Journal d'investigation en ligne
par Antoine Champagne - kitetoa

Nicolas Sarkozy : le procès libyen

L’ancien président face aux juges : quelle indignité !

La justice reproche à celui qui voulait « nettoyer la racaille au Kârcher » d'avoir noué un « pacte de corruption »avec l'ex-dictateur libyen Kadhafi pour financer sa campagne de 2007. Avec le détournement de fonds publics libyens et l'association de malfaiteurs qui y sont associés, la peine encourue est de 10 ans d’emprisonnement. Du jamais vu pour un ancien président français. Le procès s’ouvre aujourd’hui et durera jusqu’en avril.

Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi

Ils sont treize. Non pas à table, mais renvoyés devant les juges dans le cadre de l’affaire libyenne. Après dix années d’enquête, la justice va se pencher sur un soupçon de financement illégal de la campagne présidentielle de 2007 de Nicolas Sarkozy. Plusieurs responsables actifs durant la campagne présidentielle, trois sont d’anciens ministres, auraient participé à un « pacte corruptif » ayant abouti à des versements de plusieurs millions d’euros pour financer l’élection du candidat Sarkozy.

À ses côtés, comparaissent les anciens ministres Claude Guéant, Éric Woerth, Brice Hortefeux ainsi que son ancien conseiller Thierry Gaubert. Les « intermédiaires » Alexandre Djouhri et Ziad Takieddine sont également poursuivis. Côté libyen, sont appelés devant le tribunal l’ancien chef des services secrets, beau-frère de Kadhafi, Béchir Saleh, ancien patron du « Libyan African Investment Portfolio », le fonds souverain libyen. Sont également poursuivis Khaled Bughsan, Ahmed Bughsan, Wahib Nacer, Sivajothi Muthia Rajendram et Édouard Ullmo. Tous sous présumés innocents à ce stade.

Claude Guéant est poursuivi pour des chefs d’usage de faux, blanchiment de fraude fiscale en bande organisée, trafic d’influence passif, corruption passive, blanchiment de corruption passive et de trafic d’influence passif en bande organisée, complicité de corruption passive, complicité de financement illégal de campagne électorale, recel de corruption passive et association de malfaiteurs en vue de commettre une infraction punie de 10 ans d’emprisonnement.

Éric Woerth, du chef de complicité de financement illégal de campagne électorale. Il risque un an de prison.

Brice Hortefeux est poursuivi pour association de malfaiteurs en vue de commettre une infraction punie de 10 ans d’emprisonnement et complicité de financement illégal de campagne électorale.

Thierry Gaubert est prévenu du chef d’association de malfaiteurs en vue de commettre une infraction punie de 10 ans d’emprisonnement.

En 2011, la justice se penche sur cette affaire de financement. Elle souhaite comprendre d’où viennent les 1,5 millions d’euros en liquide avec lesquels Ziad Takieddine est arrêté à son retour de Libye. Par ailleurs, le mars 2011, une agence de presse libyenne annonce que le régime libyen révèlerait bientôt un « secret de nature à mettre en péril la carrière politique du chef de l’Etat français ». De leur côté, dans deux interviews, Saïf Al Islam Kadhafi et Mouammar Kadhafi déclaraient le même mois que le régime libyen aurait financé la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. Mediapart publiait pour sa part une note issue des services secrets libyens qui mentionne un accord de Mouammar Kadhafi pour financer la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy à hauteur de 50 millions d’euros. Enfin, Ziad Takkiedine avait indiqué devant le juge d’instruction dans le cadre de l’affaire Karachi, un financement de la campagne présidentielle de 2007 à hauteur de 50 millions d’euros par le régime libyen.

En janvier 2013, le parquet de Paris ouvrait une enquête préliminaire des chefs de corruption, abus de biens sociaux et blanchiment, dans le cadre de soupçons de financement par la Libye de personnalités politiques françaises. Le début d’une longue saga judiciaire, l’ancien président ayant tout tenté pour ralentir l’arrivée du procès.

