Nous sommes des paysans de l'Internet : achevez-nous… ou sauvez-nous !
Je lis tous ces commentaires et analyses négatives sur notre passage au payant. Je repense à la conférence gesticulée "Informatique ou Libertés" (@Informatique_ou_libertes@mamot.fr) de Lunar (@lunar@mastodon.potager.org) de ce samedi soir que je suis en train de mettre en ondes pour la N°2 du Pistolet et la Pioche (#LPLP c’est du travail un peu long soit dit en passant). Lunar dit, vers la fin de sa conférence, quelque chose de très intéressant à mon sens : "Il va falloir s'habituer à payer [si on veut avoir une maîtrise du réseau], pour se réemparer d'Internet. Il faut des paysans de l'Internet, qui fabriquent des bouts d'Internet."
Lunar fait une analogie avec les AMAP, et explique très bien que si l'on veut "produire du local", il faut arrêter de laisser les "géants du web" faire ce qu'ils veulent avec nos données, avec notre vie numérique. Il faut donc produire sans eux. Chez Reflets, nous ne pouvons plus continuer à payer de notre poche pour fournir de l'analyse, de l'enquête, de l'info avec les mêmes armes que les pilleurs du net. Si notre travail ne vaut rien, alors il disparaîtra. S'il vaut quelque chose, les gens le rémunéreront à hauteur de 3 euros 6 sous et 60 cents/mois ou 36 euros par an. Parce qu'ils estimeront que ce travail à une valeur plus grande que des commentaires sur Facebook, des tweets, ou des copies de copies d'articles qui circulent en continu sur la toile.
Nous sommes dans une époque où plus rien n'a de valeur : c'est ainsi que les paysans sont payés en dessous du prix de leur production par des hypermarchés, pour que des clients puissent payer "encore moins cher". Si le client veut faire crever les producteurs parce qu'il estime que le plus important est le prix, ou la gratuité, et qu'il ne se sent pas concerné par la difficulté du travail de celui qui lui donne à manger, et bien qu’il le fasse. Mais qu’il ne vienne pas derrière pleurer parce qu’il n’y a presque plus de paysannerie en France, que tout vient de l’étranger, que c’est plein de pesticides, ou que « vraiment, les multinationales, c’est dégueulasse ce qu’elles font aux petits ».
A Reflets, nous sommes des paysans de l’information en ligne. Nous avons « fait la manche » durant 6 ans et produit sans compter, parce que nous pouvions le faire, parce que nous comptions aussi que les lecteurs [clients/consommateurs ?] de nos produits frais soient suffisamment nombreux à comprendre notre démarche pour nous soutenir à la hauteur du modeste budget indiqué. Ils ont été quelques dizaines ou centaines à le faire, mais pas assez nombreux. C’est donc une occasion — un peu historique à notre niveau — pour les lecteurs et auditeurs de Reflets de montrer leur soutien à notre "travail de paysans". Ou pas.
C’est ainsi que le monde avance, et aujourd’hui encore plus qu’hier : avec ceux qui veulent continuer de cautionner le modèle économique en place fait d’une fausse gratuité, de pillage des données et d’adhésion au modèle du matraquage publicitaire, de l’iniquité industrialisée, ou bien avec ceux qui veulent "construire autre chose".
Cet autre chose demande de s’investir… ou d’investir. Nous, nous investissons en travaillant sur ce site pour ouvrir de la réflexion, creuser au delà des apparences, chercher à mieux comprendre les événements, faire apparaître les enfumages, démontrer les technologies/techniques de destruction de ce qu’il reste de la Démocratie (avec un grand D). Vous, lecteurs, vous pouvez investir 3,60€ mensuels… ou pas. C’est purement un choix.
Je suis pour ma part abonné à plusieurs publications. Quand j’ai moins de budget mensuel je peux supprimer ou non un abonnement et en conserver un autre. C’est moi qui décide. Mais je sais, que dans le même temps je claque bien plus pour mon forfait data de téléphonie et mon abonnement Internet domestique. Je paye bien plus pour accéder à l’information que pour l’information elle-même. J’ai accepté ce modèle, et je le cautionne. Mais quand je vois que les 4 grands opérateurs qui détiennent les accès au réseau deviennent aussi fournisseurs « d’information gratuite », je suis inquiet.
Bien à vous.
Drapher, Journaliste, écrivain, et ex-professionnel des « réseaux informatiques »