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par Jet Lambda

Não vai ter Copa !

"La Coupe n'aura pas lieu !" C'est le slogan phare des manifestations qui perturbent les préparatifs de la coupe du monde de foot qui se déroule au Brésil à partir de jeudi prochain. Depuis quelques jours, c'est même une ambiance de grève générale qui s'est répandu dans le pays — ici à Porto Alegre, là à Sao Paulo, où mercredi 20.000 personnes ont marché vers le stade de l’Itaquerão, 7 jours avant le match d'ouverture (image ci-dessous).

"La Coupe n'aura pas lieu !"

C'est le slogan phare des manifestations qui perturbent les préparatifs de la coupe du monde de foot qui se déroule au Brésil à partir de jeudi prochain. Depuis quelques jours, c'est même une ambiance de grève générale qui s'est répandu dans le pays — ici à Porto Alegre, là à Sao Paulo, où mercredi 20.000 personnes ont marché vers le stade de l’Itaquerão, 7 jours avant le match d'ouverture (image ci-dessous).

[mise à jour 25 juin : voir en live les dessous de ce qui se passe au Brésil sur ninja.oximity.com]

Qui sont donc ces irresponsables gauchistes qui vont gâcher la fête, au pays des magiciens du futebol ? J'ai cru lire récemment à quel point les Brésiliens ne sont pas si obsédés par cet événement.

(crédit photo: Midia Ninja - midianinja.tumblr.com)

En gros, plus d'une personne sur deux — 61%, énorme quand même au Brésil — se déclare "contre la Copa", et regrette finalement que le pays dépense des milliards pour les beaux yeux de la très mafieuse FIFA sans améliorer la vie des plus démunis.

L'ancien footeux français Michel Platini, qui rêve un jour de piquer son siège au parrain de la FIFA Sepp Blatter — pour qui cela ne va pas fort du tout, depuis l'affaire de la corruption du Qatar — n'a pas mangé ses mots le 24 avril, lorsqu'il a réclamé de la part des Brésiliens d'attendre un peu… "avant de faire des éclats un peu sociaux" (sic). Bon, ok, il est pas très finot le Platoche, mais impossible de conclure pour autant que cette petite phrase n'a pas été calculée. Pour être patron du foot mondial, il faut afficher une certaine dose d'arrogance et de paternalisme néocolonial.

C'est exactement la prière que tous les dirigeants brésiliens font tous les soirs avant de cauchemarder: pitié, arrêtez les manifs et les grèves pendant le Mundial!

En compilant les données et les documents disponibles, la manière dont les autorités répriment les manifestations et la révolte sociale qui ébranlent aujourd'hui les principales métropoles, est réellement flippant. Certes, cette révolte couve depuis longtemps au Brésil, et elle s'est calmée depuis 2002 et l'arrivée au pouvoir du président Lula, du Parti "travailliste" (PT) — mais elle rejaillit à la faveur de cet événement. Cette coupe de la FIFA est l'opération la plus médiatisée au monde, pourquoi des millions de sans droits ne s'en serviraient pas pour mieux faire connaitre leur cause?

La vérité, c'est que depuis que le Brésil sait qu'il va organiser, coup sur coup, la Coupe du monde et les JO (en 2016), les vieux réflexes de la terrorisation sociale ont repris le dessus — ironie de l'histoire, 2014 marque le 50ème anniversaire du coup d'état du maréchal Branco (31 mars 1964), qui allait enfermer le Brésil dans une dictature de fer pendant 22 ans.

Les premiers mouvements anti-Coupe ont débuté réellement en juin 2013, lorsque le Brésil organisait déjà une sorte de répétition générale (la Coupe des confédérations). A l'origine, une réelle exaspération sociale, dont l'étincelle fut l'augmentation du prix des transports publics, d'abord à Porto Alegre en mars, puis à Rio et ailleurs dans la foulée. Le coût mensuel des transports en ville peut représenter jusqu'à 20% du salaire minimum. Ce qui donnera le mouvement social le plus important depuis 1992.

Lors de chaque rassemblement, les flics se lâchent et font des dizaines de blessés. Pour en connaitre l'ampleur réelle, il faut souligner l'existence d'un réseau de presse indépendant, les "Midia Ninja", qui font un travail énorme pour contrer la presse complice et relater les révoltes de l'intérieur.

A cette révolte sociale se rajoute la misère humaine des opérations de gentrification, qui vise à expulser les populations les plus précaires de leurs bidonville (pour faire plus joli on dit "favela") pour convertir des zones urbaines à la grande machine à cash de la FIFA. Une coalition d'opposants de tout le pays, l'ANCOP, estime à 250.000 les personnes déplacées de force par l'urbanisation liée — ou prétendue telle — à la Coupe et aux JO.

