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par Clément Detry

Mexique : vers une répression massive des polices communautaires ?

Dans la région mexicaine historiquement ingouvernable et couverte de cultures de pavot du Guerrero, tout le monde possède des armes. Et nombreux sont celles et ceux qui s’en servent : polices communautaires légales, milices d’autodéfense illégales, narco-trafiquants et militaires en grand nombre.

En 2017, Reflets écrivait que la région se trouvait au bord de la guerre civile. D’où l’intention affichée par le gouvernement régional de désarmer toutes les polices communautaires, milices d’autodéfenses et autres forces légales ou illégales assurant le maintien de l’ordre indépendamment de l’Etat dans la région. Mais la répression gouvernementale, dès le début de l’année 2018, s’avère plus que jamais asymétrique; en dépit de la paix fragile subsistant entre ces milices.

La police communautaire chassée d’Acapulco

Le 7 janvier, la police du gouvernement régional a neutralisé par la force les membres de la Coordination des autorités et polices communautaires (CRAC-PC) en périphérie rurale de la cité balnéaire d’Acapulco, sur un territoire reconnaissant légalement la juridiction de cette police non étatique. Le gouvernement d’Hector Astudillo Flores a décrété l’intervention en réaction à un affrontement entre policiers communautaires et civils armés qui avait fait 8 morts à l’aube. A peine arrivés sur les lieux, les officiers en charge de l’opération ont coupé court au dialogue et tenu la CRAC-PC pour responsable de la tragédie.

Quelque 38 agents et sympathisants civils de la police communautaire ont été arrêtés sans mandat après avoir été brutalisés voire brièvement torturés en vue d’obtenir des pièces à conviction. Trois policiers communautaires ont été abattus dans des conditions qui ressemblent, selon l’organisation de défense des droits humains Centre Tlachinollan, à des exécutions extrajudiciaires.

La police communautaire et les grands projets du gouvernement

La CRAC-PC, sur ce territoire rural autonome appelé «Biens communaux de Cacahuatepec», soutient la résistance locale contre un grand projet de barrage invalidé par les tribunaux locaux (et rendu irréalisable par sa présence). Les 25 personnes toujours détenues dans une prison d’Acapulco et poursuivies à présent pour homicide sont toutes connues pour leur participation à cette lutte paysanne vieille de plus de quinze ans. A Cacahuatepec, les policiers communautaires empêchent également le trafic et le transit de la drogue, tandis quedes tonnes de cocaïne prennent régulièrement la mer un peu plus bas à l’embouchure du fleuve Papagayo, depuis le port de Barra Vieja.

Les six civils morts dans l’affrontement du 7 janvier étaient armés, ils auraient ouvert le feu à la dérobée sur un groupe de policiers communautaires. Ces derniers auraient répondu après avoir perdu deux des leurs. Pour un récit objectif et détaillé des faits, les lecteurs hispanophones pourront lire un article du site du Centre Tlachinollan.

Une guerre impossible

L’organisation CRAC-PC existe légalement depuis 1995 comme force de police non étatique dans 15 agglomérations concentrant plus de 90% de la population indigène du Guerrero. Les municipalités situés sur son territoire affichent des indicateurs de violence criminelle relativement très bas à l’échelle de l’entité.

Depuis le début des années 2000, la CRAC-PC prend part aux luttes paysannes et indigènes contre l’implantation de mines, barrages et autres constructions qu’elle juge destructrices de l’environnement, dévastatrices de la santé publique et spoliatrices des terres cultivables. L’attraction des investissements extractifs et énergétiques, dans un contexte où le tourisme peine à se maintenir en raison de la violence criminelle, est un objectif stratégique du gouvernement régional du Guerrero ainsi que du gouvernement fédéral mexicain.

Cette organisation s’est également fait des ennemis parmi les cartels de la drogue, qui ont enlevé et tué plusieurs policiers communautaires ces dernières années. Tout en refusant de leur livrer une «guerre» qu’elle ne pourrait pas gagner, la CRAC-PC s’efforce de ne pas laisser ces derniers enlever et faire disparaître la population dans la ville très conflictuelle de Tixtla, dans le centre de l’Etat.

Enfin, un conflit latent oppose l’organisation à d’autres milices favorables aux grands projets énergétiques et miniers. Les autorités régionales, en prenant parti, mettent en péril l’équilibre des forces en présence.

Pour les conseillers exécutifs de la CRAC-PC, il ne peut y avoir de guerre en solo contre l’Etat régalien et toutes ses ramifications paramilitaires plus ou moins cooptées par le narco-trafic. Jusqu’à présent, son conseil et ses assemblées s’en sont courageusement tenus à la protestation et au dialogue face aux agressions répétées.

Pour comprendre et être préparés au scénario afghano-lybien qui s’écrit aux portes du futur grand mur de Donald Trump, ce grand reportage vous est proposé à nouveau en guise d’entrée en matière. Pour Reflets, Clément Detry, depuis le Mexique, continuera de suivre la situation dans le Guerrero mais aussi sur la côte de l’Etat de Michoacan, où des groupes d’autodéfense défient l’armée et disent contenir la progression du sinistre cartel Jalisco Nueva Generación (JNG).


N.B. : Le policier communautaire qui pose en couverture de l’article s’appelait Ulises Martínez García, il a été tué par le groupe de civils armés de fusils automatiques qui a déclenché le tragique affrontement du 7 janvier à Concepción. Notre précédent reportage n’aurait pas eu lieu sans lui. La rédaction adresse à ses proches ses plus sincères condoléances.

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