler absolument tout sur la planète. Et ouais. Pas de problème. Ce qui est appelé dérégulation et a déjà commencé au pays des pom-pom girls depuis Reagan (et même un peu avant avec Carter) se matérialise par quelques concepts "friedmaniens" livrés sur un plateau dans la partie ci-dessous. Ca peut sembler un peu obscur comme ça et pourtant c'est très simple dans la tête des néolibéraux : pour arriver à une économie optimale, il faut à tout prix mettre en concurrence le maximum d'acteurs privés d'un maximum de secteurs et empêcher toute possibilité de réguler, c'est-à-dire limiter ceux qui vont se jeter dessus. Ce qui signifie en clair : vendre les entreprises publiques aux géants du privé et leur octroyer toutes les facilités possibles : contraintes fiscales minimalistes, accentuation de la flexibilité du marché du travail, diminution des charges sociales, conservation des taux d'intérêts au plus bas. La concurrence libre, non faussée, totale, pleine et entière, sur tous les fronts ! Aaaaaaah ! A cette époque, certains libéraux en avaient des coïts ininterrompus. C'était trop beau. Mais quitte à faire, si on veut vraiment aller jusqu'au bout de la procédure, il ne faut pas se contenter de laisser racheter tous les secteurs par les grosses boites et leur permettre de se concurrencer comme des bêtes entre eux et chez eux. Nan, nan, nan. Il faut faire mieux, plus fort, plus loin, encore plus grand.
Et si on faisait péter tous les contrôles sur la planète entière pour qu'on s'en mette plein les fouilles sans limite ?
Ah ouais, pas con l'idée ! On lance la concurrence totale entre secteurs mais avec un bonus : plus de limites entre les Etats. Ca c'est du bon plan coco ! On libéralise le commerce national et international et donc, on supprime les quotas d'import ou export, on abaisse et on uniformise les droits de douanes. Comme ça, après avoir racheté à peu près tout, on peut dealer de partout avec le minimum de règles et de contraintes. On supprime toutes les barrières. Plus personne ne peut empêcher ta multinationale de piquer des pans entiers de production, de plier l'économie d'un petit pays en lui vendant moins cher ce qu'il produit déjà, par exemple. Et pour que la pillule passe mieux, que tout ça paraisse bien géré, bien posé, on te récupère un vieux machin de 1947 qui avait servi à établir des règles commerciales sur la planète, le GATT, on te le transforme en Organisation Mondiale du Commerce (OMC), on signe un premier accord en 1994 à Marrakech et l'affaire est pliée. C'est pas du beau boulot ça ? Parce que cette OMC, que tous les chefs d'Etat révèrent, est très cash (jeu de mot) dans ses objectifs : réduire les obstacles au libre-échange, aider les gouvernements à régler leurs différends commerciaux et assister les exportateurs, les importateurs, et les producteurs de marchandises et de services dans leurs activités. Une sorte d'ONU du business libéral. L'organisation qui est là pour tout libéraliser, absolument tout (ou presque). Et bien entendu, tout ça ne peut se faire sans une autre organisation, particulièrement efficace pour libéraliser les pays en voie de développement, le FMI. Le principe est simple : vous êtes endettés, vous manquez de quoi payer financer le pays, je vous prête avec intérêts mais sous conditions de privatiser intégralement vos services publics et laisser les investisseurs occidentaux tout rafler…
Et la finance dans tout ça ?
Mais elle va très bien, merci pour elle ! Elle a surtout entamé depuis la fin des année 80 une mutation sympatoche qui n'attendait que la grande ruée commerciale activée par l'OMC/FMI pour se déployer pleinement : ce qu'on appelle en Europe l'acte unique de 1986, par exemple. Ouais, Paulo, grâce à cette "liberté financière" en 4 points, tu peux faire des trucs incroyables. Les grandes libertés de l'acte unique donnent un résultat marrant appelé les 3D : Déréglementation, c'est-à-dire abolition du contrôle des changes et des restrictions aux mouvements de capitaux, Désintermédiation, c'est-à-dire accès direct des opérateurs aux sources de financement sans passer par des intermédiaires, et Décloisonnement, c'est-à-dire éclatement des compartiments qui existaient que ce soit du point de vue géographique, fonctionnel ou temporel (bourse en temps réel, plus de différence entre le boursier et le monétaire, dématérialisation des échanges par l'informatisation). Avec ça, plus rien n'empêche les opérateurs financiers de se faire des roubignoles en platine, jour et nuit, avec des contrôles très très limités (et surtout contournables, on le verra mieux par la suite), et grâce à la libéralisation des échanges, n'importe où avec n'importe qui… Pfiouuuuu, ça donne vachement envie, c'est extra cool comme plan… Enfin si t'es trader ou dirigeant d'une multinationale, ou bien une bande de politiciens qui mettent en œuvre toute cette magnifique organisation d'un nouveau genre (on vous récompensera par la suite d'avoir bien appliqué le plan).