Le nettoyage des favelas va donc de pair avec la répression des manifestations anti-coupe. A Rio, depuis 2008, les flics anti-émeute ont pris le joli nom d'UPP, les "Unités de police pacificatrices".  Le mot est bien choisi, il provient des stratégies contre-insurrectionnelles de l'armée française, testées en Indochine et en Algérie et exportées avec succès auprès des juntes sud-américaines, formées et soutenues par les USA dans les années 60 et 70. Les UPP, en prétextant de devoir lutter contre les mafias et les trafics de drogue, ont multiplié les bavures et les exactions. Dans les autres métropoles, c'est une sainte alliance police/armée qui fait la loi: la police militaire (PM) et la Garde civile métropolitaine (GCM).

Les manifs sont donc plutôt sanglantes… Dixit un papier publié sur le site Affaires stratégiques :

Mais que les touristes et la FIFA dorment tranquilles. Le gouvernement de Dilma Roussef et ses ministres sont en train de mettre en place un programme anti-manifestation capable de faire rougir Vladimir Poutine. Les policiers seront autorisés, comme s’ils en avaient besoin, à agir avec violence face à la violence. Le Parti des Travailleurs qui, pendant des années, a été à l’avant-garde de la grande majorité des manifestations et a élu une présidente victime de la torture, essaye, aujourd’hui, de concilier préservation de l’ordre et répression des manifestants. Les forces armées, dont personne au Brésil n’ignore la tradition de torture et de répression, seront sur appel durant toute la durée de la Coupe du Monde, si jamais la société en a besoin, si jamais la violence des polices militaires n’est pas assez pour contenir les manifestants.

Il faut dire que les statistiques des violences policières au Brésil sont déjà assez flippantes. En 2012, près de 1900 personnes ont trouvé la mort suite à une "action policière". Soit à peu près 5 par jour (source officielle, nov. 2013 — confirmant une estimation d'Amnesty International trois mois plus tôt). Une autre stat trouvée ici estime que la police de Rio est championne du monde… du meurtre de suspects: une personne arrêtée sur 229 fini à la morgue; aux USA, ce taux morbide est de 1 pour 31.575…

La question des "personnes disparues" est des plus préoccupantes. Des statistiques officielles, que le réseau Ninja a mis en avant fin avril, le sont d'autant plus qu'elles ne concernent que l’État de Rio de Janeiro (sur 27 régions au total dans le pays). Selon cette enquête parue en février, qui se base sur les chiffres de l'Institut de sécurité publique (ISP) de la région, 6.034 disparitions ont été signalées sur une période de seulement 12 mois (nov 2012 - oct 2013) — soir 16 cas par jour. Sur une plus longue période, 6 ans (2007-2013), l'ISP estime qu'il y a eu au moins 40.000 disparitions. Le cas d'Amarildo de Souza, un maçon de 33 ans "disparu" en juillet 2013 après son arrestation, est devenu un cas emblématique, car trois mois plus tard on apprenait qu'il était mort après avoir été torturé par les robocops de la sécurité brésilienne. Ce qui vaut — fait plutôt rare — à une douzaine de policiers d'attendre à l'ombre leur (éventuel) procès.

La comparaison qui suit devrait réveiller de vieux démons: pendant la dictature, le nombre de "disparus" est toujours estimé à environ 10.000. "A peine", oserait-on dire. En 22 ans de régime militaire.

Les injustices provoquées par la répression policière peuvent déclencher d'autres émeutes, qui seront à leur tour écrasées dans le sang et les larmes. Dernier exemple en date, la mort, le 25 avril de Douglas Rafael da Silva Pereira, un danseur de 25 ans, connu sous le surnom de DG, originaire de la favela Pavao-Pavaozinho qui surplombe Copacabana. La version officielle indique qu'il a été tué par les forces de l'ordre après avoir été "confondu avec un trafiquant de drogue"…

Le jeune homme, qui bénéficiait d'une grande popularité dans son quartier, avait tourné un court-métrage l'an dernier dont la trame retentit comme un terrible tir de sommation. Il y jouait le rôle d'un gamin des favelas qui adore le foot et qui cherchait à percer à l'occasion de la Copa. Et à la fin du film, son personnage  meurt, assassiné par la police des favelas — la même qui lui enlèvera la vie — la vraie —, quelques temps plus tard. Le film s'appelle Made in Brazil.

_ NB. — _ Les images magnifiques publiées sur ce blog proviennent du blog photos du réseau Midia Ninja; se reporter aussi à sa page facebook, età son fil d'infos en continu.

Papier inspiré d'une enquête parue dans le n°16 de ZELIUM, sorti à la mi-juin: lire la version en ligne et rendez-vous ici pour soutenir le journal (distribué en bars et en librairie).

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