Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Eric Bouliere

Nombre de doses par flacon : faites vos jeux !

Le vaccin Moderna face au boulier des sénateurs…

5, 6... telle semblait-être la règle avec le vaccin Comirnaty du laboratoire Pfizer-BioNtech. Les jeux continuent avec l'arrivée de la proposition de Moderna: 10, 11... et pourquoi pas 15? Allez banco, 7 pour Pfizer et restons bons amis!

La grande loterie pour de précieuses fioles... - Reflets

Cette affaire de mathématique appliquée passerait presque pour une insignifiante détresse en comparaison du grand malheur que représente le Covid. On peut toutefois y accorder quelque importance au regard des effets induits. Car si à l'heure de grandes manœuvres vaccinatoires nos dirigeants ont le million triomphant en bouche, le millilitre est l'unité qui pose actuellement problème sur le terrain. Au point qu'on s'interroge au Sénat sur ce que contient réellement ce petit bout de flacon estampillé Moderna. Mais le remue-ministre ne s'arrête pas là: branle-bas de combat à la Santé puisqu'une septième dose vient de faire son apparition dans les flacons de chez Pfizer...

En Haute-Saône, on compte Monsieur! - Reflets
En Haute-Saône, on compte Monsieur! - Reflets

En Bourgogne-Franche-Comté, c'est le Sénateur Olivier Rietmann qui a piqué le premier dans le vif du sujet. Alerté par des professionnels de santé Haut-Saônois, il s'interroge aujourd'hui sur l'interdiction formulée par l'agence du médicament d'injecter une potentielle 11e dose alors qu'un flacon de vaccin Moderna en contient officiellement 10. Après s'être tourné vers la Préfète, selon laquelle les instructions de l'ARS doivent en toute logique être suivies, M. Rietmann a saisi le cabinet du ministre de la Santé pour savoir si cette particularité était bien identifiée en haut lieu et si une révision de doctrine était à l'étude. Le 9 février, le cabinet du ministre lui répondait -être lié à la réévaluation par l'agence européenne des médicaments de la condition de l'autorisation de mise sur le marché-. Peu satisfait de l'absurdité de la situation et de l'immobilisme qui en découlait, le sénateur a résumé l'essentiel de son propos dans une question écrite adressée à Olivier Veran.

Dans le Doubs aussi... - Capture écran
Dans le Doubs aussi... - Capture écran

De l'écrit à l'oral

Mais dans l'amphi du Sénat, ce fut Jean-François Longeot, sénateur du Doubs, qui s'empressa lui aussi d'interpeller les autorités avec les mêmes arguments. L'oral est venu appuyer l'écrit: « Alors que la campagne de vaccination cherche à s'accélérer en France, je tiens à vous interroger sur les doses, fantômes, dont notre pays semble se priver. En effet selon de nombreux professionnels de santé, alors que seules 10 doses sont initialement prévues dans les flacons des vaccins Moderna, il serait possible d'en tirer une onzième. On imagine aisément le gaspillage que cela représentera au niveau national et le potentiel non utilisé au profit de cette stratégie de vaccination. Monsieur le ministre, les autorités médicales évoluent dans un cadre et risquent parfois des poursuites si elles utilisent cette onzième dose, quelle réponse pouvez-vous leur apporter face à ce paradoxe insupportable ?»

le bon matériel ferait les bons comptes - Capture écran
le bon matériel ferait les bons comptes - Capture écran

La réponse aux questions des deux sénateurs émanera de Mme Bourguignon, la ministre déléguée chargée de l'Autonomie auprès du ministre de la Santé: « L'autorisation de mise sur le marché du vaccin Moderna prévoit que chaque flacon contient 10 doses, néanmoins afin de s'assurer dans les meilleurs délais qu'il nous soit possible d'exploiter éventuellement une 11e dose, et par anticipation, l'État a mis à disposition des établissements de santé et des centres de vaccination du matériel adapté, pour s'adapter à la récupération de la 11e dose, il s'agit de seringues particulières… ». Un éclairage qui nous renvoie instantanément à une curieuse solution précédemment usitée. Celle-ci concerne le nombre de doses contenues dans un flacon et elle revient aujourd'hui comme un boomerang sur le devant de l'actualité...

