Militants, lobbying, think tanks : les cartes rebattues
Quelque 29,41% de lobbyistes à l'Intérieur... (V)
Peu de militants, plus de lobbyistes et de conseillers passés par des think tanks : la cuvée 2017-2022 des cabinets ministériels a ses particularités. Passage en revue.
Où sont les militants ? Plus dans les cabinets ministériels, a priori. Et d’ailleurs, sous cette majorité, on ne parle même plus de militants, mais d’adhérents à la République en Marche. Une nuance qui se traduit par seulement 5,81 % de membres des cabinets qui se sont effectivement investis, à un moment ou un autre, au sein de LREM. Quelque 24 des 44 ministères n’ont même aucun membre passé par le mouvement LREM. Avec un parti créé de toutes pièces pour soutenir la candidature d’Emmanuel Macron, c’est finalement assez logique. La politologue Delphine Dulong note une évolution depuis les débuts de la Ve République : « la plupart des ministres arrivaient avec leurs militants. Mais on a assisté à une évolution progressive, le milieu devenant plus professionnel que militant. Aujourd’hui, on reste en moyenne trois ans dans un cabinet ministériel, d’une part parce que c’est usant, d’autre part pour l’utilité que ce passage confère dans une carrière professionnelle. »
Seulement 5,81 % de membres des cabinets qui se sont effectivement investis, à un moment ou un autre, au sein de LREM
Lecture des graphiques :
Le Gouvernement est constitué de ministères de plein exercice, sous lesquels se trouvent des ministères délégués et des secrétariats d’État. Retrouvez la liste des ministères à ce lien. Dans chaque graphique présenté vous repérerez les catégories suivantes : • Ministères de plein exercice en gras (blanc et bleu) • Ministères régaliens en bleu • MD = Ministère délégué • SE = Secrétariat d’État Les ministères qui n'apparaissent pas dans les graphiques ne contiennent aucun membre ayant soit participé au mouvement LREM, soit été lobbyiste, soit travaillé pour un think tank.
Des ministères plus politiques que d'autres
Pour Arnaud Bontemps, porte-parole du collectif de hauts-fonctionnaires Nos services publics, certains secrétariats d’État sont plus politiques que d’autres, et cela se traduit par une proportion plus forte de membres politisés En Marche. « Du côté de Marlène Schiappa, Jean-Baptiste Djebbari, Sarah El Haïri et même Marc Fesneau aux relations avec le parlement, vous trouverez certainement plus de militants et moins d’énarques. »Bingo, il y a bien une proportion plus forte de militants, et plus de personnes aux profils variés, provenant du privé. Même sentiment du côté du politologue Jean-Michel Eymeri-Douzans, qui ajoute cette analyse tirée de ses observations des précédentes mandatures : « les plus grands ministères régaliens vont avant tout chercher des compétences techniques, voire technocratiques plutôt que l’engagement politique partisan. C’est une constante que j’ai pu observer durant ma thèse de doctorat_ Les gardiens de l’État. Les grands ministères ne se soucient que de prendre les meilleurs. » Pour sa consœur Delphine Dulong, « les purs militants deviennent une minorité car dans un cabinet, on négocie avec l’administration, on rédige des projets de loi et on fait du réseau. Cela suppose des compétences particulières qui ne sont pas des compétences politiques. »
Le plus surprenant est sans aucun doute le ministère de l’Intérieur, qui réunit 29,41 % de lobbyistes dans ses rangs
Deux fois plus de lobbyistes
Ils sont deux fois plus nombreux que les militants LREM : 13,5% des membres de cabinets ministériels sont un jour ou l’autre de leur carrière, passés par un poste de lobbyiste. Le plus surprenant est sans aucun doute le ministère de l’Intérieur, qui réunit 29,41% de lobbyistes dans ses rangs. Parmi les noms les plus connus : Havas, APCO, Edelman, Image Sept, Vae Solis ou Séance publique… mais aussi des lobbyistes issus du Medef.
En 2018, une précédente étude réalisée par nos soins sous le Gouvernement d’Edouard Philippe recensait 14,42% de lobbyistes, avec une palme remise au ministère du Travail de l’époque, qui cumulait 4 ex-lobbyistes et 2 ex du Medef en charge des « relations sociales », pour 9 membres de cabinet (les effectifs étaient réduits sous ce Gouvernement). Le ménage semble avoir été fait dans certains ministères, dont celui-ci, qui n’en recense plus que 3 sur les 18 membres qui composent désormais le cabinet, et plus personne en provenance du Medef.
Quelques passages par les think tanks qui comptent
Enfin, 23 membres de cabinets ont travaillé ou mené des projets au sein de think tanks, parmi lesquels Terra Nova, plutôt classée de centre gauche et progressiste, l’institut Montaigne, à l’orientation libérale, tout comme la fondation Concorde qui séduit plus la droite modérée. Dans l’ensemble, la tonalité de ces passages est plus libérale, sans que les effectifs passés par des think tanks permettent réellement de tirer des conclusions.
Au sujet des membres de cabinets passés soit par des cabinets de lobbying, soit par des think tanks, Jean-Michel Eymeri-Douzans émet une hypothèse : « la filière militante est devenue faible. Mettez-vous à la place de ces personnes qui souhaitent travailler en cabinet, comment se rendre visible si cela ne passe plus par les partis ? » Mais surtout, le politologue revient sur un point passé inaperçu en scrutant les CV de tout ce monde : « ce sont les clubs. Il existe un véritable réseau qui fonctionne pour la sociabilité, bien plus efficace que Linkedin et qui permet de décrocher une place au sein d’un ministère. Le jeu, c’est d’avoir le bon lien avec la bonne personne, pour que l’on soit recommandé auprès du directeur de cabinet lorsqu’il constitue son équipe. » Et cela provient d’une alchimie bien dosée, comprenant à la fois la fréquentation des « bonnes écoles », des bonnes soirées voire… d’être bien né, au bon endroit.