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Entretien
par Antoine Champagne - kitetoa

Mon espoir ? Une vie normale pour mon fils

John Shipton, le père de Julian Assange, appelle à la mobilisation

De passage à Paris, le père de Julian Assange a évoqué avec nous la situation de son fils alors qu'à Londres, les auditions se poursuivent pour décider s'il sera extradé ou non vers les Etats-Unis. Poursuivi pour espionnage outre-Atlantique, Julian Assange risque près de 200 ans de prison.

John Shipton, père de Julian Assange à Paris le 4 mars 2020 - © Reflets

La personnalité de Julian Assange est un sujet de discussion pour nombre de personnes. On peut regretter certaines de ses actions, une partie du caractère qui fait l'homme, ou le voir comme un héros des temps modernes. Au delà de ces opinions, il reste un homme affaibli, persécuté par l'État le plus puissant de la planète pour avoir publié avec les plus grands journaux du monde, des documents essentiels pour la bonne information du public. Publier des informations et porter à la connaissance du public des fait d’intérêt général n'est pas un crime, encore moins de l'espionnage, ce dont l'accusent les États-Unis. C'est du journalisme.

Comment est-ce que Julian supporte la situation ?

Il est très déprimé, sous médicaments. Mais il y a des points positifs. Après trois pétitions des codétenus, il a été transféré dans un lieu moins dur.

Dans quel état d’esprit est-il ? Il y a peut-être la satisfaction d’être sorti de l’ambassade après tant de temps mais sans doute aussi la peur d’être extradé aux États-Unis ?

Il y a une anxiété constante. La détermination des États-Unis à mépriser les droits humains est inquiétante. Les États-Unis font leur propre loi. Je vais vous donner un exemple, Julian est dans une cage de verre. C’est un choix vindicatif. Nous avons demandé à ce qu’il puisse suivre le procès sans être dans cette cage, qu’il puisse communiquer librement avec ses avocats. La juge Vanessa Baraitser (1) a refusé sans donner de motif… Craig Murray a écrit un article très intéressant sur ce point.

James Lewis, avocat de l’administration américaine, a expliqué que Julian Assange devait avoir droit à un procès équitable. Est-ce que c’est le cas ?

Nous sommes dans une procédure britannique de « hearing », pas dans un procès proprement dit. L’avocat américain faisait donc référence à un procès aux États-Unis, c’est un mensonge de plus.

Quoi que l’on puisse penser de Julian en tant que personne, il a fait un travail journalistique avec Wikileaks, portant à la connaissance du public des fait d’intérêt général. A ce titre, la demande d’extradition des États-Unis et leur volonté de le poursuivre pour espionnage sont inacceptables. Êtes-vous satisfait par l’implication de Reporters sans frontières dans cette affaire ?

Il y a un support international qui se met en place qui est fantastique. Des associations internationales, comme RSF, des villes, des groupes politiques transpartisans en en Europe, en Allemagne, en Australie, des anciens ministres se mobilisent… En France il y a une grande vigueur du mouvement de soutien mais c’est encore un peu désorganisé. Le 1er avril on sera en Espagne pour organiser le mouvement.

Pourquoi les États-Unis ne s’attaquent-ils pas avec la même force aux journaux dans lesquels les informations de Wikileaks ont été publiées ?

On ne sait pas pourquoi. Parmi les hypothèses, il y a la publication de Vault7 mais les poursuites judiciaires ont commencé il y a dix ans et cette publication est plus récente. Il y aussi la possibilité d’une envie de poursuivre avec la plus grande violence une personne, pour faire un exemple et effrayer les autres. Vous savez, pour la publication des câbles, ils ont été publiés avant par d’autres, comme Cryptome, un journaliste allemand a donné le mot de passe pour l’archive dans un livre…

Est-ce que vous pensez que les médias qui ont beaucoup bénéficié des informations fournies par Wikileaks sont suffisamment présents à ses côtés ?

Le soutien va croissant. Le New York Times, le Guardian, le Telegraph écrivent sur le sujet. Mais ce qu’il faudrait c’est que toute la presse fasse contrepoids face aux gouvernements. Cette menace d’extradition est un sujet qui les concerne aussi. Se rassembler les protègerait.

Est-ce que vous avez de l’aide de la part de l’Australie ? La Suisse a offert d’attribuer un visa humanitaire à Julian. Avez-vous des informations sur les actions entreprises par la Suisse vis-à-vis des autorités britanniques ?

Il y a des soutiens épars en Australie. Ce qui nous manque, c’est un soutien diplomatique de la part de l’Australie. Mais le public est à ses côtés. Il y a eu un vote de soutien du Parlement autrichien, le vote en Suisse. Tout cela est très encourageant.

John Shipton, père de Julian Assange à Paris le 4 mars 2020 - © Reflets
John Shipton, père de Julian Assange à Paris le 4 mars 2020 - © Reflets

Quel est le calendrier judiciaire ?

Le résultat du hearing est prévu probablement pour juin. Si cela ne va pas dans le bon sens, il y aura un appel, la cour suprême, la cour européenne…

Quelles sont vos peurs et vos espoirs ?

Ma peur, c’est évidemment que ces persécutions se poursuivent jusqu’à ce qu’il soit détruit. Mon espoir ? Une vie normale pour mon fils. Aller à Genève, retourner en Australie, le voir intervenir à la Sorbonne, que sais-je ? Une vie normale de monsieur tout-le-monde…

Est-ce que cela en valait la peine ? Devrions-nous arrêter de faire du journalisme ?

Il n’y a qu’une chose importante à la fin : se battre. Modestement, mais se battre. « La guerre est mère de toutes choses » a dit Héraclite. C’est une bataille intérieure bien sûr. La diffusion d’information, c’est important. Regardez les documents sur l’Afghanistan, cela a changé le cours de l’Histoire. Cela a modifié la politique d’un empire. C’est un mélange de plusieurs éléments, l’existence d’Internet, la diffusion des câbles, la possibilité de pouvoir rechercher dans les fichiers, les évaluer…

Quelle est la question, que je ne vous ai pas posée et que j’aurais dû vous poser ?

Nous sommes à Paris et vous ne m’avez pas parlé d’amour ! L’amour, il n’y a que l’amour qui donne la force et la détermination de se battre.


(1) La juge qui préside les auditions visant à déterminer si Julian Assange doit être extradé ou pas est également la juge qui a statué sur l'extradition vers la France d'Alexandre Djouhri.

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