Un problème d'approvisionnement ? Une solution
Un problème d'approvisionnement ? Une solution

Le retour du coup de la bubulle ?

Nous voici donc ramené face au problème de la bonne seringue permettant de gratter le fond du fond du pot de vaccin. Nous nous étions en effet déjà étendus sur le fameux « coup de la bubulle » pour évoquer le manque de matériel dans un précédent papier (ici)

A cette époque nous avions constaté que des soignants de bonne volonté s'arrangeaient comme ils le pouvaient avec des seringues pas toujours adaptées et ce, sans davantage pouvoir respecter les préconisations des plus hautes autorités. La parade existait pour ne pas perdre une seule goutte de la dose de vaccin supplémentaire mais la méthode nous avait toutefois paru contraire aux bonnes pratiques infirmières. Puis qui couvrait quoi ? Et surtout quid en cas de problème ? Ce que personne ne souhaite évidemment, et ce qui n'arrivera jamais bien sûr... Preuve en est avec l'épisode du Médiator d'Irène Frachon. Pas pareil s'étrangleront les convaincus, c'était là une toute autre époque.

Aujourd'hui, tout est sous contrôle

Car oui, aujourd'hui rien n'est plus comme avant. Le virus, les chiffres, les départements, les masques, le confinement, tout s'explique très scientifiquement avec le Covid depuis que tout peut s'arranger du jour au lendemain. Un exemple avec les effets indésirables de l'AztraZeneca sur 50 à 70% du personnel de l'hôpital de Périgueux alors que le seuil de tolérance général approximatif est de 10% : il ne s'agirait-là que de soignants récalcitrants ou mal accommodants. Un autre, à propos des recommandations de l'hôpital général du Massachusetts relatant un possible gonflement, sans danger, des glandes mammaires chez certains patients vaccinés avec le vaccin Pfizer et Moderna : probablement des hystériques en mal de mammographie alors que les hôpitaux sont encombrés. Un autre encore s'il le faut : il paraitrait qu'un certain Ignace Semmelweis bassinerait tout le monde avec un lavage de mains à répétition…et pourquoi pas un vaccin chez Pasteur aussi !

Partant de ces principes élémentaires de précautions, pourquoi donc perdre du temps à désinfecter l'opercule des flacons de vaccin avec une compresse imbibée d’alcool pendant 1 minute entière comme le prescrit expressément la notice.

C'est long une minute... - Reflets
C'est long une minute... - Reflets

Il semblerait pourtant que le calme, la sagesse et l'analyse aient parfois du bon dans le domaine médical. Idem en ce qui concerne les lois et les consignes, surtout lorsqu'elles s'ingénient à définir clairement la dose exacte de liquide contenu dans ce tout petit-petit-petit flacon.

Pfizer: qui a dit 7..?

A la lettre... quelqu'un aurait-il un dico? - Reflets
A la lettre... quelqu'un aurait-il un dico? - Reflets

Comme l'indiquaient il y a peu les autorités sanitaires à propos du vaccin Pfizer, il conviendrait donc tout de même de respecter les procédures à la lettre. Fallait-il encore le préciser. Dans ce protocole d'utilisation, on découvrait entre les lignes qu'il était malheureusement : « possible que les seringues fournies par Santé Public France ne soit pas adaptées ». Fallait-il, aussi, préciser cela. Tout comme il devient urgent de statuer définitivement du nombre exact de doses se trouvant concrètement dans ces satanés flacons. Car au fil des mois, ce n'est plus ni 5, ni 6, mais 7 doses que certains praticiens parviendraient à extraire des flacons grâce à des aiguilles adaptées (les fameuses seringues à aiguilles serties et faible volume mort évoquées par la ministre). Mais hélas sur le terrain, et dans le monde entier d'ailleurs, ce matériel manque cruellement.

