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par Rédaction

OFF Investigation en accès libre sur Reflets : Sanofi, labo “chouchou” de la Macronie ?

Les étranges relations de l'exécutif avec ce laboratoire qui accumule les scandales et les échecs

L'épisode 7 de OFF Investigation sur le président français s'interroge sur le lien étrange qui unit l'exécutif au labo Sanofi. En dépit du fiasco pour son vaccin, en dépit du scandale de la Dépakine, il continue à être abreuvé de subventions publiques depuis des années, et a droit à des réductions fiscales.

Episode 7 de OFF Investigation

Bénéficiaire de millions d’euros de subventions et de crédits d’impôts, Sanofi ne cesse pourtant de licencier ses chercheurs depuis une douzaine d’années et a récemment échoué sur les vaccins contre le Covid-19. Le groupe pharmaceutique est également embourbé dans le scandale sanitaire de la Dépakine, qui a causé des dommages physiques et cognitifs à des dizaines de milliers d’enfants, mais il refuse depuis 5 ans de verser le moindre euro au fonds d’indemnisation amiable des victimes. Enfin dans les Pyrénées Atlantiques, les autorités ont découvert en 2018 que l’usine Sanofi fabricant la Dépakine rejetait dans l’atmosphère des gaz polluants et potentiellement dangereux pour la santé et l’environnement, à des taux qui dépassaient plusieurs milliers de fois les seuils autorisés. Emmanuel Macron et son gouvernement ont-ils tapé du poing sur la table, demandé des comptes, exigé des excuses publiques, poussé le laboratoire à indemniser les victimes ? Pas vraiment…

Avec 100.000 salariés dans le monde dont un quart en France, Sanofi est l’un des 10 plus gros laboratoires pharmaceutiques de la planète. Il engrange des milliards de bénéfices annuels et verse des dividendes toujours plus grands à ses actionnaires depuis quinze ans. Mais face à la pandémie du covid-19, le labo français n’a pas été à la hauteur. Il est pourtant abreuvé de subventions publiques depuis des années, et a droit à des réductions fiscales via le Crédit impôt recherche (CIR) et le Crédit Impôt compétitivité emploi (CICE). Que s’est-il donc passé avec son candidat vaccin à Arn-Messager, arrêté subitement en septembre 2021 alors que les essais de phase 2 et 3 s’avéraient prometteurs ? Pourquoi son deuxième candidat-vaccin, à protéines recombinantes, une technologie que Sanofi est censé maîtriser depuis des décennies, n’est-il toujours pas sur le marché début 2022, alors que les dirigeants promettent sa sortie imminente depuis plus d’un an ?

Pour les personnes que nous avons interviewées, cela n’est pas sans lien avec les plans de licenciements successifs qui s’enchainent depuis 2010 chez Sanofi en particulier dans le secteur Recherche et Développement (R&D). Face à ce fiasco, ni Emmanuel Macron ni aucun de ses ministres n’a demandé de comptes publiquement au groupe Sanofi. Au contraire, des aides publiques exceptionnelles ont continué à abonder, et le seul “pseudo reproche” public que nous ayons trouvé du chef de l’Etat sur les vaccins de Sanofi (“On ne peut pas dire que la nation de Pasteur a été celle qui a découvert le vaccin en premier” (…) Je ne peux pas faire cocorico”) ne mentionne même pas explicitement le laboratoire. Quant à Bruno Le Maire, lorsqu’un journaliste de BFMTV lui demande s’il s’agit là d’un “échec de Sanofi”, le ministre de l’économie botte en touche, comme s’il rechignait à reconnaître les insuffisances du laboratoire.

Autre silence qui interroge : alors que Sanofi refuse de participer au dispositif d’indemnisation à l’amiable des victimes de la Dépakine (contrairement à ce que le laboratoire Servier a fait dans l’affaire du Médiator par exemple), le gouvernement laisse faire. Ce fonds a pourtant été voté à l’unanimité fin 2016 par les députés, représentants de la nation. A ce jour, aucune excuse publique n’a été demandée par l’exécutif, au grand désarroi des familles de victimes. Le laboratoire continue de rejeter la responsabilité du scandale de la Dépakine sur les autorités françaises et fait systématiquement appel des décisions de justice qui lui sont défavorables. En attendant, c’est donc l’Office d’Indemnisation des victimes d’accidents médicaux, l’ONIAM (un organisme public) qui a du avancer les 33 millions d’euros déjà versés aux victimes, puis a assigné dans la foulée Sanofi devant les tribunaux dans l’espoir que les contribuables soient un jour remboursés. Une double peine pour les familles de victimes, qui en plus de pâtir chaque jour des graves effets secondaires du médicament de Sanofi, se retrouvent à devoir payer eux-mêmes – via leurs impôts – une partie de leur indemnisation !