Et après ? Et après ? Il se passe quoi ?
Ben on arrive à la fin des 90's, une super période, vachement chouette : everythink is possible mon garçon ! Tu t'achètes un PC pentium fabriqué par des esclaves asiatiques, tu loues un bureau avec 3 potes, tu montes un projet dote-come avec plein de trucs qui clignotent mais surtout qui parle des trois doublevés, de "services" sur les autoroutes de l'information, et banco ! Ta boite est côtée en bourse en 6 mois, elle prend 500% dans le trimestre qui suit, tout le monde parle de toi, on veut te racheter, tu roules en Lamborghini, bois du champagne avec des blondes à forte poitrine venues exprès de Russie juste pour toi, mais tu continues à te demander quand tu vas te décider à taper plus que trois lignes de code. Parce que bon, on croit en toi (peut-être le nouveau Bill Gates ?) mais toi, t'as surtout des idées, deux ou trois bricoles qui trainent en ligne, pas plus. Le problème c'est que les joint-venture (capital-risqueurs), ils ont misé 300 patates sur ta tronche, comme avec une dizaine de milliers d'autres branleurs dans ton genre. Parce qu'ils pensent que c'est l'avenir. Mais quand tu vois la courbe exponentielle de la valeur boursière de ta petite startup, t'as un peu les foies. En 2000, tu te tires en catastrophe des bureaux toujours à moitié vides de www.justepourigoler.com : les investisseurs en bourse viennent de s'apercevoir qu'ils avaient tous misé sur du vent. Toi et quelques milliers de tes camarades petits-génies-du-net avez créé une bulle spéculative boursière. Ca s'appelle l'éclatement de la bulle Internet. Boum badaboum. Plein de milliers de milliards partent en fumée.
Oui, mais bon : en quoi ça amène la crise actuelle, tout le monde applaudissait la mondialisation à l'époque ?
Certes, et c'est vrai. Mais à partir de 2000 on commence à arriver au cœur du problème actuel, qui comme on le remarque, s'est mis en place par étapes successives, avec une philosophie univoque, celle de Friedman. Comme si toute autre alternative était proscrite, ce qui est bien entendu faux puisque des économistes très compétents proposaient d'autres voies. Mais personne n'a voulu les entendre, alors qu'ils prévoyaient les problèmes actuels, mettaient en garde sur les bulles financières et les effets pervers d'une dérégulation mondiale. Ce qu'il faut bien voir c'est que la globalisation financière couplée à celle des échanges a amené les acteurs de la finance à rechercher avant tout de la rentabilité à courts termes, à compenser les risques provoqués par les fluctuations des taux de change et des taux d'intérêts en créant de nouveaux produits hyper complexes carrément opaques, les produits dérivés, dont nous parlerons dans le prochain et dernier épisode de cette foutue saga. La crise systémique actuelle, financière, bancaire, économique, n'est pas une crise des dettes souveraines, elle est bien plus que ça. La dette est l'arbre qui cache la forêt, bien pratique pour les valets de la finance, nos dirigeants politiques : la dette permet surtout de ne pas parler de la déconnexion totale entre la sphère financière et l'économie réelle, d'un système économique désormais entièrement appuyé sur la spéculation (système qui menotte les Etats occidentaux). Ce système est en train de se noyer, les observateurs les plus avertis de l'économie le savent et le disent, et si l'on reprend, pour conclure, une phrase de l'anti-friedman, ce cher Keynes, ça donne ça : "je considère l’auto-régulation des marchés comme un mythe qui ne s'obtiendrait que sur le long terme, mais en utilisant la formule : "A long terme, nous serons tous morts"…
Next (and last) time : "how i fucked the world with my CDS"
Petit bonus en vidéo, pour se faire une idée de ce qu'est la finance internationale, ce documentaire sur la City de Londres. Si tout ça vous intéresse, trouvez 50 minutes : ça se regarde comme une série policière…
Documentaire: City de Londres, la finance en... par MinuitMoinsUneOrigines de la crise (3) : i belieeeeve i caaaaan flyOrigines de la crise (2) : tu l’a vu mon gros baril ?Origines de la crise (1) : mais pourquoi, pourquoi, pourquoi…?Global economic crisis : comment ça va se passer (ou pas)