Interrogé dimanche sur LCi, le docteur Jean Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France, a laissé exploser sa colère en constatant qu'ici ou là on jetait cette nouvelle dose. Il a tout aussi violemment fustigé les directives des ARS que la position du directeur général de la santé: « Mes collègues de Bretagne m'informent qu'ils viennent de balancer cette 7ème dose, alors balançons Salomon, balançons tous ces gens qui sont incapables, cette administration qui dit est-ce que la décision que je vais pouvoir prendre ne va pas se retourner un jour contre moi... J'ai vraiment envie d'aller dézinguer le ministère !!! Qui sont ces gens incapables de s'adapter, incapables de prendre des décisions responsables... ».

Olivier Véran, accompagné de Gérard Darmanin, lui donnera la réplique alors qu'il exécutait sa tournée médiatique dans les centres de vaccination du Pas de Calais: « Il y a une autorisation de mise sur le marché européenne (voir ci dessous) qui prévoit 6 doses par flacon Pfizer et qu'un certain nombre de soignants parviennent, dans un certain nombre de situations, à extraire une 7ème dose, qui n'a pas d'AMM, et donc qui ne fait pas l'objet d'une autorisation spécifique; mais lorsqu'il y a des 7émes injections qui peuvent être faites dans de bonnes conditions de sécurité, je n'ai pas entendu parler de démarches des autorités sanitaires à leur encontre ». Nul doute que le diagnostique du ministre de la Santé est assurément le bon : bien écouter pour mieux entendre...

Il serait grand temps pour tous de lâcher la couture pour mettre le doigt sur l'essentiel.

L'AMM en question

Avant de nous infiltrer les veines, en l'occurrence le muscle puisqu'il s'agit ici d'une piqure intramusculaire, chaque vaccin doit bénéficier d'une autorisation de mise sur le marché (AMM). Dans le cadre du Covid, celle-ci est dite –conditionnelle-, car spécifiquement conçue pour autoriser la conformité du produit le plus rapidement possible. Pour l'Europe, cette AMM doit-être étayée par l'agence européenne des médicaments (EMA) et suivie d'un avis favorable de la Commission européenne qui reste juridiquement responsable de cette mise sur le marché. Avant de se prononcer, la Commission consulte les États membres en vu de recueillir le consentement de la majorité d'entre eux. En France, l'agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) conserve un œil sur tout cela. Elle se doit d'évaluer régulièrement la sécurité d'emploi, l'efficacité ou la qualité des médicaments, la surveillance des évènements indésirables liés à l'utilisation et/ou au mauvais usage des produits de santé.

Alors tout va bien !

Sur le papier la procédure semble donc longue, précise et factuelle. Mais toutes ces belles dispositions législatives résistent-elles encore à la réalité d'un quotidien placé sous l'égide de l'affolement et de l'improvisation ?

Oui, mais encore...? - Reflets
Oui, mais encore...? - Reflets

En ce qui concerne la législation afférente au conditionnement des solutions de type multidose, le site médical Vidal ne s'embarrasse guère de précisions : « Les règles imposées par les autorités de régulation exigent qu'un flacon multidose contienne un peu plus de solution injectable que le nombre de doses indiqué sur l'étiquette. En effet, l'industriel doit prévoir les quantités qui resteront adhérentes aux parois du flacon, plus celles se trouvant dans l'espace mort de la seringue et de l'aiguille une fois l'injection faite. Il est donc nécessaire de prévoir large pour garantir le nombre total de doses prévu».