Par ailleurs, dans les Pyrénées-Atlantiques, la préfecture a découvert en mars 2018 que l’usine Sanofi de Mourenx (qui fabrique la Dépakine) rejetait dans l’atmosphère des gaz toxiques dans des quantités astronomiques. L’un de ces gaz, le bromopropane, classé “cancérogène, mutagène et reprotoxique possible” par l’Organisation mondiale de la santé, a même atteint des pics dépassant 190.000 fois les seuils autorisés ! Mais là encore, alors qu’on aurait pu s’attendre à une réaction très ferme de l’Etat et des demandes d’explications et d’excuses envers les riverains et les associations de protection de l’environnement (comme la Sepanso64), nous n’avons trouvé aucune trace de cela au cours de notre enquête. A l’inverse, quand le “scandale Mourenx” est révélé dans la presse en juillet 2018 – hasard du calendrier, Emmanuel Macron reçoit à l’Elysée les représentants des principaux laboratoires pharmaceutiques mondiaux, dont Sanofi. Et le lendemain, le directeur général de Sanofi France, Olivier Brandicourt, se réjouissait dans les colonnes du journal Les Echos que des mesures “très encourageantes” pour l’industrie pharmaceutique soient sur le point d’être prises par le gouvernement.

Serge Weinberg, mentor méconnu de Macron ?

En enquêtant sur les raisons de cet immobilisme, voire de cette complaisance de l’exécutif vis-à-vis de Sanofi, au-delà des raisons classiquement invoquées comme le chantage à l’emploi, nous avons découvert que Serge Weinberg, président du conseil d’administration du laboratoire depuis 2010, était l’un des mentors d’Emmanuel Macron. Une sorte de “coach” qui le conseille et l’encourage depuis qu’ils se sont rencontrés au sein de la commission Attali en 2007, alors qu’Emmanuel Macron en était le rapporteur adjoint. Des liens très forts unissent les deux hommes depuis une quinzaine d’années.

En 2008, c’est Serge Weinberg qui téléphone à David de Rothschild, le patron de la célèbre banque d’affaires franco-britannique, pour lui conseiller de recruter Emmanuel Macron, ce charismatique inspecteur des finances alors âgé d’à peine 31 ans. D’après le journaliste Marc Endeweld, en favorisant son entrée chez Rothschild, Serge Weinberg et deux autres personnalités peu connues dans le parcours d’Emmanuel Macron (Jean-Michel Darrois et Xavier Fontanet), vont lui permettre d’accéder au coeur du capitalisme d’Etat à la française, lui ouvrir les réseaux du microcosme économique et politique parisien, mais aussi multiplier ses revenus mensuels par 6 en moyenne, puisqu’il percevra environ 3 millions d’euros au cours des 4 ans qu’il passera à la banque Rothschild&Co.

En 2016, lorsqu’Emmanuel Macron – ministre de l’économie, commence à penser secrètement à fonder un mouvement pour se lancer dans la présidentielle, Serge Weinberg fait partie des rares personnes mises dans la confidence. Puis, au cours de son mandat de chef de l’Etat, alors qu’Emmanuel Macron évite de recevoir trop ostensiblement les PDG du CAC40 à l’Elysée pour ne pas risquer d’alimenter sa réputation de “Président des riches”, Serge Weinberg sera l’un des très rares barons du capitalisme à continuer à y avoir ses entrées. Enfin, en janvier 2020, Emmanuel Macron élèvera Serge Weinberg au rang de “commandeur de la légion d’honneur”.

Aves les témoignages de :

– Sandrine Caristan, Olivier Chambord et Marion Layssac (employés à Sanofi Montpellier, membres du syndicat Sud Chimie)

– Nathalie Coutinet (économiste spécialiste de la santé, enseignante-chercheuse, membre des Economistes Aterrés)

– Marc Endeweld (journaliste à la Tribune et au Monde Diplomatique)

– Véronique Louwagie (Députée de l’Orne, Les Républicains)

– Marine Martin (lanceuse d’alertes de la Dépakine, présidente de l’APESAC)

– Charles-Joseph Oudin (avocat de l’APESAC)

– Jean-Louis Peyren (délégué CGT à Sanofi Sisteron)

– François Ruffin (Député de la Somme, La France insoumise)

– Cathy Soubles (vice-présidente de l’association environementale SEPANSO64)

Pour creuser :

Vidéos

– Cash Investigation : “Quand les actionnaires s’en prennent à nos emplois”, d’Edouard Perrin (France 2, mars 2015)

– Envoyé Spécial : “Dépakine, un silence coupable”, de Nathalie Sapena, Valérie Lucas et Vincent Buchy (France 2, mars 2017)

Livres

– “Dépakine le scandale : je ne pouvais pas me taire”, Marine Martin et Clothilde Cadu (Robert Laffont, 2017)

– “Un député et son collab chez Big Pharma”, François Ruffin et Cyril Pocréaux (Fakir Editions, 2018)

– Sur le lien entre Emmanuel Macron et Serge Weinberg, les trois ouvrages de Marc Endeweld : “L’Ambigu Monsieur Macron” (2015), “Le Grand manipulateur” (2018), “L’Emprise” (2022)

Sites internet

– Association APESAC

– Association SEPANSO64


OFF Investigation assume d’enquêter sur des sujets qui dérangent. Leurs documentaires mettent en images les histoires complexes qui se trament dans les coulisses de la République.

Leur première série, "Emmanuel, un homme d’affaires à l’Élysée", est accessible gratuitement sur off-investigation.fr. Donner l’accès à l’information pour toutes et tous, c’est participer à faire la lumière sur les zones d’ombres de notre démocratie.

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