Reconstitution de ligue dissoute

La salle d'audience est la plus vaste du palais pour recevoir ce procès hors-normes. - © Reflets
La salle d'audience est la plus vaste du palais pour recevoir ce procès hors-normes. - © Reflets

Nicolas Sarkozy n'avait plus le droit de parler à ses collaborateurs en vertu des contrôles judiciaires. Cette fois, ils sont assis côte à côte sur les strapontins réservés aux prévenus. Nicolas Sarkozy, à l'extrême-gauche -une fois n'est pas coutume - puis Eric Woerth, suivi de Brice Hortefeux et enfin de Claude Guéant, le plus proche des membres du tribunal.

Avant le début de l'audience, ils ont pu se reparler officiellement. Nicolas Sarkozy a échangé plus longuement avec Brice Hortefeux. En dépit de sourires appuyés en direction de la salle, avant que les débats ne commencent, Nicolas Sarkozy cache mal une tension intérieure qui se manifeste par des tics nerveux.

Une véritable cohorte d'avocats se presse derrière eux et la place qui leur est réservée ne suffit pas. Plusieurs doivent s'assoir dans la partie réservée au public. A gauche, environ 80 journalistes ont déployé carnets, ordinateurs et téléphones. Reflets a tenu un long livepost sur Bluesky.

La première journée a permis de vérifier quels prévenus étaient présents et leur faire décliner leurs identités. Alexandre Djhouri est dans la salle. Égal à lui-même, il lance à une connaissance : « Alors ? À l'attaque ? », sa manière à lui de saluer ses amis. Ziad Takieddine, en fuite depuis sa condamnation dans l'affaire Karachi est, lui, absent. Thierry Gaubert se tient pour sa part en retrait, boudé par les autres prévenus.

Ensuite est venu le temps des questions techniques juridiques comme les questions prioritaires de constitutionnalité. Le tribunal se retire pour délibérer pendant une heure et demie, ce qui permet à tout le monde de déjeuner et de trainer dans les couloirs ou la salle des pas perdus comme Éric Woerth, en grande discussion avec son avocat, lui.-même soudain interpellé par des étudiantes.

Éric Woerth et son avocat - © Reflets
Éric Woerth et son avocat - © Reflets

D'autres questions de droit sont posées. Selon Brise Hortefeux et Nicolas Sarkozy, le tribunal serait incompétent et ils devraient êtres jugés par la Cour de justice, seule habilitée à leurs yeux à traiter des actes effectués au temps où ils étaient ministres ou président.

Les échanges entre Maître Darrois (pour Nicolas Sarkozy) et le parquet sont tendus. Le premier sous-entend que « le parquet et des juges d'instruction considèrent peut-être que Nicolas Sarkozy est leur domaine réservé... ». Le ministère public conteste ces affirmations ce qui déclenche un rire appuyé de Nicolas Sarkozy qui n'apprécie visiblement toujours pas ceux qu'il appelait « les petits pois ».

Un peu agacé, le parquet a rappelé que Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux avaient eu beau contester la compétence du tribunal pendant l'instruction, ces demandes avaient déjà été définitivement rejetées. Par ailleurs, la chambre de l'instruction avait expliqué qu'en recherchant un financement pour une campagne présidentielle, l'un sortait de facto de sa mission ministérielle au profit d'une démarche personnelle, a rappelé le ministère public. De même, sur la supposée irresponsabilité pénale du président de la République, le parquet a souligné que les faits reprochés n'ont pas pour finalité de défendre l'intérêt général ni celui de la France.

Ces sujets seront tranchés plus tard, l'audience reprenant mercredi à 13h30. Ce n'est que le tout début d'un procès fleuve qui durera théoriquement jusqu'au 10 avril...

Le rôle incontournable de la presse indépendante

Le slogan de Mediapart « Sans Mediapart vous ne l'auriez pas su » est dans ce cas particulier très pertinent. Le dossier du financement libyen de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy en 2007 a été rendu possible par les nombreuses révélations de Mediapart. Le sous-dossier Amesys qui fait partie de l'accord avec Kadhafi n'aurait pas non plus connu les mêmes développements sans les révélations de Reflets. Dans un monde chaque jour plus complexe, où les resposables politiques et économiques s'estiment bien souvent au dessus de la loi applicable au reste de la population, le soutien des citoyens à la presse indépendante est essentiel. Abonnez-vous à Reflets et aux autres médias indépendants.

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