Nécessaire de prévoir large

On pourrait donc pomper autant de fois qu'on le souhaite le précieux liquide dans ce genre de contenant? L'Agence américaine du médicament, la FDA, répond à sa façon à cette question en précisant : « Qu'une mauvaise utilisation des flacons injectables, y compris des techniques de manipulation et d'injection dangereuses, a entraîné une contamination des flacons et un risque accru de transmission de maladies transmissibles par le sang entre les patients, par les consommateurs et les prestataires de soins de santé. La FDA a été préoccupée par ces questions et publie ce guide pour clarifier ses exigences et recommandations réglementaires ». On y apprend incidemment que le septum (opercule caoutchouté assurant l'étanchéité du flacon) n'est pas à considérer comme une cible de fléchettes et qu'il s'avère souhaitable d'en minimiser la perforation à multiples coups de seringues.

Pour autant, on ajoute dans ce rapport que les instances ne seraient concernées qu'à partir du moment où le volume excédentaire dans un flacon est supérieur ou inférieur à la quantité recommandée sans justification appropriée. Cette mystérieuse justification officiellement posée, qu'en serait-il alors...? D'autant que les éventuelles directives ne seraient à priori pas fatalement contraignantes. Alors 5, 6, 10, 11…. de quoi tout ceci pourrait-il bien dépendre ?

Du vaccin, du vaccin... et le pognon alors !

C'est ici que la mathématique moderne retrouve toute la rigueur qu'on lui connait. On cadre mieux les opérations dès qu'il s'agit de compter l'argent dans sa grande poche plutôt que le nombre effectif de vaccins dans une petite fiole. Étonnement, le surplus de liquide à valeur négligeable au jour d'avant devient curieusement un bien providentiel au jour d'après. C'est ainsi qu'en passant de 5 à 6 doses, Pfizer aura bénéficié d'une manne financière aussi conséquente qu'inattendue. Sachant que 600 millions de doses avaient été commandées par l'Europe, ce n'était plus 120 Millions de flacons (120X5) qu'il s'agissait de livrer, mais seulement 100 millions (100X6). A environ 12 € le vaccin, c'est donc une rentrée de près de 1,5 milliard d'euros que Pfizer s'est empressé de récupérer en conservant les 20 millions de flacons en débord. Étant entendu que l'envie de réviser le tarif du vaccin à la baisse n'est jamais venue à l'esprit de ces bienfaiteurs de l'humanité. Imaginez si demain l'AMM autorisait cette énième dose supplémentaire...

Moderna: qui a dit 15...?

Et que va t-il donc advenir avec les flacons de Moderna dans lesquels nos valeureux sénateurs viennent de découvrir un onzième volume caché? Le Labo américain s'est d'ores et déjà déclaré fin prêt à augmenter la capacité de ses flacons de 50% afin, bien sûr, d'accélérer les campagnes de vaccination. L'AFP rapporte à ce titre: «afin d'optimiser les ressources et les opportunités de livrer plus de doses plus rapidement sur chaque marché, Moderna a proposé de remplir ses flacons avec 15 doses de vaccin, en comparaison des 10 d'avant ». Résumons-nous….belote, rebelote et dix de der, cela nous ferait donc 16, 17 ou 18 doses par flacon en vertu de la réglementaire nécessité "de prévoir large pour garantir le nombre total de doses prévu". Mais d'ici-là, les choses auront peut-être encore changé...

Pour l'heure, et à l'instar de ce qui s'est passé avec Pfizer, on peut se risquer à estimer le gain issu de cette onzième dose. En se basant sur un prix unitaire de 18 € (tarif confirmé par Stéphane Bancel, Le PDG français de l'entreprise américaine Moderna) et pour une commande originelle de 160 millions de doses commandées pour l'Europe, Moderna récupérerait lui aussi une potion magique d'environ 288 millions d'euros. Pas rien.

Voyez donc comme les petites rivières se transforment en grand fleuve dès qu'il s'agit de calibrer très officiellement ce qu'il est préférable de compter officieusement. Décidément, cet imbroglio de doses de vaccin mériterait qu'on s'y attarde dans les couloirs dorés du Sénat…

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